J’ai été envoyée spéciale pour la paix au Soudan de 2002 à 2006. En 2004, au plus fort de la crise au Darfour, je me suis rendue dans de nombreux camps de réfugiés et j’ai pu constater de mes propres yeux les réalités de plus en plus terribles que vivent les femmes et les filles de la région, dont beaucoup étaient victimes de violences sexuelles.

Pire encore, ces femmes et ces filles étaient battues et violées par les soldats de leur propre gouvernement.

Je me souviens encore très bien d’une journée en particulier au cours de laquelle, alors que j’étais dans un camp de réfugiés à Nyala, une jeune fille est arrivée au camp, où on l’avait emmenée à l’aide d’une brouette. Elle avait été violée et sauvagement battue pendant qu’elle ramassait du bois de chauffage, ce qui constitue une tâche habituelle pour les jeunes filles.

Plus tôt ce jour‑là, j’avais discuté avec le gouverneur de Nyala, et celui-ci avait déclaré qu’il ne croyait pas que la milice du gouvernement viole des femmes et des filles. Quand je lui ai parlé de la jeune fille de 13 ans qui avait été violée et battue, il a finalement reconnu la gravité de la situation et a accepté de réunir les forces armées. À la suite de cette discussion, un nouveau protocole a été mis en place : des membres de la Gendarmerie royale du Canada se sont rendus sur place et ont enseigné aux forces locales des techniques d’enquête adaptées aux dossiers de viol. Ils ont aussi expliqué au personnel des hôpitaux comment faire passer des examens médico-légaux en cas de viol. Ils ont également pris des mesures pour que les jeunes filles soient accompagnées de personnel de sécurité lorsqu’elles allaient chercher du bois de chauffage; toutefois, cela s’est rarement avéré le cas.

La preuve que les violences fondées sur le sexe dirigées contre les femmes et les filles au Darfour étaient horribles n’est plus à faire. Quand je parlais avec des mères dont les jeunes filles avaient été violées, les mots me manquaient. Que peut-on dire à la mère d’une jeune fille qui a été la cible d’un viol collectif et d’une violation de ses droits? Comment peut-on trouver les mots pour apaiser une telle douleur?

Les femmes du Soudan travaillent extrêmement fort et elles mènent un grand nombre de campagnes pour faire modifier les lois sur le viol.

En 2009, le Salmmah Women’s Resource Centre et d’autres groupes de femmes activistes ont fait campagne afin de faire changer les lois du pays à cet égard. Comme le Code criminel de 1991, fondé sur la charia, considérait que le viol était une relation sexuelle hors mariage, il était difficile d’intenter des poursuites criminelles contre ce crime.

Malheureusement, quiconque avait été victime de viol était jugé coupable de relation sexuelle hors mariage, un crime punissable par lapidation à mort, pour les femmes mariées, ou par 100 coups de fouet, si celles-ci n’étaient pas mariées. Cette loi soudanaise faisait en sorte qu’il était particulièrement difficile de poursuivre les personnes ayant perpétré des actes de violence sexuelle dans le cadre du conflit du Darfour. Le fait que les autorités niaient complètement l’existence de ces crimes n’aidait en rien.

En février 2015, après de nombreuses années d’activisme et de travail acharné de la part des femmes, la loi sur le viol a été modifiée. Il est maintenant possible pour une femme d’accuser un homme de viol sans être elle-même accusée de relation sexuelle hors mariage.

Il y a encore beaucoup à faire au Soudan pour protéger les femmes et les filles. Comment faire pour effacer des années de violence à l’égard des femmes?

Je ne pourrai jamais oublier le regard de la jeune fille de 13 ans qui est arrivée au camp de réfugiés dans la brouette.

Sa douleur.

Sa peur.

Les larmes qui coulaient sur ses joues.

Ses larmes ont beau avoir séché, elle conservera toujours sa douleur et sa peur, et jamais je ne les oublierai.