Débats du Sénat (hansard)

3e Session, 37e Législature,
Volume 141, Numéro 28

Le mercredi 31 mars 2004
L’honorable Dan Hays, Président

LE RWANDA

ADOPTION DE LA MOTION VISANT À RECONNAÎTRE LE GÉNOCIDE

L’honorable Mobina S. B. Jaffer, conformément à l’avis donné le 29 mars 2004, propose:

Que le Sénat exhorte le gouvernement du Canada à reconnaître le génocide du peuple rwandais et à condamner toute tentative de nier cette vérité historique ou de la déformer pour camoufler le fait qu’il s’agissait effectivement d’un génocide, un crime contre l’humanité.

— Honorables sénateurs, aujourd’hui, l’Association parlementaire Canada-Afrique et le groupe Les femmes, la paix et la sécurité commémorent le 10eanniversaire du génocide au Rwanda. À cette occasion, madame le sénateur Andreychuk s’est adressée à la communauté rwandaise pour affirmer que le génocide au Rwanda ne concernait pas seulement le peuple rwandais, mais tous les peuples de la Terre.

M. Gasana, président de l’Association Humura, a présenté avec éloquence les prochaines étapes qui devront être franchies pour les survivants. M. Philibert Muzima a eu assez de courage pour nous faire part de son expérience personnelle du génocide. Il a terminé en disant: «Quand est-ce que ce sera justice pour nous?»

Mme Gertrude Murekatete a parlé du rôle des mères et elle a déclaré qu’elle voulait enseigner aux jeunes enfants canadiens qu’on ne tue pas une personne parce qu’elle a les cheveux blonds ou bruns; ce n’est pas correct.

Honorables sénateurs, nous avons entendu des témoignages très émouvants aujourd’hui et je vous invite à visiter le site Web de l’Association Humura et à y lire les nombreux témoignages de Canadiens d’origine rwandaise qui nous font partager leur terrible histoire.

Honorables sénateurs, depuis la Seconde Guerre mondiale, peu d’événements peuvent se comparer à ce qui s’est passé au Rwanda il y a juste dix ans. En cent jours à peine, ce qui correspond à la durée à ce jour de l’administration de notre nouveau premier ministre, plus de 800 000 hommes, femmes et enfants ont été violés et assassinés. Je signale que ce nombre correspond à celui des populations combinées d’Ottawa et de Gatineau. Depuis l’Holocauste, c’est le pire génocide dont le monde a été témoin.

Selon un rapport de l’organisation Human Rights Watch, il n’a pas été facile de rompre les liens entre les Hutus et les Tutsis. Pendant des siècles, ces peuples ont partagé la même langue, la même histoire et les mêmes coutumes.

Honorables sénateurs, quand j’étais jeune fille, j’avais l’habitude de passer mes vacances au Rwanda. Je garde d’excellents souvenirs de ce pays. J’y rendais visite à mon oncle et je jouais avec d’autres enfants, pendant des heures, dans son grand jardin. Je me rappelle que des enfants de toutes les origines ethniques jouaient ensemble. Dans mon regard d’enfant, il n’y avait pas de divisions. Pour autant que je me souvienne, nous nous amusions simplement ensemble, dans un pays très pacifique.

Le génocide rwandais a été un des événements marquants du XXe siècle. Pour les Rwandais, que ce soit au pays même ou à l’étranger, le génocide a eu des conséquences directes et tangibles. Quand les massacres ont cessé, les trois-quarts de la population tutsi avaient été décimés. Nombre de Canadiens ne savaient même pas qu’une telle horreur avait lieu.

Cependant, un Canadien a été témoin des événements qui se sont déroulés et a tenté désespérément d’aider les Rwandais avec le peu de moyens à sa disposition. Après avoir vaincu un désespoir profond qui l’a mené au bord de l’autodestruction et du suicide, cet homme s’est fait la voix du peuple rwandais. Lors d’une entrevue avec Ted Koppel, le général à la retraite Roméo Dallaire a déclaré qu’avec le temps, la mémoire n’efface pas les souvenirs traumatisants, mais les ravive.

J’ai d’excellents souvenirs du général Dallaire, qui a offert d’aider le Comité canadien sur les femmes, la paix et la sécurité dans son travail. J’admire son énergie et sa détermination.

Des gens comme le général Dallaire ont exprimé leur colère face à la manière dont le monde occidental a réagi pendant ces trois mois et demi. On a fait remarquer dans les journaux que le coup de barre porté par Tonya Harding à sa rivale avait reçu une plus grande couverture médiatique que le génocide. Le général Dallaire a très éloquemment posé la question suivante: «Est-ce que tous les êtres humains sont humains ou est-ce que certains sont plus humains que d’autres?»

Pourquoi l’attention du monde occidental ne s’est-elle pas davantage portée sur le Rwanda et sur ses habitants? Le général Dallaire affirme que rehausser le degré de respect pour la vie humaine et amener les pays occidentaux à aller au-delà de leurs propres intérêts est un objectif réalisable dans les années à venir. Il est pour nous un héros en raison non seulement de ce dont il a été témoin, mais aussi de la profonde influence que ces événements ont eue sur lui et de la manière dont il continue de s’occuper de cette question. Honorables sénateurs, nous aurions eu grand plaisir à recevoir le général Dallaire ici aujourd’hui, mais il est retourné au Rwanda pour partager son expérience avec le peuple rwandais.

Les Rwandais sont aux prises avec le défi de la reconstruction de leur vie et leurs communautés. Beaucoup sont venus au Canada pendant le génocide ou peu de temps après. Ils ont beaucoup de souvenirs qu’ils veulent partager avec nous. Honorables sénateurs, le monde a oublié le Rwanda une fois. Évitons que cela ne se reproduise. Reconnaissons, par cette commémoration, le 10e anniversaire de cette horreur.

J’aimerais lire le poème suivant, trouvé sur le site Web de l’Association Humura:

La masse et la majesté de ce monde,
Tout ce qui a du poids
Et pèse toujours autant
Reposait entre les mains des autres;
ils étaient insignifiants
Et ne pouvaient espérer aucune aide et aucune aide ne vînt:
Ce que leurs ennemis voulaient fut fait,
Leur honte, pire sort on ne pouvait souhaiter;
Ils perdirent leur fierté
Et, hommes, ils moururent avant leurs corps.