Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 24

Le jeudi 27 octobre 2011
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Le décès de Mme Gulbanu Sherali Bandali Jaffer

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à mes parents, surtout à ma mère et aux vôtres. La mienne s’appelait Gulbanu Sherali Bandali Jaffer. Nous l’appelions tous « Maman ». Elle nous a enveloppés de son amour et elle illuminait notre vie.

Maman a été la première jeune fille en Afrique de l’Est à passer ce qu’on appelait le London Matriculation, un examen qui est l’équivalent d’une épreuve d’admission à l’université. Elle voulait devenir mathématicienne. Elle a été la plus jeune directrice de son école et avait souvent des élèves plus âgées qu’elle. Elle a épousé mon père, Sherali Bandali Jaffer, un homme politique, et, peu après leur mariage, ils sont allés s’installer en Ouganda. Elle a très rapidement adopté le travail de mon père. Avec son aide, elle offrait un refuge à des mères célibataires dans notre maison. Mes parents se sont occupés de plus de 75 enfants ou ont été leurs parrains et marraines.

Maman n’a jamais perdu son amour des études. Elle a continué à étudier et est devenue travailleuse sociale et agent de probation à Kampala, en Ouganda. Le gouvernement ougandais l’a envoyée parfaire ses études à Londres, en Angleterre, et à l’Université Kent, en Ohio. Pendant ce temps, notre père s’occupait de nous tous.

Lorsqu’elle était travailleuse sociale, je me souviens très bien d’avoir vu ma mère aller tous les mois de magasin en magasin pour demander de la nourriture. Sa petite Volkswagen était toujours pleine de nourriture qu’elle distribuait aux nécessiteux. Souvent, lorsque j’étais avec elle, j’ai entendu des commerçants lui dire qu’ils lui avaient donné de la nourriture le mois précédent. Les yeux pétillants et un large sourire aux lèvres, elle leur répliquait poliment qu’il fallait manger tous les jours et que les enfants étaient affamés. Elle intimidait les marchands jusqu’à ce qu’ils l’aident si aucun autre moyen n’avait réussi. Ils ne pouvaient jamais lui dire non.

Lorsqu’elle était agent de probation, elle agissait comme si chaque enfant qui avait des ennuis avec la loi était le sien. Le juge Lule nous disait souvent que Maman n’acceptait jamais un non. Elle parvenait toujours à convaincre les juges de la laisser elle-même superviser les jeunes plutôt que de les envoyer en prison. Beaucoup de gens nous disent qu’elle a changé leur vie en prenant leur défense.

Maman a été une des premières personnes à exposer au grand jour les atrocités commises par Idi Amin. Elle a fait savoir au monde qu’il torturait et battait des gens à mort. Elle n’avait peur de rien.

Mes parents ont dû fuir l’Ouganda avant l’exode des Asiatiques en raison de leur militantisme et ils ont perdu toutes leurs possessions et tous leurs avoirs. Maman ne s’est jamais plainte d’avoir perdu ses beaux vêtements et ses beaux bijoux. Tout ce qu’elle disait, c’est qu’elle aurait bien aimé avoir ses grandes marmites pour cuisiner plus facilement pour notre grande famille.

Lorsque Maman est arrivée au Canada, elle a obtenu immédiatement le droit de travailler. Le jour où elle a obtenu ce permis, elle m’a dit de retourner à l’école pour obtenir un diplôme et qu’elle s’occuperait de mon fils Azool.

Avec l’aide du sénateur St. Germain et de l’ancien ministre Whelan, mes parents sont devenus producteurs d’œufs à Abbotsford, en Colombie-Britannique.

Comme ils ne pouvaient pas retourner en Ouganda, ils ont fondé des pensionnats en Inde et se sont fait un devoir d’encourager les jeunes filles à étudier. Aujourd’hui, nombre de ces anciennes élèves vivent dans divers pays et subviennent aux besoins de leur famille.

Mes parents sont retournés en Ouganda dès qu’ils en ont eu la possibilité. La dernière fois qu’ils y sont retournés, c’était pour finir ce qu’ils avaient commencé, à savoir doter d’ordinateurs les écoles réservées aux jeunes filles. Ils étaient tout à fait résolus à faire en sorte que les jeunes Ougandaises bénéficient des mêmes possibilités que les jeunes du Canada.

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Maman a inspiré de nombreux éloges lors de ses funérailles. Le ministre des Affaires étrangères de l’Ouganda, entre autres, a déclaré qu’elle laissait le souvenir d’une femme dévouée au service des jeunes et des plus démunis.

Maman laisse derrière elle un époux merveilleux, six enfants, cinq brus et gendres, 15 petits-enfants et un arrière-petit-fils.

Son décès a assombri nos vies. Nous ne pouvons plus la serrer dans nos bras, nous ne pouvons plus lui téléphoner. J’invite donc tous ceux d’entre vous qui peuvent encore le faire à téléphoner immédiatement à leur mère. Moi, je ne pourrai plus jamais embrasser ma mère ou lui parler.