1re Session, 42e Législature,
Volume 150, Numéro 121
Le mardi 16 mai 2017
L’honorable George J. Furey, Président
L’étude sur les questions relatives à l’Examen de la politique de défense entrepris par le gouvernement
Dixième rapport du Comité de la sécurité nationale et de la défense—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Lang, appuyée par l’honorable sénateur Smith, tendant à l’adoption du dixième rapport (intérimaire) du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, intitulé Sous-financement des Forces armées canadiennes : passons de la parole aux actes, déposé auprès du greffier du Sénat le 13 avril 2017.
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je crois que le sénateur Eggleton avait demandé l’ajournement à son nom. Ainsi, lorsque j’aurai terminé, je demanderai que le débat soit ajourné au nom du sénateur Eggleton.
Son Honneur le Président : Consentez-vous, honorables sénateurs, à ce que le débat soit ajourné au nom du sénateur Eggleton, après le discours de la sénatrice Jaffer?
Des voix : D’accord.
La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du dixième rapport du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, intitulé Sous-financement des Forces armées canadiennes : Passons de la parole aux actes.
Avant de commencer, j’aimerais remercier le président du comité, le sénateur Lang, pour son travail de direction dans le cadre de cette étude. Je souhaiterais aussi remercier les autres membres du comité, qui nous ont fourni leurs conseils et leurs commentaires lors de la rédaction du rapport.
Je souligne également le travail de Marcus Pistor, de Holly Porteous et de Katherine Simonds, de la Bibliothèque du Parlement, qui ont contribué aux efforts en nous fournissant l’information et les résultats de recherche nécessaires à la rédaction du rapport.
J’aimerais finalement remercier Adam Thompson, le greffier du comité, de nous avoir aidés et d’avoir travaillé très fort pour que le rapport soit publié à temps.
Le document Sous-financement des Forces armées canadiennes : Passons de la parole aux actes est la première partie d’un rapport en deux parties rédigé dans le cadre de l’étude du comité sur l’examen de la politique de défense. Il traite du contexte plus large des Forces armées canadiennes, en ciblant les principaux défis et priorités.
Pour relever ces défis, entre autres, notre rapport formule 16 recommandations, que le comité a adoptées après de longues discussions.
Comme vous le savez, sénateurs, c’est la nature de nos comités. Les recommandations qui découlent de chaque rapport sont le résultat de compromis entre les membres du comité.
Je crois que le sénateur Lang a fait un examen approfondi des recommandations du report, la semaine dernière. Je ne répéterai donc pas ce qu’il a dit. C’est pourquoi je vais plutôt parler des défis qu’affrontent les Forces armées canadiennes d’après le rapport.
Le plus grand de ces défis, c’est le sous-financement. La quasi-totalité des témoins ont convenu que le Canada tire de l’arrière au chapitre des dépenses affectées au soutien de nos troupes au cours des dernières décennies.
Comme ce sous-financement se poursuit, nos forces se désagrègent. Notre aviation n’a pas assez de pilotes et de techniciens pour fonctionner efficacement. Nos équipes de recherches et de sauvetage ne disposent pas de l’équipement nécessaire pour mener des opérations dans l’Arctique, où les températures tombent à -55 degrés Celsius. De plus, ces équipes attendent encore les nouveaux avions qu’on leur avait promis dans le cadre d’un programme d’approvisionnement il y a 14 ans.
Notre marine rétrécit à vue d’œil, perdant de ses capacités parce que nous ne prenons pas les mesures nécessaires. Par conséquent, le Canada n’est même plus en mesure de ravitailler ses navires en mer et doit dépendre pour cela d’autres pays, même dans ses propres eaux.
Enfin, nos forces de réserve se débattent dans presque tous les domaines, y compris le recrutement, l’équipement et l’entraînement. En fait, nos réservistes n’arrivent même pas à obtenir des évaluations médicales adéquates.
Notre comité aborde le sujet d’une façon plus détaillée dans la partie B du rapport intitulé Réinvestir dans les Forces armées canadiennes : Un plan pour l’avenir. Je ne m’attarderai pas là-dessus. Toutefois, je tiens à souligner que, tant que le sous-financement continuera, nous verrons de plus en plus de lacunes comme celles que j’ai mentionnées. Il y a lieu de noter que ce déclin n’est pas attribuable à un seul gouvernement. Il s’agit d’un processus qui s’est étendu sur plusieurs gouvernements successifs. Depuis 1990, les dépenses affectées à la défense n’ont pas cessé de baisser.
En 1990, nous avions consacré exactement 2 p. 100 de notre PIB à la défense. Ce pourcentage a régulièrement baissé avec les gouvernements successifs pour tomber, à un moment donné, à 0,88 p. 100. Je répète encore que ce n’est pas la faute d’un gouvernement ou d’un parti. C’est un problème qui s’aggrave depuis des décennies parce qu’on ne lui accorde pas suffisamment d’attention.
Indépendamment de la personne ou du gouvernement à blâmer, nous ne pouvons pas, honorables sénateurs, laisser continuer ce sous-financement des Forces armées canadiennes. Si les niveaux actuels de financement sont maintenus, la situation de notre appareil militaire continuera à se détériorer. D’après un rapport du directeur parlementaire du budget, si rien ne change, la structure des forces du ministère de la Défense nationale deviendra insoutenable dans les 10 prochaines années.
Honorables sénateurs, je voudrais vous parler de mon expérience personnelle pour mettre en évidence les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas laisser la situation se détériorer.
À titre d’envoyée du Canada au Soudan, j’ai travaillé avec l’équipe de l’Aviation royale canadienne déployée au Darfour. J’ai observé nos soldats pendant qu’ils fournissaient de l’aide et de l’équipement pour protéger la population locale. J’ai personnellement vu les effets de leur travail. Tous les jours, j’ai été témoin de leur dévouement et de leur courage pendant qu’ils protégeaient les gens contre la guerre civile et la menace de génocide. Les réfugiés à qui j’ai parlé au Darfour savaient qu’ils bénéficiaient d’une plus grande sécurité à cause de la présence de l’Aviation royale canadienne et des Canadiens venus les protéger.
Honorables sénateurs, je crois que nous devons fournir aux Forces armées canadiennes le financement et les outils dont elles ont besoin pour faire leur travail, qui consiste d’abord à veiller à notre sécurité et ensuite à mener les opérations qui leur sont confiées dans le monde. Des gens comme ceux que j’ai rencontrés au Darfour comptent sur nous partout dans le monde.
Cela dit, nous ne pouvons pas assumer ces tâches tout seuls. Presque tous les témoins qui ont comparu devant le comité ont dit que les Forces armées canadiennes doivent être capables de collaborer avec nos alliés pour avoir un maximum d’efficacité.
Chaque témoin qui a abordé le sujet a déclaré que l’interopérabilité des forces est nécessaire si nous voulons les utiliser à leur plein potentiel. Lorsque nous coopérons avec nos alliés, l’opération dans son ensemble est plus grande que la somme de ses éléments. J’ai pu le constater lors de mon séjour au Darfour. Nous n’étions pas seuls. Nous faisons partie des missions de l’Union africaine et des Nations Unies au Darfour. La coopération avec nos alliés a permis aux Forces armées canadiennes de concentrer leurs efforts sur ce qu’elles savent faire le mieux, c’est-à-dire les opérations aériennes.
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En collaborant avec nos alliés, nous avons été capables de travailler efficacement et de sauver beaucoup plus de vies que si nous avions travaillé seuls. De plus, puisque chaque pays et ses militaires pouvaient miser sur leurs points forts, l’ensemble des gens étaient plus en sécurité.
Malheureusement, maintenant, nous ne pouvons plus accomplir cela. Au cours de notre examen, de nombreux témoins ont déclaré que nous ne respectons pas nos engagements envers nos alliés, notamment envers l’OTAN et le NORAD.
Ainsi, pour affirmer ses engagements, le Canada devra apporter des changements importants simplement pour devenir interopérable avec ses alliés. Ce genre d’interopérabilité ne sera pas facile à atteindre. L’interopérabilité implique de disposer des équipements dont on a besoin pour jouer notre rôle dans les missions les plus ambitieuses. Ce sera exigeant et requerra des ressources considérables pour le Canada. Néanmoins, c’est également vital. Nos alliés à l’OTAN, aux Nations Unies et au NORAD comptent sur nous pour jouer notre rôle dans les missions les plus ambitieuses. Si nous les laissons tomber, nous serons beaucoup moins efficaces pour aider les autres et nous mettrons nos soldats en péril.
Cela dit, les défis des Forces armées canadiennes ne se limitent pas aux engagements à l’étranger. Au cours de notre étude, nous avons appris que la tâche de protéger le Canada a presque entièrement changé. Il existe nombre de nouveaux domaines que nous devons surveiller. L’Arctique, la défense antimissile balistique et le cyberespace ne sont que quelques exemples qui figurent dans notre rapport. Cependant, parmi ceux-ci, nos satellites et la cyberdéfense représentent nos plus grandes sources de vulnérabilité pour l’avenir.
Nous ne vivons plus dans un monde où il suffit de protéger le Canada contre les attaques armées. Quelques-unes des attaques les plus dévastatrices n’impliqueront même pas d’armes. À titre d’exemple, presque tous les aspects de notre vie dépendent des satellites. Les satellites que le Canada a envoyés dans l’espace sont nécessaires au bon fonctionnement des télécommunications, d’Internet, des systèmes de positionnement global, et des transactions bancaires, des systèmes de prévisions météorologiques, et de ceux de surveillance aérienne.
Nos cyberstructures sont tout aussi vulnérables, car elles sont présentes dans la quasi-totalité de nos sphères d’activité. Ce sont elles qui gèrent le réseau électrique de même que les systèmes de télécommunication, de défense et de renseignement du pays. En cas d’attaque, les dégâts pour le Canada seraient incalculables.
La semaine dernière, le monde entier a été frappé par une cyberattaque. Des hôpitaux ont été paralysés, des usines ont cessé leur production et plus de 200 000 personnes habitant dans 150 pays ont été touchées. Même la Saskatchewan a connu son lot de problèmes.
Le chaos qui suivrait la perte de nos satellites serait comparable à ce que nous avons vécu la semaine dernière. Par exemple, en 2011, un seul satellite Anik F2 est tombé en panne au-dessus du Nunavut parce qu’un logiciel a cessé de fonctionner. Parce qu’un seul satellite était hors d’usage, les télécommunications ont cessé dans l’ensemble du Nunavut et des milliers de personnes en ont subi les contrecoups. Des vols ont été annulés, les communications ont été interrompues et un grand nombre de gens sont restés coincés pendant tout le temps — une journée — qu’il a fallu pour que la situation revienne à la normale. Nous ne pouvons pas laisser une telle catastrophe se reproduire.
Sachant l’ampleur des dommages qui peuvent survenir lorsque les cybersystèmes et les systèmes spatiaux nous lâchent, le comité a été abasourdi d’apprendre que les satellites du Canada ne sont pas encore considérés comme des infrastructures essentielles. S’ils recevaient la désignation « infrastructures essentielles », les cybersystèmes et les systèmes spatiaux seraient visés par la Stratégie nationale sur les infrastructures essentielles et le Plan d’action sur les infrastructures essentielles.
Ils seraient aussi protégés par diverses approches fondées sur les risques qui sont fréquemment mises à jour. Dans la mesure où notre sécurité et notre bien-être économique dépendent de ces systèmes, je crois qu’ils sont trop importants pour qu’on ne les protège pas.
Avec tous les changements qui se produisent de nos jours, que ce soit ici ou ailleurs sur la planète, le processus décisionnel doit absolument avoir la capacité voulue pour s’adapter aux difficultés au fur et à mesure qu’elles surviennent. Il y a tellement de choses qui changent dans le milieu de la défense canadien que nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de laisser la politique de défense sans appuis. Pour que le processus décisionnel soit adaptable à souhaits, le comité est d’avis que l’examen dont la politique de défense fait actuellement l’objet devrait s’étendre aussi à la politique étrangère du pays. Toutes les stratégies et dépenses seraient alors remises en contexte, et il serait possible à la fois de les ajuster de façon à ce qu’elles servent nos intérêts et de doter les Forces armées canadiennes des outils dont elles ont besoin pour faire leur travail.
Cela dit, il ne suffit pas de tenir une telle étude une seule fois. Les conclusions qui sont pertinentes aujourd’hui pour nos militaires ne le seront peut-être plus dans cinq ans, surtout compte tenu des avancées technologiques. C’est pourquoi le comité a convenu qu’il faut organiser plus d’études de ce genre à l’avenir afin de tenir à jour nos politiques.
Honorables sénateurs, le rapport intitulé Sous-financement des Forces armées canadiennes : Passons de la parole aux actesporte sur plusieurs domaines afin de montrer à quel point la sécurité nationale et la défense ont changé au Canada. Nos forces armées font l’objet d’un sous-financement grave. Nous devons respecter les engagements que nous avons pris envers nos alliés, et la défense du Canada suppose qu’il faut protéger plus de domaines que jamais.
Si nous ne parvenons pas à nous adapter à ces nouvelles réalités, nos forces armées ne seront pas en mesure d’accomplir toutes les tâches que les Canadiens attendent d’elles. C’est la raison pour laquelle je vous demande d’appuyer l’adoption de ce rapport. Nous devons agir maintenant. Nous avons le devoir envers les Forces armées canadiennes de leur accorder les ressources dont elles ont besoin pour connaître du succès. Nous avons le devoir envers les Canadiens, compte tenu de la confiance qu’ils accordent aux Forces armées canadiennes, de veiller à ce que celles-ci puissent les protéger et à ce qu’elles ne les abandonnent pas en raison d’un financement insuffisant.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, êtes-vous d’accord pour que le débat soit ajourné au nom du sénateur Eggleton?
Des voix : D’accord.
(Sur la motion du sénateur Eggleton, le débat est ajourné.)