À l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, n’oublions pas que nous continuons de refouler des demandeurs d’asile vulnérables, fragiles et persécutés à la frontière canado‑américaine. N’oublions pas que le Canada soutient toujours l’Entente sur les tiers pays sûrs avec les États‑Unis et que, compte tenu de la fermeture récente de la frontière attribuable à la COVID‑19, ceux qui fuient la persécution ne peuvent même pas chercher refuge en passant par les points d’entrée irréguliers.
Selon cette entente, qui a été signée en 2004, le Canada et les États‑Unis se reconnaissent mutuellement comme des lieux sûrs pour les réfugiés à la recherche de protection. Conformément à l’Entente, les demandeurs d’asile doivent présenter leur demande dans le pays où ils arrivent en premier et ils ne peuvent pas la présenter à la frontière canado‑américaine. La faille de l’Entente, c’est qu’on y mentionne seulement les postes frontaliers officiels. Les réfugiés se rendent donc aux points de passage irréguliers pour présenter leur demande. À cause de la fermeture de la frontière durant la crise de la COVID‑19, les réfugiés ont aussi été refoulés aux points de passage irréguliers. Amnistie Internationale est au nombre des organisations de défense des droits de la personne qui ont demandé à maintes reprises au Canada de suspendre l’Entente après l’adoption de certaines mesures contre les migrants et les réfugiés par le président américain Donald Trump. La fermeture attribuable à la pandémie a rendu la situation de ceux qui cherchent notre protection encore plus critique.
Il est scandaleux que les États‑Unis soient toujours considérés comme un pays sûr pour les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants. Nous avons tous vu les conditions inhumaines des cellules dans lesquelles les réfugiés sont détenus et nous avons entendu le gouvernement américain soutenir en cour qu’il n’était pas tenu de leur fournir des brosses à dents, du savon ou une literie adéquate. Nous avons tous entendu parler des 1 500 enfants qui ont « disparu » et nous savons qu’ils sont des dizaines à avoir trouvé la mort. À l’heure actuelle, nous devons tous être au courant du traitement que les policiers américains réservent aux personnes de couleur et nous avons tous vu que le président américain n’a aucun scrupule à envoyer l’armée pour affronter des manifestants pacifiques. Pouvons‑nous véritablement juger toujours acceptable une entente qui considère que les États‑Unis sont un pays sûr pour les réfugiés et les personnes de couleur?
Il ne faut pas oublier les raisons pour lesquelles des personnes demandent l’asile et pour lesquelles une famille quitte son pays d’origine pour fuir vers un endroit qui n’est pas particulièrement accueillant. Ce n’est pas pour avoir une vie « meilleure », mais pour avoir une vie « tout court ». Ces gens se ruent vers nous pour se mettre à l’abri. Pouvez‑vous imaginer ce qu’on peut ressentir quand on vit dans la peur? Nous avons le privilège de n’avoir jamais eu à le faire et, pour bon nombre d’entre nous, cela est très difficile à imaginer. Je connais une femme qui a immigré au Canada depuis un pays totalitaire qui n’est même pas déchiré par la guerre. Voici ce qu’elle m’a dit :
« Pendant une année entière, j’ai dormi tout habillée et j’avais à côté de moi un sac de voyage contenant des articles de première nécessité, parce que je m’attendais à ce qu’ils viennent m’arrêter. Ils viennent toujours à l’aube. Nous les appelons “les visiteurs de l’aube”. Ils cognent à la porte, vous arrachent de votre lit et vous emmènent dans un lieu inconnu où vous passez des semaines, parfois des mois même. Pendant cette période, les détenus subissent une forme de torture ou une autre, qu’il s’agisse de privation de sommeil, de viol ou de décharges électriques. La seule chose que j’ai faite a été de dénoncer ces atrocités. La première fois où j’ai dormi, véritablement dormi, vêtue de mon pyjama, est la nuit qui a suivi mon arrivée au Canada. »
Cette femme a dit qu’elle n’arrive pas à imaginer ce que peuvent ressentir ceux qui fuient la guerre et les conflits armés, tout comme nous ne pouvons pas imaginer comment elle se sentait. N’oubliez pas que nous tournons le dos à ceux qui viennent chercher la sécurité et la compassion. N’oubliez pas que nous les renvoyons aux États‑Unis, où ils seront maltraités et peut‑être tués, comme George Floyd, ou dans leur pays d’origine, où ils risquent d’être victimes de torture et de viol. Il faut que nous soyons conscients que c’est ce que nous faisons. C’est comme si votre voisine frappait à votre porte parce que son conjoint essaie de la tuer et que vous la renvoyiez chez lui.
Devant le monde entier, le Canada a fait la promesse d’être un pays bienveillant, secourable et sûr. C’est l’engagement que nous avons pris dans les traités internationaux que nous avons signés et les discours que nous avons prononcés. Pouvons‑nous honnêtement continuer d’affirmer cela alors que nous renvoyons des gens aux États‑Unis? Sommes‑nous bienveillants envers une mère si nous la renvoyons, elle et ses enfants, dans les centres de détention américains où ses enfants risquent de lui être enlevés et où on refusera de lui donner des médicaments? Sommes‑nous bienveillants envers elle si les autorités américaines la renvoient dans son pays, où sa vie est menacée?
Que faudra‑t‑il faire pour annuler cette entente? Il n’est pas rare que des ententes soient améliorées et modifiées. Cela est arrivé plusieurs fois au cours des dernières années. Alors, pourquoi est‑il si difficile de défendre non pas les droits, mais la vie et la sécurité des personnes vulnérables? Comment, je vous le demande, discute‑t‑on même de cette question? Selon les valeurs canadiennes, la protection des personnes vulnérables n’est pas matière à débat, cela va de soi.