Débats du Sénat (hansard)
2e Session, 37e Législature,
Volume 140, Numéro 36
Le jeudi 13 février 2003
L’honorable Dan Hays, Président
LA PANDÉMIE DU VIH/SIDA
INTERPELLATION
L’ordre du jour appelle:
Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénateur Oliver, attirant l’attention du Sénat sur la pandémie du VIH/sida qui touche certains des pays les plus populeux du monde, comme l’Inde et la Chine, et qui tue actuellement 6 000 Africains par jour, et sur le rôle que le gouvernement du Canada pourrait jouer dans la lutte contre cette maladie qui décime actuellement une grande partie du tiers monde.—(L’honorable sénateur Jaffer).
L’honorable Mobina S. B. Jaffer: Honorables sénateurs, je veux d’abord attirer l’attention des sénateurs sur cette importante question qu’est le sida. Il est fini le temps où le sida était strictement un problème de santé. Aujourd’hui, il a des répercussions sur les structures sociales, économiques, culturelles et politiques de la plupart des pays.
Mon expérience la plus mémorable relativement à cette difficile question a été lorsque je suis retournée dans mon pays d’origine, l’Ouganda, en 1990. J’ai été bouleversée de découvrir les changements énormes que l’épidémie de VIH/sida a provoqués non seulement chez les gens, mais aussi dans la société et dans le pays lui-même.
Durant mon voyage, je suis retournée dans le parc que j’avais l’habitude de visiter chaque dimanche avec ma famille lorsque j’étais fillette. La paysage serein dont je me souvenais n’était plus là. Le parc était plein d’enfants qui n’avaient plus d’autre endroit où aller. Autrefois, les jeunes Ougandais étaient toujours recueillis par des membres de la famille. L’épidémie de sida a enlevé à ces enfants non seulement leur famille immédiate, mais aussi leur famille élargie.
Lorsque j’ai parlé aux enfants dans le parc, je me suis vite rendu compte qu’ils n’étaient plus des enfants; ils avaient été forcés de devenir de jeunes adultes, essayant de survivre dans les rues de Kampala. Lorsque je vivais en Ouganda, nous avions un dicton: il faut un village pour élever un enfant. Il ne reste plus de villages, et les enfants sont laissés à eux-mêmes.
J’ai essayé de comprendre l’ampleur de cette maladie. Plus de 42 millions de gens dans le monde sont infectés par le VIH/sida. C’est plus que la population du Canada. Pourtant, ce qui est le plus frappant, c’est l’impact que ces chiffres ont sur chaque village et sur chaque collectivité. Une génération entière est perdue. Les jeunes qui étaient auparavant des enseignants, des politiciens, des dirigeants religieux, des agriculteurs, des poètes, des mères et des pères sont tous malades ou mourants. Ceux qui sont encore en santé doivent porter le fardeau additionnel d’une société souvent à bout de souffle.
L’approche du Canada à l’égard du développement, tout comme notre approche à l’égard du VIH/sida, doit être globale. Le sida entraîne des problèmes comme le sous-développement et l’instabilité chroniques. Cependant, tous ces facteurs contribuent aussi à la propagation du sida. Comme le sénateur Morin l’a mentionné, cela devient un cercle vicieux. Nous devrons nous attaquer à ces questions de façon globale si nous voulons que nos efforts soient fructueux.
Les programmes de soins de santé primaires et de médicaments sont importants, mais on ne pourra jamais s’attaquer convenablement à l’épidémie de sida si on ne se penche pas sur ses causes profondes. Le Canada est un chef de file en ce qui a trait à l’intégration du VIH/sida comme priorité dans plusieurs aspects de son programme d’aide au développement. Les initiatives de réduction de la pauvreté, de promotion de l’éducation et de la formation et de création d’emplois contribuent à briser le cercle qui a mené à l’épidémie de sida. C’est une approche globale qui réunit les collectivités, les gouvernements, les chefs spirituels et les professionnels de la médecine. Pourtant, il importe de reconnaître que certaines populations sont plus vulnérables à l’infection au VIH/sida que d’autres.
D’un point de vue purement biologique, les femmes sont de trois à cinq fois plus susceptibles de contracter le VIH/sida que les hommes et constituent la majorité des victimes. C’est également chez les femmes qu’on enregistre la croissance la plus rapide du nombre de nouveaux cas d’infection au VIH/sida. Encore une fois, on ne peut pas considérer l’aspect biologique de façon isolée.
Les différences de pouvoir et les inégalités socioéconomiques que vivent les femmes augmentent leur vulnérabilité au sida. Par exemple, dans la plupart des sociétés, les hommes jouent un rôle dominant dans les relations sexuelles. Les femmes sont rarement en position d’exiger des pratiques sexuelles sécuritaires ou de refuser les avances sexuelles. Les stéréotypes masculins contribuent également à aggraver le problème parce qu’ils incitent les hommes à avoir plusieurs partenaires et les découragent de se renseigner sur les pratiques sexuelles sécuritaires.
En outre, en raison du fossé qui, dans la plupart des sociétés, sépare les hommes des femmes, pour ce qui concerne l’éducation, les revenus et le statut social, les femmes doivent souvent compter sur les hommes pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants. Pourtant, du fait du taux élevé de contamination, les femmes doivent souvent assumer des rôles complémentaires, par exemple celui de chef de famille, d’infirmière auprès des malades et des mourants, et de parent auprès des enfants devenus orphelins. D’où l’importance primordiale de parler des rôles masculins et féminins et de la dynamique qui existe entre les hommes et les femmes, pour régler le problème posé par l’épidémie du sida.
L’aide au développement fournie par le Canada a été axée sur la prestation de services spécialement destinés aux femmes dans des domaines comme l’éducation, la formation et l’accès aux soins de santé. Nous avons constaté que, en améliorant la confiance en soi des femmes et en les informant de leurs droits, on accroît leur pouvoir de négociation dans le cadre des relations sexuelles. En outre, le Canada a choisi d’essayer d’améliorer le niveau de vie des familles, d’accroître les possibilités d’emploi et d’améliorer la stabilité, autant de facteurs qui contribuent indirectement au ralentissement de la propagation du sida.
Bien que le Canada ait joué un rôle de premier plan, il y a encore beaucoup à faire. Le sida fait toujours l’objet de tabous qui empêchent de discuter ouvertement de prévention et de traitement. Il faut briser cette loi du silence. Au fur et à mesure que de l’argent frais sera disponible, nous devrons nous occuper de toute une série de problèmes liés à cette épidémie. Le Canada devrait faire usage de son influence pour veiller à ce qu’une approche complexe soit retenue pour s’attaquer aux causes et conséquences diverses de l’épidémie.
Honorables sénateurs, nous devons continuer à soutenir l’excellent travail qui a été fait pour lutter contre le sida comme un problème communautaire à aborder de façon globale. Nous devons nous assurer que, partout dans le monde, ceux qui souffrent de cette maladie et de ses effets ne seront pas oubliés et que davantage de ressources seront débloquées pour les aider.
J’ai commencé mon intervention d’aujourd’hui en racontant aux honorables sénateurs que je me suis rendue en Ouganda en 1990. Il y a trente ans, comme jeune épouse, je suis allée dans le village de mon mari et je suis passée dans de nombreux villages pour m’y rendre. Mais en 1990, lorsque je suis allée rendre visite à la famille de mon mari, ces villages étaient tous disparus, conséquence du sida. C’est un problème grave pour toute l’humanité. J’ai vu de mes propres yeux des villages où il n’y avait que des jeunes enfants et des personnes âgées, sans personne d’âge moyen pour s’occuper des enfants ou des vieillards. Les jeunes adultes sont disparus. C’est la conséquence du sida.
J’exhorte tous mes collègues sénateurs à faire en sorte que la lutte contre le VIH/sida dans le monde entier demeure une priorité de notre gouvernement.
Des voix: Bravo!