Dans mon dernier article de cette série, j’ai démontré que les droits démocratiques garantis par les articles 3 à 5 de la Charte canadienne des droits et libertés visaient d’abord à empêcher le retour de lois ayant déjà existé au Canada qui soit empêchaient certains groupes de voter, soit compromettaient l’équité des élections.

Or lorsque la Charte a été signée en 1982, la plupart de ces lois étaient déjà abrogées. Par conséquent, on fait surtout appel à la Charte pour vérifier que les limites qui encadrent les droits démocratiques le font de manière raisonnable.

De tous les droits démocratiques, le droit de vote garanti par l’article 3 est celui qui s’est le plus transformé sous l’effet de la Charte. C’est pourquoi j’ai choisi de consacrer l’article d’aujourd’hui à son évolution. La semaine prochaine, je traiterai des autres droits démocratiques.

Lorsque la Charte entre en vigueur, les personnes souffrant de maladie mentale sont parmi les premières à l’invoquer pour contester les lois qui les privent du droit de vote. En réponse à ces contestations, le gouvernement avance que la loi est raisonnable et que les personnes ayant une maladie mentale sont incapables de faire des choix rationnels.

Heureusement, les tribunaux concluent que beaucoup d’entre elles sont aptes à faire des choix éclairés et leur redonnent le droit de vote. Les tribunaux déclarent même que, sauf exception, les Canadiens qui sont aptes à voter doivent avoir le droit de le faire.

Cela dit, il faudra beaucoup de temps pour que ce principe soit appliqué aux prisonniers et que la Loi électorale du Canada ne leur interdise plus de voter. Lorsque les prisonniers contestent ces dispositions législatives, le gouvernement argumente que l’interdiction est raisonnable vu la nature même de l’exercice électoral, qui suppose la prise d’une décision fondée sur une interaction avec la société. Et puisque les prisonniers ne peuvent pas interagir avec la société, ils ne peuvent pas faire un choix éclairé et, par conséquent, ils ne doivent pas voter.

Cela est évidemment faux, puisque les prisonniers peuvent obtenir des renseignements de l’extérieur de la prison. Néanmoins, huit années complètes s’écouleront avant que les tribunaux ne l’admettent et accordent le droit de vote aux prisonniers dans l’affaire Belcowski.

Les prisonniers exercent leur droit de vote pour la première fois lors des élections fédérales 1992. Vingt-huit mille prisonniers d’un bout à l’autre du pays reçoivent une trousse d’information et des journaux; le jour venu, ils déposent leur bulletin de vote dans l’urne. À ce jour, les prisonniers continuent d’exercer ce droit inaliénable.

Malgré ces luttes fructueuses, le droit de vote continue de susciter des revendications.

Par exemple, de nombreux groupes font pression pour que les mineurs suffisamment matures obtiennent le droit de vote. Peu de gens nient qu’il existe des raisons légitimes de ne pas laisser voter les mineurs dont le développement mental n’est pas achevé. Cependant, beaucoup font valoir avec raison que les mineurs matures sont capables de prendre des décisions éclairées malgré leur jeune âge.

La question demeure en suspend devant les tribunaux.

Aujourd’hui, la plupart des Canadiens tiennent le droit de vote pour acquis. C’est un droit inaliénable que chacun exerce pour choisir ses représentants politiques. Or il n’en a pas toujours été ainsi. Plusieurs groupes ont dû lutter pour l’obtenir à l’aide de la Charte, et pour d’autres, cette lutte n’est pas encore terminée.

Ne manquez pas mon prochain article dans cette série, où il sera question de l’impact de la Charte sur les autres droits démocratiques.