Les enfants ne naissent pas cyberintimidateurs. Ce sont des enfants : ils sont uniques, mais méritent tous autant les uns que les autres le bonheur, l’amour et la compréhension que garantit la Convention relative aux droits de l’enfant.

Comme je l’ai écrit dans ma plus récente contribution, qui portait sur la promotion de cultures inclusives, les valeurs comme le respect, la gentillesse et la compassion sont enseignées, apprises et vécues.

Il s’ensuit que la question du développement des enfants est au cœur de la cyberintimidation. Comme l’a souligné au Comité des droits de la personne Christian Whaelan, défenseur des enfants et de la jeunesse par intérim pour le Bureau de l’Ombudsman du Nouveau-Brunswick :

Si nous voulons régler le problème de l’éclatement des relations respectueuses et responsables en ce qui concerne les enfants, il faut aussi tenir compte des premiers stades du développement de l’enfant et de la façon dont nous pouvons donner aux nourrissons et aux enfants d’âge préscolaire le soutien dont ils ont besoin pour devenir des enfants et des adultes animés par la compassion. Notre expérience de travail, à notre bureau, avec des jeunes ayant des besoins complexes me fait dire que nous devons faire plus comme société, au Canada, pour renforcer le rôle de parent, et ce, très tôt dans la vie de l’enfant.

Autrement dit, le développement du jeune enfant est crucial. Il est à la base du développement des compétences sociales jusqu’à la fin du niveau primaire et au niveau secondaire, époque où la cyberintimidation atteint son paroxysme.

On a la fausse impression que les enfants qui ont acquis les compétences nécessaires pour intimider les autres ont aussi la maturité requise pour rationaliser leur comportement. Ce n’est pas le cas, a témoigné le professeur Shelley Hymel, du Département de psychologie de l’éducation et de l’orientation de l’Université de la Colombie-Britannique :

Il y a trois aspects de leur personne qui ne sont pas suffisamment développés.

1. Les enfants tendent à entrer à cet âge dans une période de développement de l’identité où ils essaient de trouver qui ils sont et quel est leur rôle au sein du groupe. Il y en a qui découvrent l’intimidation dans ce processus et constatent que cela est un moyen efficace.

2.On sait que c’est à cette époque du développement que le lobe frontal du cerveau, soit la partie de celui-ci qui assure les fonctions exécutives et collige l’information pour nous permettre de prendre la meilleure décision possible, subit une période de développement rapide qui se poursuit jusqu’à la mi-vingtaine.

3. La plupart des enfants sont considérés comme étant à ce moment-là à l’étape préconventionnelle du développement moral, ils voient surtout ce qu’une situation peut leur rapporter. Ce n’est pas qu’ils soient immoraux. Nos recherches montrent plutôt que les enfants ne font que commencer à comprendre à ce moment-là que la société est un système social dans lequel nous devons collaborer et nous entraider.

 Les études que le professeur Hymel a menées montrent que « les enfants qui se livrent à l’intimidation, y compris à l’intimidation électronique, sont beaucoup plus susceptibles que les autres de se désengager moralement dans leur réflexion au sujet de leur propre comportement. Ils le justifient et le rationalisent en minimisant leurs responsabilités quant aux conséquences en tant que telles. Il y a aussi une corrélation entre ce désengagement moral et le comportement de spectateurs passifs. »

La référence du professeur Hymel à un « comportement de spectateurs passifs » était intéressante étant donné que Hal Roberts, vice-président de Stop a Bully, avait abordé cette question quand il avait comparu devant notre comité un mois plus tôt. Dans son exposé, M. Roberts a parlé de la « fluidité entre les rôles », notant que les enfants souvent « ne se rendent pas compte qu’ils peuvent créer un incident et que la fois suivante, ils vont l’observer et en parler à d’autres. À un moment donné, ils peuvent être victimes [de cyberintimidation] ». Je parlerai davantage de ce thème dans ma prochaine contribution, qui portera sur les étiquettes et les rôles : intimidateur, victime et spectateur.

Du point de vue des droits de la personne, les témoignages montrent la nécessité de se doter d’une politique et de ressources qui permettraient aux enfants, grâce au soutien de leurs parents et de leurs instituteurs, d’acquérir des compétences pour agir, réagir et réfléchir à leur comportement et à ses conséquences. En effet, même s’il n’y a pas deux enfants qui se développent de la même manière, tous les enfants ont cependant des droits égaux et universels : notre comité a confirmé ce principe en adoptant sa propre approche des études politiques fondée sur les droits. Dans les témoignages, on définit également les enfants comme des sujets (des acteurs, et non pas des objets) que les parents, les enseignants et les communautés doivent éduquer et responsabiliser. C’est le deuxième principe de l’approche fondée sur les droits adoptée par notre comité.

Le troisième principe, c’est que les États ont l’obligation de veiller au respect des droits. L’article 19 de la Convention relative aux droits de l’enfant fait obligation à toutes les Parties contractantes de prendre « toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation. » Les enfants ont le droit d’être heureux, d’apprendre en toute sécurité et de devenir des citoyens généreux qui savent faire preuve de commisération, et ce, avec l’appui d’adultes aimants. La meilleure façon de prévenir la cyberintimidation est de se concentrer sur ces droits, car les enfants ne naissent pas cyberintimidateurs. Ils naissent avec une capacité d’aimer illimitée. Nous n’avons qu’à leur en donner la chance.