Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 39e Législature,
Volume 143, Numéro 20

Le mardi 6 juin 2006
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALELE CODE CRIMINELLA LOI SUR L’ENREGISTREMENT DE RENSEIGNEMENTS SUR LES DÉLINQUANTS SEXUELSLA LOI SUR LE CASIER JUDICIAIRE

PROJET DE LOI MODIFICATIF—DEUXIÈME LECTURE—SUITE DU DÉBAT

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Nolin, appuyée par l’honorable sénateur Andreychuk, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur la défense nationale, le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le casier judiciaire.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-3, lequel modifie la Loi sur la défense nationale de façon à harmoniser notre système de justice militaire avec nos tribunaux civils pour ce qui touche l’enregistrement des délinquants sexuels.

À l’heure actuelle, aucune mesure ne permet à une cour martiale d’obliger une personne déclarée coupable d’une infraction sexuelle de faire enregistrer les renseignements la concernant comme peuvent le faire les tribunaux civils. Le projet de loi S-3 vise à faire disparaître cette différence, tout en tenant compte des besoins opérationnels de nos forces militaires ainsi que des droits et obligations de nos soldats.

Le projet de loi apporterait également des modifications destinées à améliorer le fonctionnement en général de l’actuel registre fédéral des délinquants sexuels.

Comme le sénateur Nolin l’a signalé lorsqu’il a présenté le projet de loi S-3, ce projet de loi est assez semblable à un projet de loi que le gouvernement précédent a présenté pendant la dernière session.

D’autres sénateurs ont fait remarquer que le projet de loi S-39, ancêtre de celui-ci, avait franchi l’étape de la deuxième lecture et fait l’objet de six réunions du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Certaines des questions soulevées lors de ces réunions ont été réglées dans le projet de loi à l’étude.

Il importe par-dessus tout à un grand nombre de sénateurs de veiller à ce que l’on ne jette jamais le discrédit sur nos Forces canadiennes. Comme nous le savons tous, nos forces représentent actuellement le Canada à l’étranger, que ce soit en Afghanistan ou ailleurs, et certains de nos militaires ont déjà consenti pour nous le sacrifice ultime.

Chaque fois que nous faisons allusion à nos forces armées là-bas, il est important, selon moi, que nous rendions hommage aux efforts, à l’héroïsme et à la bravoure de ces Canadiens et Canadiennes.

Lorsque j’étais envoyée spéciale du Canada au Soudan, j’ai eu l’occasion de travailler en compagnie de quelques personnes faisant partie de la centaine de militaires canadiens stationnés au Darfour. J’ai pu constater moi-même la bravoure et le dévouement des membres des Forces canadiennes. Ils ont quitté leur foyer confortable au Canada pour être déployés dans un environnement hostile afin d’aider les déshérités de la terre.

L’expertise et le professionnalisme sans compromis dont font preuve les Forces canadiennes devant l’adversité et dans des circonstances imprévisibles sont renversants. Les Forces canadiennes sont nos ambassadeurs dans le monde, et les Canadiens sont extrêmement bien représentés par ces hommes et ces femmes. Nous devrions leur être reconnaissants non seulement pour leurs sacrifices, mais aussi pour les réussites qui sont trop souvent passées sous silence.

Même lorsqu’on n’approuve pas les politiques qui entraînent un déploiement de troupes, on peut être certain que les Forces canadiennes vont toujours se conduire en apôtres exemplaires des valeurs qui ont fait du Canada un pays si formidable.

Il faut donc souligner que le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui concerne des circonstances exceptionnellement rares. Bien qu’il soit de notre devoir d’étudier soigneusement ces nouvelles mesures, de les soupeser en jugeant de leur bien-fondé, nous devons également admettre qu’elles ne seront probablement pas appliquées bien souvent.

Selon le ministre de la Défense nationale précédent, seulement 17 personnes ont été accusées des infractions prévues dans le projet de loi qui nous est soumis, depuis que le registre des délinquants sexuels existe. Un petit nombre de personnes seulement sont condamnées chaque année par une cour martiale pour des infractions sexuelles. Il s’agit de trois personnes par année en moyenne. Malgré tout, il est important que les tribunaux militaires aient le pouvoir d’ordonner aux personnes condamnées pour des infractions sexuelles de se présenter aux autorités compétentes et de leur fournir l’information demandée pour qu’elle soit versée dans le registre des délinquants sexuels.

L’idée d’exiger des délinquants sexuels qu’ils fournissent aux autorités l’information qui les concerne n’est pas nouvelle dans cette enceinte. Nous avons non seulement approuvé en 2004 la loi initiale sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, mais nous avons également approuvé en principe, au cours de la dernière session du Parlement, le projet de loi S-39. Les honorables sénateurs ont accepté l’idée que le registre des délinquants sexuels est un outil légitime et utile pouvant aider la police dans ses enquêtes concernant certains crimes de nature sexuelle.

Par conséquent, il est essentiel que nous disposions d’un système obligeant les personnes condamnées à fournir l’information demandée et garantissant le respect de la confidentialité, de manière à ce que seules les personnes ayant légitimement besoin de cette information puissent l’obtenir.

Le sénateur Nolin a déjà dit au Sénat que ce système a été établi en vertu de la loi initiale sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, mais cette loi ne s’appliquait pas au système de justice militaire, ce qui fait que ce système accuse du retard. C’est ainsi qu’il n’y a pas au Canada d’uniformité d’application entre les tribunaux militaires et les tribunaux civils.

Le projet de loi S-3 vise l’uniformité d’application entre les deux systèmes tout en tenant compte des besoins qui sont propres aux opérations militaires. Il modifie la Loi sur la défense nationale ainsi que le Code criminel et la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. La plupart des aspects de ce projet de loi ont déjà été traités en détail, mais il y a des articles sur lesquels il serait bon de revenir.

Une des principales différences entre les modifications proposées dans le projet de loi S-3 et dans la première version de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels concerne le pouvoir conféré au chef d’état-major de la Défense de suspendre l’application de certaines obligations pour les justiciables du Code de discipline militaire. De plus, le chef d’état-major de la Défense aurait le pouvoir de dispenser des personnes de comparaître si cela entraîne la communication de renseignements pouvant compromettre la sécurité des opérations. Le projet de loi S-3 impose au chef d’état-major de la Défense l’obligation de rendre compte au ministre de la Défense nationale de son exercice de ces pouvoirs.

Ces pouvoirs conférés au chef d’état-major de la Défense n’exemptent nullement les membres des Forces canadiennes des obligations que leur impose la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. Ces obligations sont maintenues et ces pouvoirs ont simplement pour objet de prévoir une marge de manœuvre dans les cas où il y aurait contradiction entre les deux systèmes de justice.

Le chef d’état-major de la Défense pourrait aussi désigner des bureaux d’inscription tant au Canada qu’à l’étranger afin de permettre aux justiciables du Code de discipline militaire d’observer la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels.

L’existence de ces pouvoirs donne lieu à plusieurs questions légitimes. Dans quels types de circonstances serait-il indiqué de recourir à ces pouvoirs? Comment cela affectera-t-il les droits et les obligations de ceux qui sont tenus de s’inscrire en vertu de la loi? Pourra-t-on recourir à des freins et des contrepoids lorsque le chef d’état-major de la Défense exercera ces pouvoirs? Bien sûr, ces pouvoirs soulèvent aussi la question de savoir si une personne reconnue coupable d’une infraction sexuelle pourra servir au sein des Forces canadiennes.

Il m’apparaît extrêmement important d’empêcher que la réputation des Forces canadiennes puisse être ternie. Nos militaires, hommes et femmes, nous représentent dans le monde et, par conséquent, il est essentiel de déterminer si une personne reconnue coupable d’une infraction de nature sexuelle peut continuer de faire partie des Forces canadiennes. Il faut se rappeler que ce projet de loi traite de la question de savoir si, oui ou non, une personne que le système de justice militaire reconnaît coupable d’une infraction de cet ordre devrait être tenue de s’inscrire et, dans l’affirmative, comment elle doit le faire. La question de savoir si elle peut continuer à faire partie des forces armées n’est pas directement traitée dans ce projet de loi et, jusqu’à maintenant, cela relevait d’une décision interne prise au cas par cas.

De telles condamnations sont relativement rares et, la plupart du temps, la personne reconnue coupable est libérée des Forces canadiennes. Dans les cas où la personne est restée, elle a dû se soumettre à une période de probation et à un processus de counselling.

Je crois que nos militaires font preuve du professionnalisme et de l’engagement à exceller que j’ai relevés sur le terrain et je suis convaincue qu’elles poursuivront dans cette voie. Au cours de l’étude au comité, nous voudrons néanmoins examiner certains aspects de cet article.

Il y a aussi la rétroactivité qui fait problème. Aux termes du nouvel article 203.7 proposé de la Loi sur la défense nationale, le prévôt des Forces canadiennes peut obliger la personne qui purge une peine imposée pour une infraction aux termes de cette loi à enregistrer les renseignements la concernant. Cet article ressemble à une disposition de la première version de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, qui a donné lieu à un long débat au moment de son adoption.

La Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels vise à faciliter la tâche des corps policiers. Les obligations qu’elle impose aux personnes reconnues coupables ont pour but d’améliorer la sécurité de la population, pas de fournir une autre forme de châtiment.

Malgré l’intention déclarée du gouvernement d’inscrire une pleine rétroactivité dans la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, l’obligation concernant l’enregistrement que prévoit le projet de loi S-3 ne vise que les personnes encore assujetties au système de justice au moment de l’adoption du projet de loi. Il n’y a donc aucun changement par rapport à la première version de la loi. On établit ainsi un équilibre approprié entre les droits légaux des délinquants et le droit de la population à la meilleure sécurité possible.

Dans l’ensemble, les orientations du projet de loi S-3 sont similaires à celles qui étaient présentées dans le projet de loi S-39 de la législature précédente. Même si le gouvernement actuel a apporté quelques modifications à ce projet de loi, auquel le sénateur Nolin et d’autres ont fait allusion, bon nombre de ces modifications résultent de l’excellent travail accompli par notre comité au cours de la dernière législature.

La semaine dernière, j’ai assisté à une conférence au Royaume- Uni sur les conséquences des conflits pour les femmes et les filles. L’une des principales choses que les participants souhaitaient, c’était que la justice militaire soit aussi énergique que la justice civile dans les causes d’agression sexuelle.

Je sais que nos soldats ont un bon comportement, mais il n’en est pas moins important de lancer un message très clair. Il est tout aussi important, voire plus, que les autorités aient toute l’information voulue pour faire enquête sur les infractions sexuelles et sévir lorsqu’elles se produisent dans les Forces canadiennes.

C’est donc avec plaisir que j’appuie le principe du projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, et j’ai hâte d’étudier plus à fond cette mesure au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

(Sur la motion du sénateur Joyal, le débat est ajourné.)