Merci de votre aimable présentation.

Je tiens aussi à offrir mes sincères remerciements à l’Association des juristes d’expression française pour m’avoir invité à participer à ces importantes discussions sur la cyberintimidation.

Les jeunes de partout au pays sont confrontés à une nouvelle réalité que bien des parents, éducateurs et décideurs ont souvent beaucoup de difficulté à comprendre.

L’intimidation, dont les jeunes pouvaient autrefois être victimes principalement à l’école ou au terrain de jeux, s’est maintenant infiltrée dans nos foyers par le biais d’Internet et d’appareils électroniques.

Aujourd’hui, outre la violence sociale, verbale et physique que de nombreux élèves sont déjà forcés d’endurer, la cyberintimidation s’ajoute aux autres formes d’abus qui affecte le développement de nos jeunes.

En tant que présidente du Comité sénatorial des droits de la personne, nous avons mené une étude afin de mieux comprendre l’ampleur du problème de la cyberintimidation.

Afin de vous mettre en contexte, je souhaite partager avec vous certains témoignages d’enfants ayant exprimé leurs inquiétudes et leur expérience devant le comité.

Shelby Anderson, une élève de la Springbank Middle School, a déclaré :

« La cyberintimidation est partout, et elle fait vraiment mal.

Elle vous donne envie de vous cacher dans un trou et d’y rester.

Elle vous fait sentir comme si vous étiez seul au monde et que personne n’était là pour vous aider; comme si personne ne pouvait vous aider. »

Un autre jeune, témoignant à huis clos, a quant à lui déclaré :

« Chaque jour de ma vie depuis que je suis arrivé à cette école, ils vont sur MSN pour rire de moi.

Tout a commencé lorsque j’était en neuvième année.

Des filles ont commencé à aller en ligne pour rire de moi.

Elles me traitaient de tapette, de gai, d’idiot, de perdant, de nègre, de « trou de cul », elles disaient que j’étais laid… »

De son côté, Mariel Calvo, également élève à la Springbrank Middle School, a dit au Comité :

« La différence entre l’intimidation dans la classe ou dans la cour d’école et la cyberintimidation est qu’on peut être victime de la cyberintimidation vingt-quatre heures par jours, sept jours par semaine, et cela fait en sorte qu’on ne se sent jamais en sécurité.

Cela laisse une grande empreinte dans notre vie, parce qu’on se sent constamment secoué et même effrayé ».

Ce ne sont pas là mes mots ni ceux d’autres experts et observateurs.

Ce sont les mots d’enfants qui vivent avec le problème quotidiennement.

J’estimais qu’il était important de commencer par ces témoignages – ils représentent concrètement la situation qui se passe en dehors des écoles et des terrains de jeux.

Le Comité des droits de la personne a entendu soixante témoins dans le  cadre de cette étude, dont pour la première fois dans l’histoire du Sénat, des jeunes.

Permettez-moi maintenant de vous lire le texte de l’ordre de renvoi que le Sénat a adopté en novembre 2012 pour donner à notre comité le pouvoir d’entreprendre une étude sur la cyberintimidation.

J’attire votre attention sur le contexte juridique qui encadre cet ordre de renvoi, qui se lit comme suit :

Que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé à étudier la question de la cyberintimidation au Canada en ce qui concerne les obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne aux termes de l’article dix-neuf de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, et à faire rapport sur la question;

À la suite de notre étude, nous avons produit trois rapports.

Normalement, le comité aurait produit seulement un rapport, cependant, nous avons produit un rapport, un guide pour les parents et un guide pour les jeunes.

Ces derniers nous ont grandement apporté que nous voulions les remercier en leur donnant une voix.

Les différents témoins nous ont éclairé sur le phénomène de la cyberintimidation et permis d’en apprendre davantage.

À titre d’information, la cyberintimidation consiste à utiliser des appareils électroniques comme un ordinateur ou un téléphone cellulaire pour intimider, embarrasser, menacer ou harceler une ou plusieurs personnes.

Par exemple, des commentaires inappropriés ou blessants sont parfois affichés dans des sites Web, des photos ou des vidéos embarrassantes sont envoyées par courriel ou des textes de harcèlement sont envoyés par cellulaire.

L’anonymat accepté dans certains types d’interactions sociales en ligne peut donner à l’intimidateur la fausse impression qu’il peut dire n’importe quoi, peu importe que ce soit blessant ou non, sans grandes conséquences pour lui-même ou pour la personne visée.

Les témoins nous ont également fait comprendre que l’aspect le plus inquiétant pour bon nombre de victimes, c’est qu’il est quasi impossible de faire retirer d’Internet les vidéos, les photos et les histoires affichées dans les médias sociaux.

Il devient donc difficile d’échapper à la cyberintimidation.

En effet, si l’objet servant à l’intimidation demeure toujours en ligne, il peut continuer à hanter sa victime bien après la fin de ses actes de cyberintimidation.

Plus précisément, les témoignages d’enfants ont vraiment changé notre façon de voir les choses.

Ils nous ont encouragés à examiner des solutions qui font appel à l’ensemble de la collectivité.

Ces jeunes courageux qui sont venus raconter leurs histoires, et les nombreux experts du domaine, nous ont dit que nos efforts à tous devraient être axés sur la sensibilisation et la prévention par le biais de la collectivité.

Dans le Rapport émis par le Comité sénatorial des droits de la personne intitulé : La cyberintimidation, ça blesse! Respect des droits à l’ère numérique, le Comité étudie le phénomène de la cyberintimidation et ses répercussions sur les jeunes Canadiens.

Dans le cadre de cette présentation, il m’a été demandé de répondre à la question suivante :

Quelles sont les recommandations du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, telles que communiquées dans sont rapport sur la                                                       cyberintimidation?

Tout d’abord, nos six recommandations tiennent compte du fait que tous les membres de la collectivité ont un rôle à jouer à cet égard.

La première recommandation est la suivante :

Le comité recommande que le gouvernement fédéral collabore avec les gouvernements provinciaux et territoriaux pour contribuer à l’élaboration d’une stratégie coordonnée de lutte contre la cyberintimidation.

Tel que mentionné auparavant, cette stratégie nationale devrait impliquer une approche faisant participer toute la collectivité :

Enfants, parents, écoles, bénévoles, fournisseurs de services sociaux, sociétés et entreprises, législateurs et fonctionnaires, conseillers en politiques et autres participants dans la société; tous ont un rôle à jouer.

Un problème auquel nous faisons face, toujours selon les témoins, est que les provinces réinventent la roue en élaborant leurs propres programmes et lois, plutôt que de mettre en commun les résultats de recherche et les pratiques exemplaires.

Ainsi, cette situation nécessite une forme quelconque d’action coordonnée à l’échelle nationale pour lutter contre le phénomène de la cyberintimidation.

Par exemple, chercher à garantir l’offre de programmes et de ressources anti-cyberintimidation dans toutes les régions.

La seconde recommandation est la suivante :

Le comité recommande que la promotion de l’enseignement des droits de la personne et la citoyenneté numérique soit une composante essentielle de la stratégie coordonnée de lutte contre la cyberintimidation élaborée en partenariat avec les gouvernement provinciaux et territoriaux.

Le comité a entendu bon nombre de témoins se préoccuper du peu de temps accordé dans les écoles à l’acquisition de saines aptitudes sociales et au comportement éthique.

La rupture dans les relations interpersonnelles que plusieurs témoins croient voir se manifester dans la cyberintimidation et d’autres formes de cybercomportement inapproprié représente un problème propre à la génération actuelle d’enfants.

À titre d’exemple, une mesure concrète proposée par des témoins et appuyée par le comité est que les écoles, les conseils scolaires et les ministres de l’Éducation s’assurent que la citoyenneté numérique et les droits de la personnes composent un élément essentiel des programmes scolaires tout au cours de l’éducation des enfants.

La troisième recommandation est la suivante :

Le comité recommande que la promotion d’initiatives de justice réparatrice soit une composante essentielle de la stratégie coordonnée de lutte contre la cyberintimidation élaborée en partenariat avec les gouvernements provinciaux et territoriaux.

Les incidents de cyberintimidation peuvent varier en gravité, selon leur nature qui peut aller des commentaires déplacés sur un site de médias sociaux à du harcèlement criminel.

Peu importe sa forme, ce comportement inapproprié exige une réponse appropriée.

La réponse la plus appropriée, selon les témoins, se concentre sur les diverses mesures de justice réparatrice.

Cette réponse a tendance à être plus bénéfique, tant dans les cas individuels d’intimidation que dans la transformation des cultures scolaires et communautaires qui donnent lieu à des comportements liés à l’intimidation.

Par exemple, il faudrait favoriser la formation dans ce domaine de tous les intervenants, notamment des enseignants.

La quatrième recommandation est la suivante :

Le comité recommande que le gouvernement du Canada ait comme priorité de travailler avec les acteurs de l’industrie intéressés pour rendre Internet plus sécuritaire pour les enfants et de les soutenir en cherchant des façons de surveiller et de retirer tout contenu en ligne offensant, diffamatoire ou autrement illégal d’une manière qui respecte la confidentialité des renseignements personnels, la liberté d’expression et autres droits pertinents.

Une autre préoccupation fréquemment exprimée par les témoins porte sur la difficulté de faire retirer d’Internet les messages, photos et vidéos de cyberintimidation.

Le comité croit qu’il incombe au gouvernement fédéral de travailler de concert avec les intervenants pour trouver des façons de rendre Internet plus sécuritaire.

Par exemple, mettre en place de meilleurs façons de signaler la présence de contenu inapproprié ou offensant dans des sites de médias sociaux et d’en obtenir le retrait.

La cinquième recommandation est la suivante :

Le comité recommande que le gouvernement fédéral songe à la possibilité d’établir, en collaboration avec les provinces et les territoires, un groupe de travail qui aurait pour mandat de définir le phénomène de la cyberintimidation et d’établir une manière uniforme de le surveiller à l’échelle nationale.

L’absence d’une définition reconnue de la cyberintimidation constitue un obstacle bien réel qui nous empêche de comprendre pleinement la portée du phénomène, sa gravité, ses causes et ses conséquences.

À la lumière des témoignages entendus, le comité est d’avis qu’il nous faut développer une définition commune du problème et une manière uniforme de le surveiller.

Cela permettra d’être en mesure de bien expliquer aux jeunes et aux adultes ce qu’est la cyberintimidation et comment elle se manifeste.

La sixième et dernière recommandation est la suivante :

Le comité recommande que le gouvernement fédéral travaille avec les provinces et territoires pour appuyer les initiatives de recherche à long terme afin d’accroître notre compréhension du phénomène de la cyberintimidation, et de nous renseigner sur les différences de genres, les facteurs de risque et de protection liés à la cyberintimidation et l’influence des technologies de l’information et des communications sur le développement socio-affectif des jeunes.

Devant le comité, Marla Israel a décrit la situation de la façon suivante :

« On ne comprend pas encore bien toutes les causes et les conséquences de l’intimidation et de ses répercussions, comme les troubles de santé mentale, un stress accru et une capacité émotionnelle réduite ».

Nous avons la chance au Canada de pouvoir compter sur des chercheurs et des chercheuses prolifiques dans le domaine de la cyberintimidation.

Nous devons leur donner les outils dont ils ont besoin pour faire avancer la recherche dans le domaine et identifier les solutions les plus efficaces pour prévenir l’intimidation et favoriser les relations saines.

Ces recommandations ont été élaborées à la suite de notre enquête sur le problème de la cyberintimidation.

Cependant, les témoins ont beaucoup insisté sur le fait qu’il n’y avait aucune solution rapide à la cyberintimidation.

L’approche faisant participer toute la collectivité exige un engagement à long terme afin de voir des résultats.

Rappelons qu’il n’y a pas de programme universel de lutte contre la cyberintimidation.

À cet effet, un programme qui fonctionne bien dans une région ou un pays peut échouer ailleurs.

La diversité du Canada peut présenter certaines difficultés, mais elle est aussi notre force.

L’approche où toute la collectivité participe à la lutte contre la cyberintimidation consiste à accepter notre diversité, à impliquer nos diverses collectivités et à apprendre à apprécier les différences personnelles.

Ainsi, la mise en place d’une stratégie nationale permettra éventuellement de réduire les conséquences et à promouvoir des valeurs sociales positives contraires à la cyberintimidation.

Le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer dans cette lutte qui préoccupe tous les Canadiens et Canadiennes.

Les politiques réactionnaires, comme la tolérance zéro et les autres mesures punitives obligatoires, n’ont pas fonctionné.

 

C’est pourquoi nous croyons en l’importance de nos recommandations.

Notre comité a entendu plusieurs témoignages de jeunes en privé.

Ils avaient tous été victimes d’une quelconque forme de cyberintimidation.

Leurs témoignages ont tous été extrêmement convaincants, et ils ont tous eu une incidence majeure sur tous les sénateurs au cours de nos délibérations.

Je souhaite terminer par une citation d’un jeune qui a témoigné à huis clos devant le comité.

Lorsqu’on lui a demandé la meilleure façon de lutter contre la cyberintimidation, voici ce que cette jeune personne nous a répondu :

« Je crois que nous devons sensibiliser les enfants plus jeunes et vraiment leur expliquer que l’Internet n’est pas seulement un endroit où l’on peut faire ce qui nous plaît, dire n’importe quoi, agir n’importe comment, et afficher ce que l’on veut. C’est une croyance tellement enracinée que nous devons enseigner aux enfants comment utiliser l’Internet de façon responsable et leur dire ce qu’il est correct ou non d’y faire et pourquoi. »

Je vous remercie de votre attention et il me fera plaisir de répondre à vos questions.