Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 39e Législature,
Volume 144, Numéro 36

Le mercredi 27 février 2008
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends moi aussi la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence.

La question du crime et du châtiment va au cœur même de la vie dans une communauté civile. Elle représente la responsabilité la plus fondamentale accordée aux parlementaires. La définition d’un comportement nuisible à la communauté et l’établissement de peines justes et efficaces sont des principes de base. En l’absence de châtiment respecté et respectable, l’ordre, qui est à la base de tout dans la société, ne peut être maintenu efficacement.

Honorables sénateurs, j’aimerais aujourd’hui parler des peines minimales obligatoires. Il y a déjà environ 40 infractions dans le Code criminel qui sont passibles de peines d’emprisonnement minimales obligatoires. Le gouvernement cherche à accroître considérablement le nombre d’infractions passibles de peines minimales obligatoires.

Tout d’abord, des lignes directrices détaillées relatives à l’établissement des peines sont prévues aux articles 718 à 718.2 du Code criminel. Il est intéressant de les relire une fois de temps en temps, surtout quand une peine donnée retient l’attention des médias ou fait l’objet d’un débat politique.

L’article 718 dit ceci :

Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

a) dénoncer le comportement illégal;

b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

L’article 718.1 est ainsi libellé :

La peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant.

Toutefois, honorables sénateurs, à ces principes viennent s’ajouter d’autres principes dont le tribunal doit tenir compte et qui sont énoncés à l’article 718.2. Les alinéas 718.2 b) à e) disent ceci :

b) l’harmonisation des peines, c’est-à-dire l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

c) l’obligation d’éviter l’excès de nature ou de durée dans l’infliction de peines consécutives;

d) l’obligation, avant d’envisager la privation de liberté, d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient;

e) l’examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones.

Honorables sénateurs, je vais simplement faire l’observation suivante : Nos dispositions législatives actuelles concernant la détermination de la peine exigent que les tribunaux partent du principe que la privation de liberté doit être évitée; l’incarcération est le dernier recours et non le premier.

La philosophie du Code criminel oblige le tribunal à adopter une approche modérée. Elle garantit pratiquement que les peines tiendront généralement compte du degré de sanction le moins élevé conforme aux principes de détermination de la peine. En vertu de cette philosophie, les tribunaux, en particulier ceux d’appel qui guident les procès devant jury, ont établi des principes selon lesquels les sanctions les plus sévères sont réservées aux pires contrevenants, peu importe le type d’infraction.

Les peines minimales obligatoires vont à l’encontre de ces principes que nous avons établis en tant que législateurs. Elles suppriment les moyens qu’ont les tribunaux de rendre justice dans des cas particuliers. Elles bouleversent les présomptions établies dans les principes de détermination de la peine et créent un fouillis d’exceptions qui semblent arbitraires. Il n’existe pas de modèle uniforme en ce qui concerne les êtres humains. Il ne s’agit pas d’une approche universelle. Une telle approche a l’effet d’être arbitraire.

Si le Parlement souhaite modifier l’accent mis sur la détermination de la peine, une approche beaucoup plus rationnelle consisterait à modifier les principes de base tout en laissant aux juges la latitude nécessaire pour rendre justice dans des cas particuliers en fonction de ces principes modifiés.

Le gouvernement propose plutôt un mécanisme grossier consistant à annuler les principes de détermination de la peine existants pour les types d’infractions qu’il a choisis. Ainsi, plutôt que de traiter conséquemment les infractions afin que la sanction corresponde au crime commis, c’est le crime qui détermine la sanction, peu importe que cela soit pertinent ou non. Cela ramène le rôle judiciaire à rien de plus qu’une lecture à haute voix. À mes yeux, il s’agit là de technocratie poussée à l’extrême.

Honorables sénateurs, nos juges ne sont pas des technocrates. Je crois que nous disposons de magistrats hautement qualifiés, peut- être les meilleurs au monde. On entend entre les branches qu’il serait peut-être bon de réduire le pouvoir discrétionnaire des juges. Cela sous-entend que les juges ne sont pas assez sévères à l’endroit des criminels. Il est difficile d’imaginer comment les juges pourraient être blâmés pour avoir suivi les directives qui leur ont été données. Cette orientation est pourtant parfaitement claire : il faut étudier toutes les possibilités, outre l’emprisonnement.

À part l’ajout d’une foule d’exceptions à des principes établis de détermination de la peine — ce qui rend la loi contradictoire, si ce n’est incohérente —, les peines minimales obligatoires comportent bien d’autres désavantages sérieux.

On dit souvent que l’imposition de peines minimales obligatoires comporte entre autres l’avantage de la fermeté et de la cohérence. En pratique, toutefois, la possibilité d’une peine minimale obligatoire entraîne souvent l’arrêt des procédures, le retrait des accusations ou une négociation de plaidoyers pour modifier l’accusation ou en réduire la gravité, parce que le procureur estime que la peine minimale obligatoire est trop sévère. En pareil cas, c’est la Couronne plutôt que le système judiciaire qui prend la décision concernant la peine appropriée et le processus est nettement moins uniforme et moins ouvert à l’examen du public que n’importe quel exercice du pouvoir discrétionnaire des juges.

Il faut se rappeler que les juges font leur travail devant le public et que leurs décisions peuvent faire l’objet d’un appel. Honorables sénateurs, il n’en est pas de même quand leur pouvoir discrétionnaire est transféré à la Couronne. Dans bien des cas, la peine minimale obligatoire n’incite pas l’accusé à plaider coupable, ce qui entraîne inévitablement des procès plus longs et plus coûteux.

Il va sans dire que les peines minimales obligatoires, dans la mesure où elles prolongent la période d’incarcération, empêchent d’utiliser les fonds publics, par ailleurs déjà limités, pour des initiatives de prévention de la criminalité et d’application de la loi qui, à mon avis, sont plus utiles.

Des données pertinentes provenant d’autres pays révèlent que les peines minimales obligatoires ont un effet disproportionné sur les groupes minoritaires. Je répète que les principes de détermination de la peine énoncés à l’article 718.2 du Code criminel exigent que le tribunal examine, dans le cas de tous les délinquants, toutes les sanctions autres que l’emprisonnement qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones. Les peines minimales obligatoires font complètement abstraction de ces importantes considérations.

Par surcroît, aucune preuve convaincante ne montre que l’imposition de peines minimales obligatoires constitue un moyen de dissuasion efficace contre la criminalité. Plusieurs États ou pays, notamment le Michigan et le territoire du Nord de l’Australie, ont connu des expériences négatives avec les peines minimales obligatoires. Parmi les conséquences négatives, mentionnons un niveau inacceptablement élevé de cas d’injustice fondamentale, des condamnations injustifiées et une augmentation des taux d’incarcération chez les groupes ethniques minoritaires, les Autochtones et les femmes. On n’a noté aucun effet dissuasif perceptible. Le sénateur Cowan a déjà abordé cette question.

Il ressort de plusieurs études menées par diverses commissions gouvernementales au Canada que nous avons déjà des problèmes de racisme systémique et d’application du droit pénal. Les peines minimales et obligatoires accentuent les tendances observées et vont tout à fait à l’encontre des principes fondamentaux de détermination de la peine dont j’ai parlé.

D’après toute l’information disponible, la notion de peines minimales obligatoires a fait son temps. Il ressort de l’ensemble des sondages d’opinion que l’appui qu’accorde spontanément le public à des idées comme la loi des trois fautes s’effrite lorsque l’on demande aux répondants d’envisager les conséquences qu’elles peuvent avoir dans des cas biens précis.

Dans les États où l’on a mis à l’essai les peines minimales obligatoires, on abroge aujourd’hui les lois punitives à cet effet. Au Michigan, par exemple, on en est revenu à un régime souple et adaptable de détermination de la peine et ce, en raison de plusieurs facteurs, notamment l’évolution de l’opinion publique, qui a pris ses distances par rapport aux peines rigoureuses avec la médiatisation de certains exemples de peines excessives pour des récidivistes coupables d’infractions mineures, et aussi un consensus parmi les professionnels de la justice pénale selon lequel les peines obligatoires ont tendance à faire croître le nombre de personnes incarcérées alors même que les taux de criminalité diminuent.

Bref, les peines minimales obligatoires constituent une solution aux crimes graves qui s’avère dépassée. La formule a été mise à l’essai et elle s’est avérée un échec dans des juridictions assez semblables à la nôtre. Rien ne permet de conclure qu’elles réduisent les taux de criminalité. En légiférant en ce sens, on ne fait rien pour accroître la confiance du public dans le processus de détermination de la peine puisque, trop souvent, on débouche sur des peines qui font grand bruit et qui ont toute l’apparence de peines excessives et oppressives.

Honorables sénateurs, nous ne devrions pas répéter les erreurs que d’autres ont faites auparavant. Nous devrions plutôt apprendre de ces erreurs.

Pour terminer, je répéterai que la façon de modifier la détermination de la peine consiste à en adapter les principes, si nécessaire. Il ne convient pas d’introduire une série d’exceptions par rapport à des principes établis et mûrement réfléchis ou d’enlever aux juges la capacité de rendre justice selon les caractéristiques de l’affaire en délibéré.

La notion de peines minimales obligatoires va directement à l’encontre des principes actuels de détermination de la peine et elle débouche inévitablement sur l’injustice, sans que cela soit nécessaire. De telles peines constituent la négation même des objectifs qu’elles sont censées promouvoir.