Au cours des dernières semaines, j’ai expliqué en quoi la liberté de circulation et d’établissement prévue à l’article 6 de la Charte canadienne des droits et libertés est, en réalité, très limitée en raison des restrictions imposées à l’article 1 et inhérentes à l’article 6. Dans le présent article, j’examinerai en détail les restrictions les plus controversées applicables à la liberté de circulation et d’établissement, c’est-à-dire celles qui se rapportent à la possibilité énoncée à l’alinéa 6(2)b) de « gagner [sa] vie dans toute province ».

L’article 6(2)b) est souvent mal compris parce que l’expression « gagner [sa] vie » peut avoir différents sens. De façon générale, elle signifie « avoir un emploi ». Toutefois, les tribunaux en ont rapidement restreint la définition et ont adopté une nouvelle interprétation. Ainsi, ils considèrent que la liberté de circulation et d’établissement signifie que tous, sans égard à l’endroit où ils vivent, bénéficient de la possibilité de décrocher un emploi.

En théorie, cela signifie qu’un Canadien en recherche d’emploi ne devrait pas se trouver désavantagé par l’endroit d’où il vient. En pratique, la réalité est souvent tout autre. En 1984, la Cour suprême a rendu un jugement historique dans le dossier Malarctic Hygrade Gold Mines et a conclu que les associations professionnelles du Canada pouvaient refuser de reconnaître les titres de compétences en fonction de l’endroit où ils ont été acquis.

Depuis que cette décision a été rendue, plusieurs associations professionnelles ont établi des exigences strictes applicables à tous leurs membres. Par exemple, les avocats de l’extérieur du Québec ne peuvent porter des affaires devant les tribunaux québécois sans d’abord avoir passé l’examen du barreau de la province. De même, les comptables des États‑Unis ne peuvent pratiquer en Saskatchewan avant d’avoir réussi l’examen d’accréditation de la province.

Bien que certains considèrent que ce type de restriction peut empêcher certaines personnes de gagner leur vie dans toute province en raison de leur origine, les tribunaux estiment que ce sont des « limites raisonnables ».

Dans chaque cas, les tribunaux ont jugé que la pratique était acceptable puisque les associations professionnelles essaient simplement d’établir une norme que tous leurs membres doivent respecter. Par exemple, les avocats de l’extérieur du Québec ne connaissent peut-être pas le système de droit civil unique de la province. En outre, les normes comptables de la Saskatchewan sont différentes de celles des États‑Unis : voilà donc une limite raisonnable.

Bien que les tribunaux aient été clairs quant à leur position sur les titres de compétences étrangers, cette question est encore d’actualité. Cela dit, les dossiers récents ne portent pas sur les restrictions qui pourraient être interprétées comme constituant une violation de l’article 6. Ils relèvent la plupart du temps de l’une ou l’autre des deux catégories présentées ci-dessous.

Certaines personnes estiment que les restrictions relatives aux titres de compétences étrangers sont souvent trop sévères. Elles souhaitent que les règles des associations professionnelles soient assouplies pour en faire de véritables « limites raisonnables ».

D’autres personnes mettent l’article 6 de côté et se concentrent plutôt sur l’article 15, lequel interdit toute discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales et physiques. Ainsi, elles soutiennent que les restrictions relatives aux titres de compétences étrangers constituent une façon « légale » de discriminer les gens qui ont immigré au Canada et devraient donc être jugées inconstitutionnelles.

Même si ces argumentations n’ont mené à aucun changement important dans la façon dont le Canada traite et accepte les titres de compétence étrangers, elles ont servi de point de départ à une discussion – qui se poursuit – sur la pertinence éventuelle de changer ou de revoir cette façon de faire afin d’aider les Canadiens à gagner leur vie plus facilement.

Je vous encourage à revenir pour mon nouvel article, dans lequel je me pencherai sur un autre type de droit prévu par la Charte canadienne des droits et libertés, c’est‑à‑dire les garanties juridiques énoncées dans les articles 7 à 14.