Entre décembre 2011 et juin 2012, j’ai présidé une série d’audiences du Comité sénatorial des droits de la personne portant sur la cyberintimidation. Le comité a étudié la question dans le contexte des obligations du Canada en matière de droits de la personne aux termes de l’article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. En effet, en ratifiant la Convention, le Canada s’est engagé à prendre toutes les « mesures […] appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation ». Avant même que nous n’entreprenions notre étude, nous savions déjà que la cyberintimidation comporte un bon nombre de ces formes d’atteintes aux droits de l’enfant que le Canada s’est engagé à prévenir.
Nous avons entendu des spécialistes et des intervenants, des parents et des enseignants, et, plus important encore, des jeunes. Durant l’été, les membres du comité ont pris le temps d’assimiler ce qu’ils avaient appris durant les audiences et cet automne, avec l’aide des greffiers et des analystes du Sénat et de la Bibliothèque du Parlement, nous avons rédigé et révisé notre rapport, que nous espérons publier bientôt.
Ma propre réflexion m’a fait découvrir certains thèmes récurrents et j’aimerais dans les prochaines semaines vous faire part de mes observations. Pour consulter la transcription intégrale des audiences du comité, il suffit de visiter la page Web du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.
La cyberintimidation étant un phénomène relativement récent, il n’en existe pas encore de définition universellement acceptée.
Bill Belsey, un enseignant à la Springbank Middle School de Rocky View County en Alberta et président de Bullying.org en donne la définition suivante :
La cyberintimidation est le fait, pour une personne ou un groupe, d’exploiter les technologies de l’information et de la communication pour commettre, de manière délibérée et répétée, des actes hostiles visant à faire du tort à autrui. Que les actes soient de nature physique, verbale, psychologique ou sociale, le caractère hostile, le caractère délibéré et l’intention de nuire sont les trois caractéristiques de l’intimidation sur laquelle s’entendent la plupart des spécialistes de la question.
La définition donnée par Belsey fait ressortir les trois caractéristiques de l’intimidation, à savoir le caractère délibéré des actes, la répétition et l’intention de nuire. L’intimidation devient de la cyberintimidation quand elle passe par la voie des technologies de l’information et de la communication.
Faye Mishna, doyenne de la faculté de travail social de l’Université de Toronto, en a donné une définition qui repose sur certains des mêmes éléments : pour elle, la cyberintimidation est « est l’utilisation des technologies de la communication et de l’information pour faire du tort à une autre personne. Cela peut se faire avec n’importe quel appareil technologique et peut comprendre toute sorte de comportements : propager des rumeurs, blesser ou menacer et harceler sexuellement ».
Jennifer Shapka, du département de psychologie de l’éducation et de l’orientation et de l’éducation spécialisée de l’Université de la Colombie-Britannique a ajouté un autre élément relationnel à cette définition. Sa définition se fonde sur celles de Belsey et de Mishna, mais elle précise que la cyberintimidation se produit « dans le cadre d’un déséquilibre de pouvoirs ».
Mme Shapka note également que le caractère répétitif se manifeste différemment dans le cyberespace : « … ce sont les spectateurs virtuels qui sont souvent responsables du sentiment d’humiliation répétée ressentie par les victimes. Par exemple, certains des cas de cyberintimidation les plus médiatisés portaient sur un événement unique, et pourtant la victime continuait à revivre l’événement à maintes reprises parce que la contribution initiale continuait de circuler et d’être affichée par d’autres. »
Une autre professeure, Tina Daniels, semble être du même avis. Elle établit un parallèle entre l’intimidation et la cyberintimidation : « La cyberintimidation répond aux mêmes besoins, fait naître les mêmes émotions et est motivée par le même désir de pouvoir, de prestige et d’emprise que les autres formes de comportement d’intimidation. » Mais elle ajoute la même mise en garde que Mme Shapka : « Ce qui est différent, c’est l’ampleur des comportements transmis et des conséquences des actes posés. »
Mariel Calvo, élève à la Springbank Middle School, a insisté, comme Mme Daniels, sur la question de la portée et des conséquences du phénomène. Elle a dit au comité en juin :
La cyberintimidation représente un problème très grave pour les adolescents canadiens. Les gens qui disent que ce n’est rien, que ce n’est pas important et que les jeunes exagèrent ses conséquences ont complètement tort. Ce problème a une énorme incidence sur notre vie. Cette forme de harcèlement peut donner lieu à de mauvais résultats scolaires et à une faible estime de soi et entraîner d’importantes conséquences psychologiques susceptibles de mener à la dépression et au suicide. On ne peut donc vraiment pas dire que les adolescents en font tout un plat pour rien.
S’il n’existe pas encore de définition claire et complète de la cyberintimidation, les témoins qui ont comparu devant le comité nous ont signalé plusieurs mots-clés importants à ce sujet : intention, répétition, tort, comportement, pouvoir et conséquences.
Comme l’a dit Seth Marnin de l’Anti-Defamation League, ces constats non seulement montrent la complexité de la cyberintimidation, mais témoignent de l’importance d’une politique de prévention, laquelle « devrait comprendre une définition claire de l’intimidation, ainsi qu’une définition large des communications électroniques, de manière à ce que les élèves et la collectivité sachent exactement ce qui est admissible et ce qui ne l’est pas ».
La prochaine fois, je vous parlerai des observations des témoins sur une question pressante : la citoyenneté numérique.