Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 37e Législature,
Volume 139, Numéro 105

Le mercredi 17 avril 2002
L’honorable Dan Hays, Président

LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

ADOPTION DE LA MOTIONSOULIGNANT LE VINGTIÈME ANNIVERSAIRE

L’honorable Mobina S. B. Jaffer: Honorables sénateurs, je suis heureuse de participer aujourd’hui au débat spécial sur la Charte canadienne des droits et libertés à l’occasion du 20e anniversaire de son entrée en vigueur.

Le 11 septembre 2001, lorsque nous avons vu le deuxième avion frapper la tour sud du World Trade Center à la télévision, c’est le Canada tout entier qui s’est trouvé en état de choc. Des gens d’un bout à l’autre du pays ont ouvert leur coeur et leur porte aux voyageurs immobilisés. Il nous a tous fallu quelques jours pour nous remettre de nos émotions.

Puis il y a eu la colère, une colère telle que quiconque ressemblait aux terroristes était un suspect. Certains membres de notre collectivité craignaient des représailles. Pourquoi? En partie parce que, en tant que pays, nous nous rappelions l’internement des Japonais durant la Deuxième Guerre mondiale.

(1540)

L’internement des Japonais a débuté le 7 décembre 1941, par l’arrestation de plus de 22 000 personnes d’ascendance japonaise. Le gros de ces personnes habitaient en Colombie-Britannique et la vaste majorité d’entre elles étaient naturalisées canadiennes ou nées au Canada. Ces personnes ont été embarquées et mises en état d’arrestation sans motif, et leurs biens ont été saisis en raison de similarités superficielles ou culturelles avec les habitants du Japon. On leur a enlevé leur foyer et leur bateau de pêche — qui était leur gagne-pain. Sans doute plus horrible encore, les Canadiens d’origine japonaise ont été séparés de leurs familles et transportés à l’autre bout du pays, dans un camp de prisonniers situé en Ontario.

Ce n’est qu’en 1949, des années après la fin de la guerre et quatre ans après la reddition du Japon, que la majorité de ces personnes ont été autorisées à rentrer en Colombie-Britannique. Toutefois, elles ne pouvaient réintégrer leur foyer, leur propriété ayant depuis longtemps été vendue à une fraction de sa valeur.

La question que se posent les gens, et en particulier ceux d’entre nous qui sont membres d’une minorité visible, est la suivante: des personnes pourraient-elles être aujourd’hui embarquées et expédiées dans des camps comme ce fut le cas en 1941? La réponse est non.

Le 7 avril 1982, la Charte est devenue loi. Elle représente les valeurs des Canadiens, réunies et exprimées dans des mots inscrits dans la Constitution du pays. C’est important non seulement parce que les Canadiens y trouvent une expression écrite des valeurs que défend le pays sur la scène mondiale, mais aussi parce cela signifie que ces valeurs seront respectées dans toutes les lois du pays.

Ceux d’entre nous qui ont eu le privilège de servir dans cette Chambre ont été grandement aidés par la présence et la force de la Charte. La Charte canadienne des droits et libertés répond fort bien au besoin des Canadiens d’avoir l’assurance que leur gouvernement respectera leurs droits et leurs valeurs, même lorsque de grandes pressions s’exercent.

À la rubrique «Droits à l’égalité» du paragraphe 15(1), on précise ce qui suit:

La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont le droit à la même protection et aux mêmes bénéfices de la loi, indépendamment de toute discrimination.

De plus, la Charte confère à tous les Canadiens le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de leur personne. Ainsi, les Canadiens ne peuvent être soumis à quelque forme de détention injustifiée et arbitraire que ce soit, ce qui est exactement ce qui s’est produit dans le cas des Canadiens d’origine japonaise, comme le premier ministre Mackenzie King l’a reconnu en 1944 lorsqu’il a dit:

Il est vrai que jamais une personne de race japonaise née au Canada n’a été accusée de quelque geste de sabotage ou de déloyauté que ce soit pendant les années de guerre.

[Français]

Aujourd’hui, nous pouvons tous nous unir comme nation en sachant que, grâce à la Charte canadienne des droits et libertés, jamais plus une situation comme l’internement des Japonais ne se reproduira.

[Traduction]

Des leçons ont été tirées de cette expérience, comme le danger de tenir pour acquis que toute personne qui ressemble à notre ennemi devient notre ennemi.

[Français]

Ainsi, après le 11 septembre, la majorité des démocraties occidentales ont rapidement adopté des mesures plus rigoureuses pour se prémunir contre les dangers exceptionnels du terrorisme mondial et pour protéger leur mode de vie.

[Traduction]

Le Canada en a fait autant et a rédigé une loi antiterroriste, le projet de loi C-36, pour nous permettre de réagir efficacement aux problèmes du terrorisme international et aux problèmes de sécurité connexes. On a pris grand soin, lors de la rédaction de la loi antiterroriste, puis pendant le débat qui a suivi sur le projet de loi, de s’assurer que les groupes ethniques canadiens ne soient pas victimisés comme l’ont été les Canadiens japonais. Le premier ministre a participé à de nombreux rassemblements, notamment dans une mosquée, pour rassurer tous les Canadiens.

Les Canadiens respectent les valeurs de l’harmonie et du multiculturalisme et ont appris à accorder aux communautés un espace multiculturel à l’intérieur duquel elles puissent pratiquer leurs croyances religieuses à l’abri de la discrimination. Les Canadiens ont besoin d’avoir l’assurance que ce qui est arrivé aux Canadiens d’origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale ne puisse se répéter. Grâce à la Charte des droits et libertés, ce genre de situation ne pourrait plus se produire. Les Canadiens de tous les milieux peuvent se réjouir parce que la Charte des droits et libertés a renforcé notre pays. Nous pouvons tous travailler et nous amuser sans crainte.

Nous avons tout lieu de nous réjouir de l’adoption de la Charte des droits et libertés dans notre grand pays. Les droits et libertés dont nous jouissons aujourd’hui ont permis aux minorités de s’intégrer à la société canadienne. Nous sommes tous citoyens de notre grand pays. Je remercie ceux qui ont eu la vision et la force de créer la Charte des droits et libertés et la fermeté nécessaire pour lui donner force de loi le 17 avril 1982.