Débats du Sénat (hansard)
2e Session, 39e Législature,
Volume 144, Numéro 71
Le mardi 17 juin 2008
L’honorable Noël A. Kinsella, Président
Projet de loi d’exécution du budget de 2008
Troisième lecture
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Stratton, appuyée par l’honorable sénateur Nolin, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-50, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 26 février 2008 et édictant des dispositions visant à maintenir le plan financier établi dans ce budget.
Le sénateur Jaffer : Honorables sénateurs, je voudrais parler aujourd’hui de la partie 6 du projet de loi C-50. J’aimerais aussi exprimer mon appui à ce qu’a dit hier notre collègue, le sénateur Murray, dans le cadre du débat de troisième lecture du projet de loi.
Moi aussi, j’aurais voulu que nous ayons entrepris plus tôt notre étude préalable du projet de loi C-50. Je suis sûre que la Chambre des communes aurait beaucoup profité de l’aide du Sénat à cet égard, comme elle l’a fait dans le cas du projet de loi antiterroriste. La réception de projets de loi à la dernière minute, ce qui ne nous laisse pas le temps de faire le travail nécessaire, a constitué un problème constant pour le Sénat au cours de cette session. Je peux citer les projets de loi C-3 et S-3 comme exemples d’étude insuffisante et d’absence d’amendements. En ce qui concerne le projet de loi S-3 sur les certificats de sécurité, nous procédons actuellement à une étude après coup, le projet de loi ayant été adopté, sans avoir une garantie quelconque que le ministre acceptera nos suggestions. Je conviens avec le sénateur Murray que cette situation s’est trop souvent produite cette session.
Honorables sénateurs, je suis également persuadée que le Sénat devrait entreprendre son examen des projets de loi importants et complexes dès leur première lecture à la Chambre des communes. Celle-ci devrait être en mesure de profiter de notre aide au cours de son examen de ces mesures législatives complexes. Si cette approche avait constitué la norme, la Chambre des communes aurait peut-être été au courant des mesures concernant les crédits d’impôt à l’industrie cinématographique que le Sénat a découvertes en étudiant le projet de loi C-10.
Comment peut-on s’attendre à ce que les députés comprennent tout quand il y a 560 pages de jargon juridique et financier complexe? Peut-être qu’ils s’en seraient rendu compte s’ils avaient étudié le projet de loi pendant plus qu’une journée avant de le renvoyer au Sénat.
Le sénateur Murray a fait valoir un argument valable à propos des compromis qui surviennent parfois en situation de gouvernement minoritaire. Je me réjouis qu’on ait fait ce compromis dans le cadre du projet de loi C-21, qui garantit la protection des droits individuels des membres des Premières nations.
Je crois que le projet de loi d’exécution du budget n’est pas l’endroit où apporter des modifications à la politique sur l’immigration. Les immigrants sont la base de notre pays et notre politique en matière d’immigration n’a pas sa place dans le projet de loi d’exécution du budget.
En étouffant le débat et en empêchant tout amendement, je crois que le gouvernement a laissé tomber les Canadiens. Je vais me faire l’écho des propos du sénateur Murray, qui a dit que nous avions nous aussi manqué à nos obligations en tant que Chambre de réflexion.
La politique canadienne sur l’immigration ne doit pas servir qu’à remédier à court terme à des lacunes de l’économie canadienne. C’est pourtant l’idée du projet de loi C-50; cette approche a une portée très étroite. Étant donné que le Canada accueille en moyenne de 240 000 à 265 000 immigrants chaque année, le projet de loi aura de vastes répercussions. La mesure législative ne tient pas compte de la manière dont la politique sur l’immigration transforme un pays. Le Canada est un pays qui a été fondé, bâti et nourri par les immigrants.
Le projet de loi confère au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration le pouvoir d’accorder la priorité à certaines catégories d’immigrants dont les compétences professionnelles font défaut au Canada. Parallèlement, il lui donne le pouvoir de refuser les demandes d’immigrants d’autres catégories. Je m’inquiète énormément de l’effet de ces mesures sur la réunification des familles.
Les détracteurs ne comprennent pas pourquoi le Canada abandonnerait des lois claires et transparentes en matière d’immigration au profit des mesures que contient le projet de loi C-50. Je suis défavorable à l’idée de donner au ministre ce genre de pouvoir discrétionnaire relativement aux dossiers d’immigration. Il ne fait aucun doute qu’il faut réévaluer et remanier le système d’immigration du Canada. Je pense qu’il serait difficile de trouver une seule personne qui estime que le système actuel sert bien notre pays. Cela dit, je ne pense pas que le Parlement ait abordé ces questions de manière appropriée ce printemps. Malheureusement, la ministre actuelle n’est même pas venue expliquer la mesure législative devant le comité.
Les dispositions concernant l’immigration auraient dû être séparées de ce projet de loi et faire partie d’un projet de loi distinct. Après l’adoption du projet de loi à l’étude, j’espère que nous allons nous donner une autre occasion d’aborder la question de l’immigration, puisque les Canadiens méritent mieux.
Honorables sénateurs, je suis attristée de penser que la semaine dernière, nous, Canadiens, avons été réunis dans la réconciliation alors que, cette semaine, de nombreuses personnes du Canada se sentent rejetées. La semaine dernière, nous avons travaillé fort pour redresser un tort. Nous avons travaillé fort dans le sens de la réconciliation. Cette semaine, nous travaillons fort pour aboutir à une mauvaise décision et nous agissons dans le sens de la division.
Une mère venant d’Asie du Sud m’a dit hier au téléphone qu’elle attendait depuis cinq ans que ses parents viennent la rejoindre pour que ses enfants puissent profiter de la présence de leurs grands- parents. Avec le projet de loi C-50, elle constate maintenant que ses enfants ne verront peut-être jamais leurs grands-parents au Canada.
Le gouvernement fait du tort aux citoyens canadiens. Nous divisons nos collectivités.
Honorables sénateurs, la semaine dernière nous avons œuvré dans le sens de l’harmonie. Permettez-moi de vous dire ce que signifie pour moi l’harmonie. Lorsque j’étais jeune, ma mère voulait que j’apprenne à jouer du piano, mais elle n’avait pas beaucoup de succès. Parfois, elle se fâchait. Elle me disait alors que pour atteindre l’harmonie il fallait jouer aussi bien les touches noires que les blanches. Pour la contrarier, je jouais parfois seulement les touches blanches ou seulement les touches noires. Je vous invite à essayer. Lorsque l’on divise les collectivités, on n’obtient pas l’harmonie. Comme dans le cas du piano, l’harmonie s’obtient lorsque la collectivité travaille de concert.
Aujourd’hui, avec l’adoption de ce projet de loi, nous aboutissons à la cacophonie au Canada. C’est un bien triste jour pour les Canadiens.