Alors que nous prenons conscience des répercussions du racisme systémique sur la vie des gens, il est impératif de songer à l’effet que peuvent avoir les établissements gérés par l’État, comme les prisons.
Partout au pays, des gens de toutes origines ethniques sont enfermés dans des cellules. Comment ont-ils abouti là, et pour quelle raison? En réalité, pratiquement tout le monde a déjà posé un geste qui pourrait être considéré comme un acte criminel. Or, l’origine ethnique, le genre et la classe sociale sont tous des éléments de l’identité ayant une incidence directe sur la probabilité qu’une personne s’empêtre dans le long filet de la criminalisation, puis qu’elle finisse par être placée en établissement.
Comme nous avons pu le constater, une personne appartenant à une minorité raciale subit dès sa naissance une discrimination raciale et une marginalisation à divers degrés.
En 2017, les enfants autochtones représentaient la moitié des enfants sous tutelle de l’État. Cette intervention disproportionnée et cyclique de l’État est surtout attribuable à l’héritage durable de la violence coloniale, qui a fait sombrer les familles autochtones dans la victimisation intergénérationnelle. Une fois qu’un enfant est pris en charge par l’État, il entre dans un système où il fait l’objet d’une surveillance policière abusive, est négligé et mal protégé. Il est donc plus susceptible de poursuivre involontairement ce cycle de placement en établissement.
Par conséquent, ces jeunes risquent très tôt d’avoir des démêlés avec des intervenants de l’État, c’est‑à‑dire des policiers. Malheureusement, ces interpellations peuvent mener au point d’entrée du système carcéral, comme c’est souvent le cas. En ce qui a trait plus particulièrement à l’origine ethnique, il semble que les Autochtones, les Noirs et les musulmans sont disproportionnellement représentés dans pratiquement tous les établissements gérés par l’État.
Les Noirs sont surreprésentés à hauteur de 300 % par rapport à leur population, proportion qui atteint 500 % du côté des Autochtones. Entre 2015 et 2016, les Noirs comptaient pour 10 % des prisonniers au Canada. Entre 2018 et 2019, les Autochtones représentaient quant à eux 28 % de la population carcérale totale du pays.
Le nombre de Canadiens musulmans qui sont détenus est également à la hausse. Entre 2018 et 2019, ces détenus représentaient 7,73 % du milieu carcéral, alors qu’il y a au total 7,2 % des Canadiens qui se définissent comme musulmans, hindous, sikhs et bouddhistes.
Par ailleurs, au cours des cinq dernières années seulement, le nombre total de femmes autochtones en prison a augmenté de près de 85 %. En 2011, 63 % des femmes incarcérées dans les prisons fédérales étaient autochtones. Ce qui est plus inquiétant encore, c’est que ce chiffre représente une augmentation de 85,7 % par rapport à la décennie précédente. C’est surtout attribuable au fait que les femmes autochtones écopent souvent de peines plus longues, qui les empêchent de maintenir des liens importants avec leur communauté ou leur famille, y compris leurs enfants.
Cette séparation de la famille est exacerbée du fait qu’environ 50 % des femmes détenues « à sécurité maximale » sont membres des Premières Nations, Métisses ou Inuites. Aussi, 31 % des détenues en isolement sont des Autochtones. En plus du nombre démesuré de femmes autochtones en établissement carcéral, les femmes racialisées, c’est‑à‑dire les Canadiennes noires, sont beaucoup plus susceptibles d’être arrêtées, puis accusées et condamnées à des peines d’emprisonnement plus longues.
Une telle rupture avec la communauté a une incidence directe sur les 7,7 % de Canadiens de descendance autochtone qui ont moins de 14 ans, en particulier s’ils ont été arrachés à leur mère dès un très jeune âge.
Pendant que nous réclamons la justice pour tous et l’éradication du racisme systémique, il ne faut surtout pas oublier les établissements où aboutissent les personnes racialisées, qui sont victimisées la plupart du temps et marginalisées par la société.