Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 40e Législature,
Volume 145, Numéro 8

Le mercredi 3 décembre 2008
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

LE DISCOURS DU TRÔNE

MOTION D’ADOPTION DE L’ADRESSE EN RÉPONSE—SUITE DU DÉBAT

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je suis heureuse d’avoir aujourd’hui l’occasion de répondre à certains aspects du discours du Trône du gouvernement. Je tiens à aborder les questions de diversité, d’accréditation, de sécurité mondiale et d’itinérance. En raison de contraintes de temps, je ne pourrai pas couvrir ces sujets avec toute la profondeur que j’aurais voulue.

J’ai trouvé que l’engagement du gouvernement du Canda à aider tous les Canadiens était encourageant. Je cite le discours du Trône :

Le Canada est fondé sur la promesse de pouvoir s’accomplir : travailler fort, élever une famille et avoir une vie meilleure. Aujourd’hui, il est plus important que jamais de concrétiser cette promesse et de garantir à tous les Canadiens et Canadiennes la chance de bénéficier de ce que notre pays peut offrir, sans égard à l’origine culturelle, au sexe, à l’âge, aux handicaps ou à la langue officielle. Notre gouvernement éliminera les obstacles qui empêchent les Canadiens d’atteindre leur plein potentiel.

Je reconnais que le Canada s’est bâti sur la promesse de pouvoir s’accomplir et je reconnais aussi que le temps de concrétiser cette promesse est venu. Par conséquent, j’exhorte fortement le gouvernement à s’occuper du sort des jeunes laissés-pour-compte dans les villes du Canada. Ce segment de notre population a besoin de l’aide du gouvernement pour pouvoir s’accomplir.

À ce propos, je demanderais au gouvernement fédéral d’examiner le rapport McMurtry-Curling sur les causes de la violence chez les jeunes présenté en Ontario. Les auteurs recommandent que les ressources gouvernementales soient affectées principalement aux collectivités ontariennes les plus démunies et décrivent comment la pauvreté, le racisme, le manque de logement convenable, des systèmes d’éducation qui ne sont pas ouverts aux différences culturelles et des perspectives d’emploi limitées ont un effet combiné qui conduisent au désespoir, à l’aliénation et à la dévalorisation, ce qui crée une situation qui conduit trop souvent à une explosion de violence chez les jeunes.

Le rapport McMurtry-Curling contient des mesures recommandées en vue d’améliorer les conditions sociales, de lutter contre la pauvreté et le racisme, de créer des possibilités d’emploi, d’établir un cadre stratégique global concernant les jeunes et des postes de défenseurs des droits afin d’accroître la collaboration entre les divers ministères et agences.

Les auteurs décrivent en outre le rôle que les gouvernements peuvent jouer et ils énoncent clairement ce que l’on peut faire pour les collectivités les plus vulnérables. Grâce à la formation, à l’éducation et à l’accès aux activités récréatives, on espère que ces jeunes gens auront une chance réelle d’avoir une vie productive qui ne sera pas marquée par la violence.

Honorables sénateurs, au sein de notre société multiculturelle, les jeunes qui n’ont pas réalisé leur plein potentiel pour diverses raisons se retrouvent privés de leurs droits. Il faut agir dès maintenant, comme l’a dit le gouvernement, pour que tous les Canadiens puissent profiter de ce que notre beau pays a à offrir.

La deuxième question que j’aimerais soulever aujourd’hui est celle de la reconnaissance des titres de compétence au Canada. Dans le discours du Trône, notre gouvernement s’est engagé à travailler :

[…] de concert avec les provinces afin de faire de la reconnaissance des titres de compétence étrangers une priorité, d’attirer au Canada des étudiants internationaux prometteurs et d’accroître la participation aux programmes d’établissement des immigrants.

L’engagement du gouvernement en cette matière m’a fait plaisir. Les coûts négatifs que cela représente pour le marché du travail, pour l’économie et pour les immigrants qualifiés sont très élevés.

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Le Canada dispose de professionnels et de gens de métier bien instruits qui sont issus de l’immigration et qui sont au chômage ou sous-employés. Nous invitons des gens compétents à immigrer au Canada, mais nous les laissons tomber une fois qu’ils sont au pays puisque nous acceptons qu’un médecin formé à l’étranger soit chauffeur de taxi ou qu’un ingénieur civil travaille comme inspecteur de bâtiments. Il y a longtemps qu’il aurait fallu régler ce problème, et c’est encore plus pressant dans le cadre de la politique visant à accélérer le traitement des demandes d’immigration faites par des personnes dont l’apport serait nécessaire pour l’économie du pays.

Pour trouver des solutions, il est impératif que nous comprenions les obstacles que doivent surmonter les nouveaux venus lorsqu’ils arrivent au Canada. Qu’est-ce qui les empêche de mettre à profit leur formation au sein de la main-d’œuvre canadienne? Qu’est-ce qui les empêche de gravir les échelons socioéconomiques?

La formation et l’expérience de travail acquises à l’étranger sont particulièrement sous-estimées sur le marché du travail au Canada. C’est l’un des principaux désavantages qui nuit aux travailleurs spécialisés issus de l’immigration. Nombre d’entre eux se trouvent pris dans un cercle vicieux lorsqu’ils entrent sur le marché du travail. Ils vont d’un emploi de survie à l’autre. Comme ce serait le cas pour n’importe quelle personne formée dans une profession particulière, le temps que passent les immigrants à travailler hors de leur domaine leur fait perdre progressivement leur compétence, ce qui réduit d’autant plus leurs chances de se trouver du travail dans la profession qu’ils comptaient pratiquer en immigrant au Canada. Le résultat à long terme est un faible revenu et une glissade vers le bas de l’échelle sociale pour le principal intéressé.

En raison de sa complexité même, la question de l’évaluation des titres de compétence constitue une tâche très difficile pour le gouvernement fédéral. Elle concerne un nombre effarant d’intervenants et d’administrations. On considère que la reconnaissance des titres de compétence relève des provinces. Par conséquent, le gouvernement fédéral qui, à l’heure actuelle, est responsable de l’immigration et de l’aide financière aux provinces, n’exerce aucune maîtrise sur les obstacles que doivent surmonter les immigrants qualifiés lorsqu’ils tentent de faire reconnaître leurs titres de compétence dans leur province. Ces obstacles existent au niveau de divers organismes de réglementation, aussi bien que d’établissements d’enseignement postsecondaire et de services d’évaluation des titres de compétence.

Je demande donc à notre gouvernement de réunir les provinces autour de la table pour discuter de l’accréditation des titres de compétence, comme il fait pour des questions comme la santé. Le gouvernement fédéral a une responsabilité à cet égard puisque l’immigration relève de sa compétence. C’est le ministère de l’Immigration qui, au départ, attribue les points relatifs à la scolarité et à l’expérience qui facilitent l’entrée d’un immigrant au Canada. Le bagage approuvé de scolarité et de compétence de l’immigrant doit être transférable dans son pays d’accueil.

Je proposerai un certain nombre de changements. On pourrait faire des changements au niveau fédéral pour favoriser un plus grand accès au marché du travail pour les immigrants qualifiés. Au fédéral, de nombreux observateurs ont préconisé une plus grande collaboration entre deux ministères, soit Citoyenneté et Immigration Canada et Ressources humaines et Développement social Canada, qui traitent de questions de main-d’œuvre ayant trait aux immigrants. Ces ministères fonctionnent de façon indépendante l’un de l’autre. Dans l’élaboration de sa programmation, Citoyenneté et Immigration Canada s’abstient traditionnellement d’intégrer la dimension des difficultés particulières du marché du travail auxquelles se butent les immigrants qualifiés. Conséquemment, les programmes ne répondent pas nécessairement aux besoins des immigrants. Par exemple, la formation linguistique qu’offre le ministère n’est pas d’un niveau acceptable pour bon nombre de milieux de travail.

Concernant d’autres possibilités, le gouvernement fédéral pourrait également envisager d’examiner certains de ses programmes actuels pour déterminer s’ils répondent aux besoins des immigrants. Dans cette optique, il conviendrait de déterminer si un programme comme celui du Bureau d’orientation relatif aux titres de compétence étrangers répond aux besoins des immigrants qualifiés.

Certains ont critiqué cette organisation en disant qu’elle ne fait que réunir des renseignements que les immigrants qualifiés peuvent déjà obtenir sur Internet. Nous devons déterminer si le bureau aide les immigrants à faire reconnaître leurs titres de compétence et à obtenir un emploi. Nous devons apprendre dans quelle mesure cette initiative est une réussite et déterminer si elle pourrait être élargie.

Je parlerai maintenant de l’assouplissement des règles et de la reconnaissance des titres de compétence. Il me semble aussi important de parler de la possibilité d’assouplir nos exigences. Les provinces devraient peut-être prendre note des commentaires qui ont été formulés par la ministre albertaine de l’Emploi, de l’Immigration et de l’Industrie. La ministre Iris Evans a souligné que les groupes professionnels devaient assouplir leur processus de reconnaissance des titres de compétence. Elle a dit : « Nous devons essayer de réduire le nombre de formalités administratives qui ont certainement leur raison d’être, tout en assurant la sécurité des Canadiens et en renforçant la main-d’œuvre. »

Elle a peut-être touché un point. Elle a parlé, par exemple, du fait qu’il y avait 10 000 médecins excédentaires au Royaume-Uni qui ne peuvent pas venir s’installer au Canada parce qu’ils n’ont pas de formation en obstétrique. Elle a dit : « Pourquoi ne pas les faire venir et leur donner une formation de quelques mois plutôt que de rejeter leur candidature? »

Mm Evans a également parlé de la vérification des titres de compétence avant l’arrivée de la personne au Canada. Elle est d’avis qu’il faut être prudent et que Citoyenneté et Immigration Canada devrait vérifier les titre de compétence des candidats à l’immigration dans leur pays d’origine avant de faire venir au pays des gens qui n’ont pas les compétences requises. . C’est peut-être une bonne façon d’engager les pourparlers sur l’harmonisation des règlements avec les gouvernements des provinces, les organismes de réglementation et les employeurs.

Honorables sénateurs, nous avons accompli certains progrès dans ces dossiers. Des progrès ont été réalisés au niveau des programmes qui ciblent les problèmes relatifs à l’expérience professionnelle canadienne. Parmi les belles réussites, on trouve les comptoirs uniques mis en place à Mississauga, Brampton, Toronto et Vaughn. Ces centres de ressources aident à coordonner les services d’établissement. Leur financement est assuré grâce à un partenariat entre le gouvernement fédéral et la province de l’Ontario, qui permet d’avoir accès aux services de cinq organismes. Les immigrants qui se rendent dans ces centres peuvent trouver de l’aide concernant la formation linguistique, l’aide à l’emploi, les services de traduction, la reconnaissance des titres de compétence et le soutien à l’établissement, et ce, sous un même toit. Ils contribuent à ce que les immigrants puissent bénéficier des services qui leur sont offerts.

Je suis heureuse que le gouvernement ait pris l’engagement d’aider les immigrants à participer pleinement à notre société et à éliminer les obstacles qui les empêchent de réaliser leur potentiel. Honorables sénateurs, il faut trouver des solutions novatrices pour éliminer ces obstacles. C’est notre responsabilité, et je suis impatiente de travailler avec le gouvernement pour apporter des changements réels.

Le troisième point que j’aimerais aborder aujourd’hui est la sécurité mondiale. Dans son discours du Trône, le gouvernement a admis que :

Notre sécurité nationale dépend de la sécurité mondiale. Notre gouvernement estime que les aspirations du Canada à un monde meilleur et plus sûr doivent être soutenues par des actions vigoureuses et concrètes sur la scène internationale.

La sécurité trouve sa source dans le respect de la liberté, de la démocratie, des droits de la personne et de la primauté du droit. Quand ces valeurs sont en péril, la sécurité et la prospérité du monde entier sont menacées. Le Canada doit avoir la capacité et la volonté de se battre pour ses convictions et de faire sa part pour rendre notre monde meilleur et plus sûr.

Je souscris à cette déclaration et suis d’avis que lorsqu’une attaque survient, comme les attentats du 11 septembre à New York, tous les Canadiens sont touchés. Le Canada a réagi de la façon suivante : nous avons présenté notre loi antiterroriste, que nous améliorons continuellement afin d’assurer la sécurité de nos citoyens. Nous comprenons également que tout pays qui sacrifie les droits de la personne pour assurer sa sécurité se retrouve avec ni l’un ni l’autre. Nous devons faire preuve de vigilance en ce qui concerne les droits de la personne et notre sécurité.

La semaine dernière, un autre effroyable attentat a eu lieu à Bombay, en Inde. Comme le savent tous les honorables sénateurs, cet attentat terroriste a brisé l’âme de l’Inde. La peur règne aujourd’hui dans la plus grande démocratie du monde. Tout comme nous l’avons fait avec les États-Unis au lendemain des attentats du onze septembre, nous devrions maintenant nous serrer les coudes avec l’Inde. J’estime que nous devrions défendre ce qui est juste et contribuer à la sécurité mondiale, comme il en est question dans le discours du Trône.

Beaucoup de gens sont morts à Bombay. Malheureusement, certains d’entre eux étaient des Canadiens. Aujourd’hui, je félicite le gouvernement de vouloir contribuer à la sécurité mondiale et j’ai hâte de travailler avec lui pour aider les habitants de l’Inde.

La dernière question dont j’aimerais traiter aujourd’hui est celle de l’itinérance. Le gouvernement a dit qu’il aiderait les sans-abri et qu’il participerait à la création de logements abordables. Le discours du Trône contenait le passage suivant :

La participation de certains Canadiens à l’économie et à la société est entravée par d’autres obstacles, comme l’itinérance ou une maladie débilitante. Notre gouvernement prolongera donc la Stratégie des partenariats de lutte contre l’itinérance et aidera plus de Canadiens à trouver un logement abordable.

Dans ma ville, Vancouver, il m’arrive souvent de marcher la nuit avec une femme, Judy Graves, qui défend le droit à un logement. Honorables sénateurs, je suis troublée, indignée et découragée du fait que, à titre de sénateur de la Colombie-Britannique, je ne puisse faire plus pour la population de ma province. Je discute avec des jeunes filles sans abri pour savoir comment elles se sont retrouvées dans cette situation. Certaines viennent d’arriver, après avoir quitté leur réserve, et n’ont nulle part où aller. D’autres, ce qui est bien triste, ont des problèmes mentaux et sont malades et je pense que, collectivement, nous les avons laissé tomber. Dans un pays riche comme le nôtre, il est inacceptable que des personnes dorment dans la rue. J’attends avec impatience de collaborer avec le gouvernement lorsqu’il fournira des solutions de logement pour ma ville et d’autres secteurs vulnérables de notre population.

En terminant, j’aimerais vous relater mon propre parcours. Il y a plus de 30 ans, lorsque je suis arrivée au Canada comme réfugiée, je me suis trouvée confrontée à un grand dilemme. Ma famille et moi avions perdu tous nos avoirs et, le plus important, notre domicile. Nous sommes venus ici en espérant que nous allions nous en construire un nouveau. Notre rêve est tombé en miettes lorsqu’on nous a dit que nous ne pouvions pas exercer notre profession. C’était notre dilemme. Il y avait peu d’aide gouvernementale à l’époque. J’ai fini par trouver ma voie et par exercer ma profession. C’est grâce aux largesses d’un homme, Thomas Dohm, juge à la Cour suprême. Il m’a aidée à obtenir mon agrément comme avocate au Canada.

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Le sénateur Gerry St. Germain a aidé mon père. Il l’a aidé à se battre contre la discrimination au sein des bureaux de commercialisation. C’est grâce à l’aide de grands Canadiens comme Thomas Dohm et Gerry St. Germain si ma famille est bien intégrée au Canada aujourd’hui.

Honorables sénateurs, nos intérêts seraient mieux servis si c’était le gouvernement, plutôt que des particuliers, qui aidait les nouveaux arrivants au Canada à réaliser leur potentiel. Accueillir les nouveaux arrivants sans nous engager à leur fournir les ressources dont ils ont besoin pour réussir et s’intégrer harmonieusement à la vie et à la société canadiennes, c’est briser leurs rêves et les empêcher de réaliser leur plein potentiel. Nous sommes tous perdants. Ces nouveaux arrivants ne peuvent pas participer pleinement à la société et nous en subissons les conséquences — le Canada n’atteint pas son plein potentiel.

Honorables sénateurs, le discours du Trône fournit une très bonne orientation. Il nous reste à la concrétiser.