Les lecteurs fidèles de cette série ont peut-être décelé le thème commun aux articles que j’ai publiés jusqu’à maintenant. Dans chaque partie, je souligne en quoi les libertés fondamentales garanties à l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés vont bien au-delà de leur sens littéral.

En particulier, les deuxième et troisième parties montrent en quoi il est possible d’élargir la portée des libertés fondamentales sous le régime de la doctrine de l’arbre vivant ou encore de la restreindre par la clause des limites raisonnables.

Ces interprétations n’existent pas en vase clos; elles découlent d’affaires entendues par les tribunaux. D’abord, des interprétations conflictuelles de la Charte sont débattues devant eux, puis ils en arrivent à une décision définitive.

Compte tenu de la manière dont ces affaires façonnent la Charte, je conclurai mon examen des libertés fondamentales en attirant l’attention sur deux grandes affaires qui me permettront de remonter à l’origine de ces droits.

L’affaire R. c. Keegstra, entendue en 1986, est sans doute l’affaire la plus connue ayant servi à imposer des limites raisonnables à l’article 2.

En 1984, James Keegstra, un enseignant de l’Alberta, a été reconnu coupable d’avoir fait de la propagande haineuse en enseignant l’antisémitisme à ses élèves.

Keegstra a interjeté appel de sa condamnation devant la Cour d’appel de l’Alberta en affirmant que les lois sur les discours haineux portaient atteinte à la liberté d’expression garantie à l’alinéa 2b) de la Charte. La Cour lui a donné raison et a annulé sa condamnation!

Cette décision a soulevé une seule question dont a été saisie la Cour suprême en 1986 : la propagande haineuse devrait-elle être protégée en vertu de la Charte?

Dans son jugement, la Cour a statué que les lois sur les discours haineux portent certes atteinte à l’alinéa 2b), mais que les lois qui les interdisent ne sont pas inconstitutionnelles.

Cette décision s’explique de deux façons. Tout d’abord, autoriser les discours haineux aurait une incidence sur d’autres droits, comme celui à l’égalité pour les minorités menacées de crimes haineux. Ensuite, les restrictions imposées aux lois contre la haine ne sont pas trop limitatives, puisqu’elles ne portent que sur les discours menant à la haine et posant un danger pour des groupes.

Dans la troisième partie, vous trouverez les répercussions que cette affaire continue d’avoir à ce jour sur les discussions portant sur la liberté d’expression.

La vaste majorité des affaires liées à l’article 2 portent sur les limites qui lui sont imposées. Il s’agit entre autres de l’affaire Keegstra. Or, une célèbre affaire, en l’occurrence l’affaire Dunmore c. Ontario, a plutôt élargi la portée de l’article 2.

Les syndicats n’ont pas toujours été libres de s’associer. Avant l’affaire Dunmore, la liberté d’association permettait principalement aux Canadiens de former des groupes politiques sans crainte de représailles.

Or, en 1995, le gouvernement de l’Ontario a adopté une loi en vue de priver les travailleurs agricoles de tous leurs droits à la négociation collective. Contestant cette loi, Tom Dunmore et plusieurs autres agriculteurs ont intenté une poursuite contre le gouvernement en soutenant que celui-ci portait atteinte à leur liberté d’association garantie par l’alinéa 2d).

La Cour suprême leur a donné raison. Dans son jugement, la Cour a statué que l’association s’étendait à bien plus que les collectivités et les groupes politiques; elle consistait aussi en l’action collective! Ainsi, toute loi entravant ce droit contrevient à l’alinéa 2d).

Dans les deuxième et quatrième parties de la présente série, vous pouvez voir comment les travailleurs d’aujourd’hui continuent de tirer profit de cette affaire qui les protège toujours contre les lois antisyndicales.

Voilà deux des nombreuses affaires qui ont eu une incidence sur les libertés fondamentales garanties à l’article 2 de la Charte. Tous les jours, les tribunaux se penchent sur de nouvelles interprétations de la Charte, et chacune de leurs décisions permet de définir plus clairement les droits dont nous jouissons.

La semaine prochaine, la série portera sur une nouvelle partie de la Charte. Je commencerai à y aborder la question des droits démocratiques prévus aux articles 3, 4 et 5 de celle-ci.