2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 161

Le lundi 29 juin 2015
L’honorable Leo Housakos, Président

La Loi de l’impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Prise de décision sur le projet de loi—Motion et motion d’amendement—Report du vote

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole au sujet de la motion n117 et de son amendement.

Honorables sénateurs, nous sommes à un seuil critique. Aujourd’hui, les Canadiens nous observent alors que nous débattons de la motion no 117. Ils sont frustrés, et, à vrai dire, je ne peux pas leur en vouloir, car je le suis aussi.

Au lieu de redire en mes propres mots ce que mes collègues ont dit, je vais citer les paroles d’un Canadien qui a écrit à chacun d’entre nous le week-end dernier. Mike Brecht, de Saskatoon, a dit ceci :

Je vous écris au sujet de la décision du Sénat de voter contre de la décision rendue par le Président du Sénat à l’égard du projet de loi C-377. Le Président a clairement exposé son raisonnement en se fondant sur les règles établies en 1991 concernant l’ordre d’appel. Il a également fait allusion à la décision de l’ancien Président, le sénateur Kinsella, en disant que « proposer d’utiliser une motion du gouvernement pour régir l’expédition d’affaires autres que gouvernementales va à l’encontre d’une distinction fondamentale établie dans le Règlement et dans nos pratiques. »

En votant contre la décision du Président, vous venez d’enfoncer le dernier clou dans le cercueil du Sénat. Si on ne fait plus la distinction entre les affaires du gouvernement et les autres affaires dont dispose le Sénat, ce dernier n’aura plus son utilité en tant que Chambre de second examen objectif, puisque toutes les questions qui seront mises à l’étude à l’avenir seront déjà déterminées par la Chambre des communes.

Jusqu’à présent, j’étais de ceux qui croyaient que le Sénat avait toujours sa place dans le cadre des travaux parlementaires au Canada, mais, après le vote contre la décision de la présidence, vous avez anéanti hors de tout doute l’argument relatif à la nécessité du Sénat. En terminant, je vous demande, en tant que contribuable canadien inquiet, de vous opposer à la motion et de débattre comme il se doit du projet de loi C-377 à une séance ultérieure.

De la part d’un contribuable très déçu.

Honorables sénateurs, pour reprendre ce que le contribuable a dit, si nous votons en faveur de cette motion, nous ferons en sorte que le Sénat devienne une institution superflue.

J’ai réfléchi à cette lettre pendant toute la fin de semaine et à ce que je pourrais ajouter à ce sujet. Comment peut-on véritablement expliquer ou comprendre ce qui se passe à l’heure actuelle au Sénat? Nous n’avons pas vécu une situation semblable depuis de très nombreuses années.

Aujourd’hui, nous nous perdons en discussions enflammées. Les frustrations s’accumulent au Sénat. Prenons un peu de recul. Oublions nos émotions du moment et réfléchissons à ce qui est sur le point de se produire. Nous sommes sur le point de faire quelque chose qui aura une profonde incidence sur notre institution. Ce que j’ai retenu de la lettre de M. Brecht, c’est que, une fois de plus, nous sommes sur le point de perdre la confiance des personnes que nous sommes censés servir. Nous allons faire en sorte que le Sénat devienne inutile.

J’aimerais traiter de cette question plus en détail. Je crois que certains sénateurs semblent avoir oublié que nous n’avons d’obligations qu’envers les Canadiens. Notre seul devoir, nous l’exerçons à l’endroit des Canadiens.

Honorables sénateurs, la motion dont nous débattons aujourd’hui a une vaste portée. Elle nous dépasse. Par conséquent, je crois que, de ce point de vue, nous avons atteint un seuil critique.

Notre institution est menacée. La dernière année a été très difficile, personne ne peut le nier. Lorsque nous serons rentrés chez nous, sans doute nous dirons-nous que nous ne voulons plus jamais vivre une année comme celle que nous venons de traverser. Il y a eu des suspensions, le Sénat a fait l’objet d’une vérification hautement médiatisée et, par moments, en lisant les journaux, on aurait dit que le terme « scandale » était devenu synonyme de « Sénat ». Toutefois, n’oublions pas pourquoi, au départ, nous avons fait l’objet d’une vérification. Nous voulions regagner la confiance des Canadiens. Pourquoi? Parce que c’est notre devoir de les servir. S’ils n’ont pas confiance en nous, comment pouvons-nous les servir?

C’est non seulement un but louable, mais aussi notre responsabilité, d’assurer la crédibilité de notre institution auprès des Canadiens. On n’insistera jamais trop sur son importance pas plus que nous pouvons discuter le fait que nous avons convenu de l’importance de la vérification en l’acceptant. Pourquoi alors revenons-nous maintenant sur notre engagement envers les Canadiens?

Je demande aux sénateurs qui votent en faveur de cette motion comment l’acte qu’ils poseront aujourd’hui — qui va perturber la démocratie et le processus démocratique — servira à regagner la confiance de la population en notre institution.

Après avoir mûrement réfléchi, je suis convaincue que je ne puis expliquer plus clairement que l’ont fait d’autres sénateurs pourquoi il n’est pas correct d’appuyer cette motion. Je souhaite plutôt aujourd’hui en appeler à la raison.

Honorables sénateurs, je ne devrais pas me sentir aussi défaitiste au sujet d’un appel à la raison en cette enceinte. Après tout, nous sommes censés être la Chambre de second examen objectif. À l’autre endroit, la raison passe après la partisanerie, mais ici, la raison et la pensée rationnelle sont censées être la norme en toutes circonstances. Indépendamment des allégeances politiques, la raison doit l’emporter ici.

À titre de Chambre de second examen objectif, nous ne sommes pas censés succomber à la partisanerie. Nous ne devrions pas prendre de décisions irréfléchies en fonction des résultats de sondage ou des possibilités de réélection. Nous sommes au service des intérêts nationaux et des Canadiens. En théorie, notre travail est simple et, pourtant, il est essentiel pour maintenir un équilibre dans notre démocratie. Nous veillons à ce que la raison, l’équité et les faits prévalent dans les futures lois de notre grande nation.

Honorables sénateurs, je crains que nous ayons mal communiqué ce message aux Canadiens. On peut donc comprendre leur frustration, mais nous avons passé une année très difficile à essayer de regagner la confiance des Canadiens. Je suis fière de cette Chambre et du travail que nous faisons tous. Pourtant, aujourd’hui nous mettons en péril tout le bon travail qui se fait ici et, là encore, nous envoyons le mauvais message aux Canadiens.

Quand on fait ainsi appel à la raison, on ne devrait pas ressentir l’amertume de la défaite aussi crûment que je la ressens en ce moment, même si j’ai encore espoir que mes collègues conservateurs me prouveront que j’ai tort de me sentir ainsi. Aujourd’hui plus que jamais au cours de la dernière année, nous avons la responsabilité de réaffirmer l’indépendance de notre assemblée.

Voici le dernier argument que je souhaite faire valoir. Aux honorables sénateurs conservateurs qui voteront pour la motion parce que leur idée était faite avant même de pénétrer dans la salle, je demande de quel côté de l’histoire ils veulent se placer aujourd’hui. Voulez-vous contribuer encore davantage à la détérioration de notre institution sacrée, ou allez-vous plutôt exercer votre indépendance d’esprit?

(1840)

Nous avons entendu le Président Kinsella nous dire que cette motion n’a pas lieu d’être — un raisonnement que le Président actuel, le sénateur Housakos, a repris à son compte. Vous savez que la raison penche de leur côté. J’en appelle non pas à vos valeurs partisanes ni à vos émotions; non, aujourd’hui, j’en appelle à votre raison. Chacun de vous doit s’accrocher de toutes ses forces à son indépendance d’esprit, parce que c’est ni plus ni moins l’avenir de notre démocratie qui est en jeu. Peu importe ce que nous avons dit avant aujourd’hui, et même aujourd’hui, plus rien ne compte sauf la manière dont vous allez voter. Aujourd’hui plus que jamais, vous devez exercer votre indépendance d’esprit. C’est la seule avenue possible si nous voulons regagner de la crédibilité auprès des Canadiens. Nous comptons sur vous.

Depuis un an, nous nous sommes tous engagés à redonner confiance aux Canadiens dans notre institution. Tous autant que nous sommes, nous nous sommes attelés à cette tâche, j’en suis convaincue, mais aujourd’hui, nous devons prouver que les gestes concrets pèsent plus lourd que les belles paroles. Nous avons assez parlé de la crédibilité de l’institution sénatoriale. Les Canadiens en ont assez des palabres; ils veulent que nous agissions : vous, moi, nous. Ils le méritent.

Ce vote, c’est votre chance d’agir, de vous adresser directement aux Canadiens. Parce que c’est la vérité : les belles paroles s’effacent derrière les gestes concrets. Le résultat du vote sur cette motion enverra un message plus fort que tout ce qui a été dit à son sujet, plus fort que n’importe quelle entrevue que nous pourrions donner ou que n’importe quel gazouillis que nous pourrions envoyer. Le résultat du vote d’aujourd’hui sera le message que nous envoyons à ceux que nous servons.

Je suis très fière d’être une sénatrice canadienne, et je suis convaincue que notre institution a un rôle important à jouer dans notre démocratie, mais ce rôle ne consiste pas à remanier les règles pour des motifs partisans. Tout ce que nous réussirons, ce sera d’amoindrir encore notre crédibilité et de nous aliéner ceux-là mêmes que nous sommes censés servir. C’est contraire à tous les principes que défend le Sénat. C’est contraire au rôle que nous devons jouer.

Chers collègues, au cours des dernières années, des sénateurs ont été suspendus, et le Sénat a fait l’objet d’une vérification très ouverte. Cette vérification ne nous a pas épargnés, et je pense que, grâce à celle-ci, bien des gens se sont rendu compte que nous faisions ce qui s’imposait. Toutefois, en adoptant cette motion, nous allons détruire notre institution, car nous savons pertinemment ce qu’il va advenir du projet de loi : il sera immédiatement contesté devant les tribunaux, qui le déclareront inconstitutionnel. Malheureusement, c’est notre institution qui écopera, pas les syndicats.

L’honorable Jane Cordy : J’aimerais poser une question. Plus tôt cet après-midi, on nous a dit que le projet de loi ne prévoyait pas la divulgation d’activités non liées aux relations de travail. Pourtant, voici ce qu’on peut lire au sous-alinéa 149.01(3)b)(vii.1) :

un état indiquant une estimation raisonnable du pourcentage du temps que les personnes visées au sous-alinéa (vii) consacrent à la conduite d’activités politiques, d’activités de lobbying et d’autres activités non liées aux relations du travail […]

Il s’agit d’une définition assez vague. Il me semble que, plus tôt aujourd’hui, on nous a dit qu’elle pourrait comprendre diverses activités, comme le bénévolat que fait un parent en tant que chef scout ou guide ou en tant que président de l’association parents- enseignants de l’école fréquentée par son enfant, dans le but d’améliorer l’école en tant que lieu d’apprentissage. Ces activités pourraient donc faire partie des « activités non liées aux relations de travail », qui, en fait, sont prévues dans le projet de loi, comme ont pu le constater les personnes qui ont pris la peine de le lire.

Trouvez-vous que cette disposition est plutôt vague et que, en fait, elle pourrait englober toutes les choses mentionnées plus tôt par le sénateur Baker?

La sénatrice Jaffer : Sénatrice Cordy, je vous remercie vivement de m’avoir posé cette question. Comme vous le savez, je suis membre du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J’ai posé cette question à plusieurs des témoins qui ont comparu devant notre comité.

Nous pouvons nous renseigner sur le salaire des syndiqués et sur le nombre d’activités politiques auxquelles ils se livrent, si nous le souhaitons. Cependant, il est un peu fort de leur demander de préciser leurs « autres activités non liées aux relations de travail ». C’est cette exigence qui me préoccupe. Elle m’a amené à poser la question suivante : « Si un syndiqué est chef des louveteaux, doit-il le signaler? »

Honorables sénateurs, voici ce que nous exigeons des syndiqués. Si on nous demandait de préciser tous les organismes de bienfaisance pour lesquels nous travaillons, nous n’accepterions jamais de le faire. Ce projet de loi est tout simplement inconstitutionnel.