J’aimerais d’abord remercier les plus éminents politiciens du pays, y compris notre premier ministre, qui ont condamné sans équivoque le racisme sous toutes ses formes, tant au Canada qu’à l’étranger. Il s’agit d’une preuve cruciale de leadership qui survient à un moment où nous en avons tous désespérément besoin. Malgré tout le respect que je dois à ces politiciens, je dois insister sur la nécessité d’agir en raison des tensions croissantes et du désordre civil : il ne suffit plus de condamner et de dénoncer les injustices raciales intégrées de façon systématique au fonctionnement du pays. Il n’est pas nécessaire de chercher bien loin pour voir les conséquences découlant d’une intervention inadéquate dans ce dossier.

On observe une aggravation croissante des tensions partout aux États‑Unis en raison de la persistance des épisodes de brutalité policière et de discrimination raciale à l’encontre des Noirs. La vérité dérangeante, c’est que nous ressemblons beaucoup plus à nos voisins américains que nous ne voulons bien l’admettre. Même si nous sommes différents, les Canadiens de partout au pays voient leur quotidien influencé par le racisme envers les Noirs, les Asiatiques et les Autochtones. Comme l’a déclaré le premier ministre Trudeau récemment dans l’un de ses points de presse quasi quotidiens : « Le racisme envers les Noirs, la discrimination systémique, l’injustice, ça existe aussi chez nous. » Nous trouvons souvent des excuses pour justifier nos propres gestes racistes et les actes de violence simplement parce que nous considérons qu’ils ne sont pas aussi graves que les horreurs qui se déroulent aux États‑Unis. Les images et les vidéos qui nous parviennent des États‑Unis devraient plutôt servir de signal d’alarme quant à l’urgence de la situation. Elles doivent créer des ondes de choc au sein de la population et alerter chacun d’entre nous : c’est ce qui pourrait nous arriver si nous continuons à normaliser le racisme et les comportements racistes et que, de façon simultanée, nous ne mettons pas en œuvre les changements de politique qui s’imposent. Nous pouvons faire mieux pour les Noirs, les Asiatiques, les membres des Premières Nations, les Inuits et les Métis, et c’est notre devoir.

En raison des circonstances actuelles, nous avons une occasion sans précédent de favoriser le dialogue avec ces membres de la collectivité. Nous devons nous servir de cette situation pour créer des campagnes afin de faire connaître davantage les expériences d’injustice raciale vécues par les Canadiens. Pour mobiliser la collectivité, il serait aussi possible de créer une ligne de crise nationale grâce à laquelle tous les Canadiens pourraient demander de l’aide au gouvernement et aux fonctionnaires, ainsi que signaler les incidents de racisme dont ils ont été victimes directement ou dont ils ont été témoins. Je suis consciente que le silence constitue l’une des façons les plus graves de balayer le racisme sous le tapis. Pour briser le silence, nous devons nous assurer que tous les citoyens disposent d’un moyen accessible de faire part de leurs réalités quotidiennes au gouvernement. Ainsi, les représentants du gouvernement obtiendront des données concrètes sur le racisme au Canada, ce qui leur permettra de gérer la situation de façon éclairée et constructive.

En outre, après avoir passé des décennies à lutter contre les inégalités raciales partout sur la planète, j’ai appris que l’adoption d’une stratégie centrale visant à cibler l’ignorance raciale relève de l’éducation civique. Par conséquent, je demande au gouvernement fédéral de procéder rapidement à la révision de tous les programmes d’éducation publique et d’y intégrer l’analyse critique fondée sur la race, de sorte que cette notion sous‑tende les études obligatoires de tous les élèves canadiens.

Comme il est nécessaire de provoquer un changement fondamental et durable sur le plan législatif, je réitère la demande que j’ai formulée en 2009 lors d’une déclaration devant le Sénat : j’exhorte le gouvernement à mettre sur pied un comité du Cabinet qui se pencherait sur toutes les formes de racisme qui mènent à l’exclusion sociale au Canada. Mon message était clair à l’époque, et il n’a pas changé : « Les groupes racialisés sont extrêmement diversifiés et différemment touchés par les manifestations du racisme. La plupart sont confrontés à des obstacles systémiques subtils, notamment les “plafonnements voilés” et les autres limites imposées à leur capacité à participer pleinement à la société. » Aujourd’hui, je me fais l’écho de ces paroles et, encore une fois, j’implore les membres du gouvernement d’agir de façon concrète plutôt que d’écouter passivement.

Personnellement, je refuse de poursuivre sur cette pente glissante sur laquelle nos voisins américains se sont engagés. Voilà pourquoi j’ai décidé de franchir un premier pas important pour contribuer aux changements de politiques durables et à long terme dont notre pays a besoin. J’ai écrit une lettre exhortant le gouvernement fédéral à mettre immédiatement en place le processus d’analyse comparative fondée sur la race (ACR). Comme le recours à l’analyse comparative entre les sexes plus (ACS+) – une politique de surveillance adoptée par le gouvernement actuel –, le recours à l’ACR contribuerait à garantir l’application d’une approche pangouvernementale visant à faire appliquer une surveillance critique fondée sur la race à tous les projets de loi présentés au pays. Je reconnais que la mention « plus » de l’ACS+ représente d’autres intérêts comme la race, l’origine ethnique, la religion, l’âge et les déficiences mentales ou physiques. Bien que cet effort soit louable, je crois qu’une politique de surveillance axée sur la race, comme l’ACR, est nécessaire pour bien cibler les injustices raciales sur le plan législatif et veiller à ce que cette notion ne soit pas considérée comme un facteur secondaire. Il faut poser des gestes à court terme et effectuer une planification à long terme pour favoriser les changements qui auraient dû être apportés il y a fort longtemps. La création d’un comité du Cabinet sur le racisme et l’adoption de l’ACR font partie des méthodes qui permettraient de changer les choses.

Je refuse de rester les bras croisés en attendant que les choses changent, c’est pour cette raison que j’ai décidé d’exiger des modifications. J’espère sincèrement qu’avec une participation active et continue à la lutte contre le racisme et à la mise en œuvre de toutes les initiatives et modifications législatives que je propose, nous pourrons à long terme atteindre mon objectif ultime, qui est de veiller à ce qu’une surveillance critique et approfondie des injustices raciales au Canada soit intégrée à tous les niveaux du gouvernement et, en fin de compte, de notre pays, dans son ensemble.