Débats du Sénat (hansard)
3e Session, 40e Législature,
Volume 147, Numéro 97
Le mercredi 23 mars 2011
L’honorable Noël A. Kinsella, Président
La Loi sur les brevets
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Carstairs, C.P., appuyée par l’honorable sénateur Fairbairn, C.P., tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-393, Loi modifiant la Loi sur les brevets (drogues utilisées à des fins humanitaires internationales) et une autre loi en conséquence.
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je veux aussi prendre part au débat sur le projet de loi C-393. Le sénateur Carstairs a déjà très bien expliqué pourquoi nous devons adopter ce projet de loi rapidement. Je veux expliquer les bienfaits qu’il apporterait à tant d’Africains. La voix du sénateur Murray s’est ajoutée aux nôtres. Les sénateurs Carstairs et Murray sont, pour la plupart d’entre nous, des leaders et des mentors au Sénat. Les sénateurs Nancy Ruth et Dallaire ont ajouté leurs voix.
Je suis de l’avis de mes collègues et j’adhère à ce qu’ils ont dit de ce projet de loi. Comme la plupart d’entre vous, j’ai écouté attentivement le débat sur le projet de loi C-393, Loi modifiant la Loi sur les brevets (drogues utilisées à des fins humanitaires internationales) et une autre loi en conséquence.
À l’heure où l’on se parle, nous sommes nombreux à nous inquiéter de la tournure que prennent les événements. Nous examinons actuellement 101 autres projets de lois et questions, et nous sommes loin d’être convaincus que celui-ci est prioritaire ou qu’il changera quoi que ce soit à la vie des Africains, car l’enjeu dont il est question relève davantage des forces du marché.
L’organisme Canadian Grandmothers for Africa a longtemps travaillé à partir de mon bureau. J’ai vu l’attachement total de ces femmes pour leur cause. J’ai vu leur dévouement. Au nom des enfants d’Afrique, je salue leurs efforts.
Je suis une enfant de l’Afrique. J’ai bu l’eau du Nil et j’ai nagé dans celle du lac Victoria. Mais c’est maintenant le Canada qui est mon pays. Pendant plus de 40 ans, ses citoyens, mes concitoyens, ont habillé ma famille et ils nous ont nourris à l’époque où nous étions des réfugiés affamés. Aujourd’hui, les Canadiens m’offrent la chance incroyable de faire partie de cette grande institution qu’est le Sénat du Canada.
Aujourd’hui, moi, la Canadienne, j’ai la chance de pouvoir manger à ma faim et de me prévaloir du meilleur système de santé au monde. Je vis dans l’un des pays les plus pacifiques du monde. Je crois sincèrement que le Canada est le meilleur pays du monde.
À cause de tous les avantages dont nous, Canadiens, profitons, je crois que nous devrions en faire un peu plus pour que les plus vulnérables de la planète ne soient pas laissés pour compte par le Canada.
Permettez-moi de vous faire partager mon expérience. En novembre 2007, j’ai eu le privilège d’accompagner le premier ministre Stephen Harper dans mon pays d’origine, l’Ouganda, à l’occasion de la Conférence du Commonwealth. J’en garderai un souvenir impérissable toute ma vie. Madame le sénateur Stewart Olsen était aussi présente, et il nous arrive parfois, elle et moi, de comparer les notes que nous avons rapportées de ce voyage extraordinaire.
À l’époque, c’est la femme du haut-commissaire du Canada, Vanessa Hynes, qui avait été chargée de régler les détails de mon séjour en Ouganda. Quelle femme généreuse. Au nom du Canada, elle a fait des miracles pour venir en aide aux plus démunis d’Afrique. Elle m’a amenée dans un hôpital. Après en avoir fait la visite, nous avons remis des poupées fabriquées au Canada aux enfants qui séjournaient dans l’aile pédiatrique.
Pendant que nous distribuions les poupées, une fillette s’est lentement approchée de nous en rampant. Elle s’appelait Miriam et elle était âgée de quatre ans. Une grosse cicatrice marquait le côté gauche de son cou. Je n’ai pu m’empêcher de m’arrêter pour lui parler. Son sourire était accrocheur. Alors qu’elle tendait les bras vers la poupée, je me suis penchée pour jouer avec la petite Miriam. Son père m’a expliqué en swahili que Miriam avait eu une grosse tumeur cancéreuse qu’on avait réussi à retirer lors d’une opération.
Comme j’avais l’air perplexe, je lui ai demandé ce que sa fille et lui faisaient à la clinique externe. Il m’a expliqué que Miriam avait contracté le paludisme, mais qu’il n’avait pas les moyens d’acheter les comprimés antipaludiques. Il était revenu à l’hôpital pour tenter d’en obtenir.
Pendant que nous faisions le nécessaire pour que Miriam obtienne ces comprimés, celle-ci a laissé tomber sa poupée et est tombée dans le coma. Elle a été admise de nouveau à l’hôpital.
Au retour de notre visite des autres services, nous avons aperçu les parents de Miriam qui sanglotaient. Miriam était morte parce qu’ils n’avaient pas pu acheter de comprimés antipaludiques, des comprimés qui ne nous coûtent que quelques dollars. Une enfant atteinte de cancer qui avait survécu à une opération qui lui avait sauvé la vie a été emportée par le paludisme parce que ses parents n’avaient pas les moyens d’acheter des comprimés antipaludiques.
L’adoption du projet de loi C-393 sauverait la vie de nombreuses Miriam.
Quelques années plus tard, je suis retournée au même hôpital. Je me suis de nouveau dirigée vers le service de pédiatrie. Nous y avons rencontré John, un grand et beau garçon de 13 ans qui avait été transporté à l’hôpital. Il était très malade. Il avait une forte fièvre. Son père l’y avait amené dans ses bras.
J’ai appris plus tard que John était mort. Pourquoi? Parce que ses parents n’avaient pas les moyens d’acheter les médicaments dont il avait si désespérément besoin. Le projet de loi C-393 sauvera la vie de nombreux garçons comme John.
Mon adjointe, Rahmat Kassam, et moi étions en Afrique orientale la semaine dernière. Nous avons visité une maternité parce que nous cherchions des moyens de prévenir la fistule chez les femmes enceintes. Pour ceux qui ne le savent pas, la fistule obstétricale est une perforation du canal génital due à un travail prolongé sans intervention médicale rapide. Cette intervention est ordinairement une césarienne. La fistule provoque des problèmes chroniques chez la femme et entraîne le plus souvent la venue au monde d’un enfant mort-né.
Lorsque nous sommes arrivées à l’hôpital, nous avons appris que la fistule n’était pas courante dans cette région particulière parce que les femmes avaient accès à une clinique. Toutefois, comme nous étions déjà dans la maternité, nous avons décidé de la visiter. Au cours de la visite, nous avons appris que la clinique ne disposait pas des médicaments dont elle avait besoin. Elle n’avait ni produits antipaludiques à administrer aux mères souffrant de paludisme, ni antibiotiques pour traiter les mères qui avaient de la fièvre, ni antiviraux pour celles qui étaient atteintes du sida. Tous les accouchements avaient lieu dans une petite salle surpeuplée où trois femmes devaient partager chaque lit.
Parmi toutes les femmes de la maternité, Rahmat et moi ne pouvions pas détacher nos yeux de Josephine. C’était une femme très belle, mais son visage était déformé par une souffrance atroce parce que la clinique n’avait ni analgésiques ni produits d’anesthésie péridurale à lui administrer.
Josephine était assise toute seule dans un coin. Aucun proche n’était là pour lui tenir la main pendant ses contractions parce qu’il manquait de place pour acceuillir des membres de la famille. Nous sommes allées la voir pour essayer de la consoler. Toutefois, l’une des infirmières nous a dit qu’il y avait une autre raison pour laquelle les membres de la famille n’étaient pas admis dans la salle : ils couraient le risque d’attraper la tuberculose. Si une patiente ou un proche contractaient la maladie, il n’y aurait aucun médicament pour les traiter. Rahmat et moi avons été saisies d’un affreux sentiment d’impuissance.
Nous sommes sorties précipitamment parce que, autour de nous, la douleur des femmes était insupportable. Nous avons rapidement regagné notre hôtel et avons commencé à faire nos bagages pour rentrer à Ottawa. Ce fut une très longue soirée. Le lendemain matin, au petit déjeuner, nous étions toutes deux très silencieuses, mais nous avons décidé de nous arrêter à la maternité avant de partir.
Une fois arrivées à la clinique, nous sommes tombées sur Josephine et son beau bébé. Dès qu’elle nous a vues, elle nous a tendu sa fille avec une grande fierté. Nous l’avons embrassée et sommes parties le cœur chaud après avoir vu cette mère souriante tenant son bébé dans ses bras.
Honorables sénateurs, nous pouvons décider aujourd’hui de poursuivre le débat sur le projet de loi C-393. Toutefois, nous avons déjà débattu auparavant cette mesure législative. Nous pouvons attendre son retour du comité, mais le projet de loi a déjà été examiné au comité auparavant.
Honorables sénateurs, nous avons déjà étudié, débattu et analysé cette mesure. Au nom des Miriam, des John et des Josephine dont nous pouvons sauver la vie, je voudrais vous dire qu’ayant le pouvoir de sauver la vie de nombreux Africains, nous devons saisir cette occasion et le faire tout de suite.
Honorables sénateurs, ayons le courage d’adopter le projet de loi C-393 cette semaine. Nous sommes ici, au Sénat, pour exercer une influence. Nous pouvons l’exercer vraiment maintenant. Il y a des moments où, à titre de parlementaires, nous pouvons ne pas être d’accord sur certaines questions. Cela est inévitable dans une démocratie. Toutefois, cette même idéologie nous impose de nous efforcer de travailler ensemble chaque fois que c’est possible.
Ce projet de loi est un exemple d’un cas où, indépendamment du parti que nous représentons et de ce que nous jugeons inefficace, nous pouvons agir. Nous, Canadiens, avons beaucoup de chance parce que la bonne fortune nous a favorisés. Cela nous impose le devoir de penser à ceux qui n’ont pas les mêmes privilèges.
Honorables sénateurs, nous devons aller de l’avant avec une intention très simple : à titre d’êtres humains, faisons tout notre possible pour aider nos congénères. Il ne m’a fallu que 15 minutes pour prononcer ce discours. Pendant ce court laps de temps, 30 enfants sont morts en Afrique. Toutes les 45 secondes, un enfant succombe au paludisme. Honorables sénateurs, nous pouvons vraiment faire quelque chose pour eux. Faisons-le tout de suite.