Dans mon dernier article, j’ai montré que l’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés permet aux Canadiens de déménager et de travailler partout au pays, peu importe le point de départ et le point d’arrivée.

Cependant, cette liberté n’est pas illimitée. En fait, l’article 6 a ceci de particulier par rapport aux autres articles de la Charte qui confèrent des droits et libertés : il fixe ses propres limites! J’explique ici comment les paragraphes 6(3) et 6(4) de la Charte viennent circonscrire la liberté d’établissement dans n’importe quelle province que confère le paragraphe 6(2).

 (3) Les droits mentionnés au paragraphe (2) sont subordonnés :

  1. a) aux lois et usages d’application générale en vigueur dans une province donnée, s’ils n’établissent entre les personnes aucune distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle;
  2. b) aux lois prévoyant de justes conditions de résidence en vue de l’obtention des services sociaux publics.

(4) Les paragraphes (2) et (3) n’ont pas pour objet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer, dans une province, la situation d’individus défavorisés socialement ou économiquement, si le taux d’emploi dans la province est inférieur à la moyenne nationale.

Bien qu’il puisse paraître étrange que l’article 6 impose des limites en même temps qu’il confère des droits, les circonstances entourant la rédaction de la Charte expliquent la raison d’être de chacune de ces limites :

Par exemple, à cette époque, le premier ministre du Québec, René Lévesque, soutenait que la liberté de circulation permettrait à trop d’anglophones de s’installer au Québec, ce qui n’encouragerait pas beaucoup les Québécois à apprendre le français!

En réponse à cet argument, l’alinéa 6(3)a) — qui permet aux provinces de se doter de lois limitant la liberté de circulation et d’établissement dans la mesure où elles n’établissent pas de distinction fondée principalement sur la province de résidence antérieure ou actuelle — a été ajouté à la Charte. Grâce à cette disposition, le Québec pouvait adopter des lois instaurant des obstacles à l’emploi fondés sur la langue, puisqu’il ne s’agit pas d’un critère lié à la province de résidence antérieure ou actuelle de la personne.

En même temps, les premiers ministres des provinces les plus riches du Canada — en particulier le premier ministre Lougheed de l’Alberta — s’inquiétaient de ce que la liberté de circulation et d’établissement puisse inciter des gens à quitter les provinces pauvres pour s’installer dans les provinces riches afin de profiter de prestations d’aide sociale ou de maladie plus généreuses.

Pour éviter cette situation, l’alinéa 6(3)b), qui permet aux provinces de fixer des conditions de résidence pour l’obtention de services sociaux, a été ajouté à la Charte. Ainsi, il devenait possible d’adopter des lois ayant l’effet de dissuader les gens de déménager dans le seul but de profiter des services sociaux.

Enfin, à l’époque où la Charte a été signée, l’économie de Terre‑Neuve était à la traîne, de beaucoup, par rapport à celle du reste du pays, mais on venait de découvrir dans la province un riche gisement de pétrole qui pouvait faire sa fortune. Pour garantir que la richesse créée par ces gisements de pétrole demeurerait à Terre‑Neuve, le premier ministre Peckford a insisté pour que la Charte lui permette de prendre des mesures favorisant, en matière d’emploi, les résidents de longue date de la province par rapport aux nouveaux arrivants.

En conséquence, le paragraphe 6(4) autorise qu’il soit porté atteinte au paragraphe 6(2) dans les provinces où le taux d’emploi est plus faible que dans le reste du pays!

Bien que ces limites circonscrivent sévèrement le droit de s’établir dans n’importe quelle province, chacune a été incluse pour des raisons très importantes. Sans elles, peut-être que la Charte n’aurait jamais été signée!

Ne manquez pas l’article de la semaine prochaine, dans lequel je conclurai mon examen des limites à la liberté de circulation et d’établissement en expliquant en quoi l’article 6 est circonscrit par l’article 1, la disposition des limites raisonnables.