Lors de la fête des Pères, j’ai repensé à mon père, Sherali Bandali Jaffer. Il me manque beaucoup.
Ma mère et mon père étaient des parents très aimants, qui nous ont transmis beaucoup de valeurs importantes. Surtout, ils nous ont enseigné que nous devons toujours nous battre pour assurer l’égalité de tous.
Mon père en particulier avait l’habitude de dire que notre famille représentait l’identité de tous les continents.
Nous étions des Africains très fiers.
Nous étions originaires de l’Asie du Sud.
Nous étions musulmans.
Et un jour, nous sommes devenus Canadiens.
Il me rappelait que nous avions de la chance d’avoir toutes ces identités.
Selon mon père, ces identités s’accompagnaient d’une responsabilité. Aujourd’hui, je vois les choses de la même façon que lui : j’estime que je dois toujours défendre les droits de tous les êtres humains, de tous les horizons.
Je me souviens que lorsque j’étais une enfant, mon père a tenu plusieurs réunions secrètes avec ses amis, pendant lesquelles il discutait de ses plans de lutte pour l’indépendance de l’Ouganda.
Notre famille a été touchée lorsque le président Museveni a reconnu le travail accompli par mon père, qui a été combattant de la liberté en Ouganda et a protégé le peuple ougandais contre le pouvoir britannique. Il y a quelques années, il a reçu une médaille en reconnaissance de ses actions.
Il n’est pas donc surprenant que j’attribue à mon père le mérite d’avoir été exposée très tôt à la politique de première ligne et à l’organisation politique.
Je me souviens d’avoir accompagné mon père à de nombreux rassemblements politiques lorsqu’il se présentait pour être élu député en Ouganda. Beaucoup d’obstacles se dressaient devant lui et on ne s’attendait pas à ce qu’il gagne, au point où il n’avait même pas pris la peine d’organiser une fête pour célébrer sa victoire potentielle. Comme ceux d’entre nous qui travaillent dans le domaine politique le savent bien, ce fut un combat très dur et sournois.
Cependant, la forte opposition manifestée à son égard ne faisait que le pousser à travailler encore plus dur pour atteindre son objectif. Au fond de lui‑même, il savait qu’il faisait bouger les choses. Il m’a toujours dit qu’il savait qu’il allait gagner parce qu’il avait le soutien du peuple. Bien sûr, mon père a remporté l’élection, par 21 voix.
À titre de député africain, mon père a voyagé partout dans le monde. Chaque fois qu’il rentrait au pays, il nous racontait ses nombreuses histoires, qu’il ramenait toujours aux idées et aux principes du socialisme, du communisme et de la démocratie.
En 1972, en raison de l’ascension au pouvoir d’un nouveau dictateur et de la structure de la politique ougandaise, mon père a été démis de ses fonctions. Notre famille est devenue apatride et nous craignions de perdre tout ce pour quoi nous avions travaillé.
Ce fut une période très difficile pour nous tous. Malgré cela, mon père m’a toujours encouragée à avoir de l’empathie et de la compassion pour les autres. Quand j’étais jeune, j’étais très frustrée de voir que lorsque je me mettais en colère contre les Ougandais parce qu’ils ne nous protégeaient pas, mon père me rappelait toujours que c’était nous qui avions de la chance. Tant de personnes en Ouganda vivaient des souffrances inimaginables aux mains du dictateur de l’époque, Idi Amin.
Je le regardais avec colère et je me demandais comment il pouvait être aussi indulgent. Maintenant, comme j’ai moi-même vécu beaucoup de hauts et de bas au cours de ma propre carrière, je comprends ce qu’il voulait dire.
Nous avons fini par trouver refuge au Canada. Dès le moment où nous avons mis le pied en sol canadien, mon père a ancré dans l’esprit de tous ses enfants que nous étions Canadiens. Cette nouvelle identité s’accompagnait d’une nouvelle responsabilité. Nous devions désormais travailler pour le bien‑être du Canada et aider le pays à devenir le meilleur possible. Je me souviens qu’il m’a emmenée voir Pierre Trudeau et les membres du comité que son équipe mettait sur pied et préparait en vue de sa prochaine campagne électorale, à Vancouver.
Voyant mon intérêt et ma passion indéniables pour la politique, mon père m’a encouragée à me présenter pour devenir députée, non pas une, mais deux fois. Même si je n’ai peut-être pas obtenu le résultat que j’espérais, j’ai tiré des leçons très précieuses de cette période et j’ai appris à faire preuve d’humilité.
En 2001, j’ai été nommée au Sénat sur la recommandation de Jean Chrétien, qui était alors premier ministre; je me souviens encore de ce que mon père m’a dit. Ses propos faisaient écho aux paroles que j’avais entendues toute ma vie. Il m’a rappelé que je devais utiliser cette nouvelle position de pouvoir et de privilège pour créer l’harmonie au Canada et dans le monde entier. Aujourd’hui encore, je considère cela comme l’un de mes principaux objectifs, sur lequel est axé tout le travail que j’accomplis à titre de sénatrice. Chaque jour, c’est ce pour quoi je me bats, avec acharnement.
Malheureusement, lorsque je suis retournée à Vancouver, mon père était à l’hôpital, car il avait subi une crise cardiaque. À l’époque, j’étais envoyée au Soudan pour le Canada. Entre autres, ce poste m’a amenée à me rendre au Soudan pour favoriser les négociations de paix dans la région. Conscient de l’importance de ce travail et malgré la détérioration de son état de santé, mon père a demandé à mon mari de m’emmener à Ottawa. Le lendemain, j’ai pris l’avion pour le Soudan.
Cependant, avant que je quitte l’hôpital, mon père m’a rappelé une fois de plus ce qu’il m’avait enseigné tout au long de ma vie : « Tu es une fière Canadienne et ton rôle est de créer l’harmonie au Canada et dans le monde entier. » Je n’oublierai jamais ces mots. Mes deux parents croyaient, tout comme moi, que nous sommes nés pour créer l’harmonie, quel que soit l’endroit où nous vivons.
Malgré la tristesse que j’ai ressentie en quittant mon père, je n’ai pas pu m’empêcher de sourire.
Cela m’a ramenée à l’époque où j’étais enfant, quand ma mère voulait que je joue du piano et que mon père voulait que je fasse de la politique. Il va sans dire que mon père a gagné ce combat, comme nous en avons gagné tant d’autres tout au long de sa vie. Néanmoins, ma mère était une femme forte et déterminée. Chaque jour, elle insistait pour que je m’exerce au piano. Pour l’ennuyer, je me contentais de jouer seulement sur les touches blanches. Essayez-le; le son est terrible. Parfois, pour l’ennuyer encore plus, je jouais sur les touches noires. Essayez-le; le son est tout aussi mauvais.
Même lorsque j’étais jeune et entêtée, mon père s’installait à côté de moi et me rappelait que pour créer l’harmonie, je devais jouer à la fois sur les touches noires et sur les touches blanches.
Tout au long de ma vie, j’ai pris conscience de cette très précieuse leçon de mon père.
Pour qu’il y ait une véritable harmonie dans notre pays et dans le monde, nous devons traiter les Noirs, les Blancs et toutes les personnes racialisées sur un pied d’égalité. Ce n’est qu’alors que nous pourrons créer l’harmonie dans notre magnifique pays, le Canada, et promouvoir la paix dans les communautés du monde entier.
Aujourd’hui, à l’occasion de la fête des Pères, mon père me manque beaucoup. Je me souviens des leçons utiles qu’il m’a enseignées à propos de la vie et de l’importance de toujours créer l’harmonie.
Je t’aime, papa. Repose en paix.