Débats du Sénat (hansard)
3e Session, 37e Législature,
Volume 141, Numéro 31
Le mercredi 21 avril 2004
L’honorable Lucie Pépin, Présidente intérimaire
LE CODE CRIMINEL
PROJET DE LOI MODIFICATIF—TROISIÈME LECTURE
L’ordre du jour appelle:
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Harb, appuyée par l’honorable sénateur Adams, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois.
L’honorable Mobina S. B. Jaffer: Honorables sénateurs, je prends la parole à propos du projet de loi C-14, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois, qui vise à modifier un certain nombre de dispositions techniques, et d’autres plus importantes, du Code criminel et de plusieurs autres lois.
Ces modifications vont de celles qui ne sont pas litigieuses à celles qui sont absolument nécessaires, comme les nouvelles règles de détermination de la peine dans le cas d’utilisation de trappes meurtrières pour protéger, comme le sénateur Nolin nous l’a expliqué, des endroits servant à la commission d’autres infractions, telles que la culture de marijuana.
(1500)
Cependant, certaines modifications ont une incidence plus générale qu’on serait porté à le croire au départ. Je m’attarderai à certaines incidences pour que tous les honorables sénateurs en soient conscients. Je tiens à préciser que je ne m’élèverai contre aucune de ces modifications; j’en signalerai le contexte.
Lorsque ce projet de loi a été examiné par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, nous avons eu l’occasion d’entendre l’honorable Irwin Cotler, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Lors des audiences, le ministre a été interrogé au sujet des modifications que le projet de loi C-14 apporterait à la Loi sur la preuve au Canada.
Le projet de loi C-14 abroge l’article 37.21 de la Loi sur la preuve au Canada. Les honorables sénateurs se souviendront que cette disposition faisait partie du projet de loi C-36, la Loi antiterroriste, qui a été déposé pour la première fois dans cet endroit en octobre 2001. Elle faisait partie d’un article de la loi relatif au pouvoir d’un ministre ou d’un fonctionnaire de s’opposer à la divulgation de renseignements devant des tribunaux qui avaient le pouvoir d’exiger la communication de renseignements dans un intérêt public précis. La disposition en question, l’article 37.21, obligeait un juge à tenir des audiences privées pour déterminer si l’objection était justifiée ou pour entendre l’appel d’une décision en ce sens. La modification proposée dans le projet de loi C-14 supprimerait cette exigence et redonnerait au juge le pouvoir de décider si la tenue d’audiences secrètes est justifiée.
Honorables sénateurs, cette modification n’est peut-être pas révolutionnaire, mais on peut comprendre qu’elle s’inscrit dans un contexte plus large. Cette modification faisait initialement partie d’une stratégie antiterroriste et elle démontre que, dans notre désir de protéger la sécurité et le secret relativement à des questions de sécurité nationale, il nous est arrivé d’aller trop loin.
Pendant les audiences de notre comité, le ministre de la Justice a déclaré ce qui suit au sujet de cette modification:
Il s’agit essentiellement d’une mesure permettant de corriger le projet de loi C-36 dont la portée s’est révélée trop vaste, devançant en quelque sorte l’examen actuel relatif à l’article 4 de la Loi sur la protection de l’information, l’ancienne Loi sur les secrets officiels, et l’examen général de l’automne prochain. C’est un genre de correctif en cours de route.
Honorables sénateurs, cela montre simplement l’importance de l’examen triennal de la Loi antiterroriste, mais également le fait que cet examen a déjà commencé.
À mesure que nous prenons conscience des conséquences pratiques de cette loi, nous nous rendons compte que nous avons, à certains égards, créé un équilibre inadéquat. Dans ce cas, nous avions empiété sur le pouvoir discrétionnaire des juges. Même si la sécurité est, bien entendu, une affaire sérieuse, le plus important est que nous avons peut-être aussi empiété sur les droits et libertés des Canadiens en général et peut-être plus particulièrement sur ceux des groupes minoritaires.
Honorables sénateurs, je vous ai déjà dit que j’ai pu observer les effets inquiétants que les pouvoirs conférés par la Loi antiterroriste avaient eus dans diverses communautés au Canada. La modification contenue à l’article 18 du projet de loi C-14 est une confirmation de plus que le moment est venu d’examiner la loi.
Mieux encore, cette modification montre bien que nous ne devrions pas prendre trop rapidement de nouvelles mesures avant que cet examen n’ait lieu. Si cet examen doit nous amener à revoir toute la stratégie antiterroriste que le Canada a mise en oeuvre jusqu’à maintenant, nous pouvons certainement attendre jusqu’à ce qu’il soit terminé; nous aurons alors une image plus complète des dangers possibles, pour la sécurité et pour les libertés civiles, avant d’ajouter d’autres dispositions qui risquent de perturber le délicat équilibre entre les deux.