Débats du Sénat (hansard)
1re Session, 39e Législature,
Volume 143, Numéro 72
Le mardi 20 février 2007
L’honorable Noël A. Kinsella, Président
LA CONDAMNATION DE L’EXÉCUTION DE SADDAM HUSSEIN
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, le Canada souhaite-t-il exporter seulement certaines de ses valeurs? L’exécution de Saddam Hussein par les autorités iraquiennes après qu’il eut été reconnu coupable de crimes contre l’humanité a suscité un mélange de joie et d’indignation dans le monde entier. En tant que musulmane chiite, je connais très bien les atrocités qu’il a commises lorsqu’il détenait le pouvoir. C’était un dictateur brutal, monstrueux même, qui avait recours à la terreur et à l’oppression pour consolider son règne. Même si le Canada n’a participé ni à sa capture ni à son procès, il ne fait aucun doute que la communauté internationale, y compris le Canada, avait énormément investi pour le traduire en justice.
Son exécution soulève d’importantes questions en ce qui concerne, d’une part, le type de valeurs que nous voulons exporter dans le reste du monde et, d’autre part, la question de savoir si les pays comme le Canada veulent exporter toutes leurs valeurs, ou seulement certaines d’entre elles. Voulons-nous être les seuls à bénéficier de certaines de nos valeurs?
Comme beaucoup de musulmans chiites et sunnites partout dans le monde, ma famille amorçait les célébrations de l’Aïd-al-Adha lorsque Saddam a été pendu. À l’Aïd-al-Adha, nous commémorons un événement connu de beaucoup de Canadiens musulmans et non musulmans, c’est-à-dire le moment où Dieu a demandé au prophète Abraham— que la paix soit avec lui — de sacrifier son fils pour mettre sa foi à l’épreuve. Il s’agit là d’un moment où les musulmans réfléchissent au sacrifice. On ne saurait négliger l’importance de l’exécution d’un personnage aussi controversé que Saddam Hussein pendant une période de conflit entre sectes en Irak, au début d’une des périodes les plus saintes dans le calendrier islamique.
La pendaison est une pratique qui révolterait la plupart des Canadiens aujourd’hui si elle avait lieu dans notre pays, même si elle était infligée aux pires criminels. Pourquoi demeurons-nous donc silencieux lorsque cela se produit ailleurs? Pourquoi restons-nous les bras croisés sans faire de commentaires, alors que le monde entier regarde?
Cette attitude fait fi des valeurs qui nous sont chères. Les Canadiens devraient comparer cette pratique à leurs propres valeurs, et non à celles du régime brutal de Saddam. Bien qu’elle ait pu constituer une amélioration par rapport à ce qui se passait sous la dictature de Saddam, elle a échoué lamentablement en n’atteignant pas les idéaux auxquels nous aspirons dans le genre de démocratie dont nous jouissons nous-mêmes et que nous voulons pour l’Irak.
Le Vatican et de nombreux pays ont vigoureusement dénoncé la peine de mort. Il faut du courage pour prendre une telle position et je les en félicite. Cela montre qu’aucun homme n’est terrible au point où nous devons renoncer à nos principes pour le vaincre. Je suis déçue que notre gouvernement soit demeuré silencieux au sujet de la pendaison de Saddam Hussein.
Lorsque le Canada refuse de défendre toutes ses valeurs, nous risquons d’envoyer le message selon lequel quelques-unes de nos valeurs ne sont pas importantes. Nous ne pouvons rien changer à l’exécution de Saddam Hussein, mais il nous incombe à tous de nous prononcer d’une seule voix et de dénoncer toute dérogation aux valeurs que nous cherchons à promouvoir ailleurs, peu importe où cela se produit. Si nous ne le faisons pas, nous mettrons ces valeurs en péril partout.