Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 40e Législature,
Volume 146, Numéro 82

Le lundi 14 décembre 2009
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

L’Iran

Motion tendant à appuyer les aspirations démocratiques du peuple iranien—Motion d’amendement—Suite du débat

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de cette motion et je sais que le temps file. Toutefois, le sénateur Grafstein ne sera pas parmi quand nous reviendrons. Par conséquent, afin de respecter les souhaits de ce dernier, aujourd’hui, je vais parler au sujet de la motion sur l’Iran.

Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole au Sénat aujourd’hui pour participer au débat sur la motion du sénateur Grafstein tendant à appuyer les aspirations démocratiques du peuple iranien. Plus précisément, je prends la parole pour appuyer les amendements proposés par le sénateur Di Nino, notamment que le Canada condamne l’usage de la discrimination, tant religieuse qu’ethnique, comme moyen de réprimer la population de l’Iran.

En juin cette année, le monde a été scandalisé par les images télévisées montrant des citoyens iraniens en train de subir des attaques violentes pour avoir protesté contre les résultats des élections présidentielles. Ces attaques, les arrestations arbitraires, les allégations de torture, les simulacres de procès et les peines de mort qui ont suivi sont symptomatiques des incidents généralisés de violations graves des droits de la personne perpétrées par le gouvernement iranien à l’endroit de ses propres citoyens.

J’ai représenté, pendant de nombreuses années, des réfugiés iraniens, surtout des femmes, qui ont été torturés et emprisonnés en Iran. La souffrance de ces femmes est inimaginable. Malheureusement, honorables sénateurs, cette souffrance continue.

Selon le rapport du 23 septembre 2009 du secrétaire général de la Troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies, qui présente un tableau détaillé et troublant de la situation, ces violations des droits de la personne touchent un groupe représentatif de la société iranienne, notamment des femmes, des représentants syndicaux, des défenseurs des droits de la personne, des journalistes, des étudiants, des universitaires ainsi que des minorités ethniques et religieuses.

Aujourd’hui, je vais parler de la situation d’un groupe religieux, les baha’is d’Iran, dont les droits ont été systématiquement violés par le gouvernement iranien depuis le triomphe de la révolution islamique. Lorsque j’étais une petite fille, en Ouganda, mon père m’emmenait souvent sur le chantier de construction d’un temple baha’i. À mesure que la construction du temple avançait, mon père m’expliquait les différents aspects de la foi baha’ie. Il m’a dit que les baha’i acceptent toutes les religions, ce qui m’a insufflé un amour profond et beaucoup de respect pour toutes les croyances. J’admire aussi les baha’is. En tant qu’Ougandais, nous sommes fiers du temple baha’i érigé en Ouganda et nous croyons que c’est un des meilleurs temples.

Il y a beaucoup de bavardages et je crois que c’est inapproprié.

Son Honneur la Présidente intérimaire : À l’ordre, s’il vous plaît.

Le sénateur Jaffer : Cela continue.

Des voix : À l’ordre!

Le sénateur Jaffer : Honorables sénateurs, permettez-moi de parler brièvement du contexte de la foi baha’ie. Elle a pris naissance

dans les années 1840 en Iran, qui était alors la Perse. Le concept de Dieu unique est au cœur des enseignements de la foi baha’ie, de même que la croyance que les principales religions du monde ont été fondées par des éducateurs divins qui ont adapté les enseignements au stade de développement de l’humanité.

Les baha’is croient que toutes ces religions ont la même source et la même essence spirituelle. Seuls les enseignements sociaux ont changé afin de favoriser l’émergence d’une civilisation en constante évolution. Les baha’is s’efforcent, en tant qu’individus et que collectivités, sous la direction de leurs institutions, de comprendre et de mettre en œuvre les enseignements spirituels et moraux dans leur propre vie et dans leurs collectivités, et de contribuer au bien commun.

Les quelque cinq millions de personnes qui forment la communauté baha’ie internationale viennent de 2 112 groupes tribaux et ethniques qui vivent dans plus de 121 000 localités, 190 pays indépendants et 45 territoires dépendants et départements d’outre-mer.

Sa communauté d’adhérents, issue de toutes les classes et races, est dirigée par des instances locales et nationales élues démocratiquement qu’on appelle « assemblées spirituelles ». Son centre mondial et le siège de son conseil international, connu sous le nom de « Maison Universelle de Justice », est situé à Haïfa, selon la volonté du fondateur de la foi baha’ie, dans l’ancienne Palestine.

Je suis souvent allée au temple de Haïfa lorsque je travaillais auprès de femmes israéliennes. Plus qu’une structure, ce temple se dresse à un endroit qui respire la paix. J’ai souvent passé du temps dans les jardins du temple de Haïfa pour trouver la tranquillité.

La communauté baha’ie internationale a un statut consultatif auprès du Conseil économique et social, ou ECOSOC, des Nations Unies, et auprès de l’UNICEF. Elle est également affiliée au Programme des Nations Unies pour l’environnement et au Département de l’information de l’ONU.

La communauté a des bureaux à New York et à Genève pour faciliter sa collaboration avec les Nations Unies. Par l’entremise de ses bureaux à l’ONU, la communauté baha’ie internationale publie des déclarations et a participé à une série de sommets mondiaux de l’ONU qui ont été tenus tout au long des années 1990 et qui ont culminé lors du Forum du millénaire, coprésidé par les principaux représentants de la communauté baha’ie internationale.

Les représentants baha’is ont contribué activement au processus de réforme de l’ONU. Ils suivent le travail des différentes commissions et du Conseil des droits de l’homme de l’ONU, fournissant une tribune pour le dialogue en organisant des activités parallèles à thème et d’autres initiatives.

(1650)

La communauté baha’ie du Canada, qui a fêté son 100e anniversaire en 1998, a élu sa première Assemblée spirituelle nationale en 1948. Un an plus tard, le Canada a été le premier pays du monde à constituer en société l’Assemblée spirituelle nationale au moyen d’une loi fédérale, le 30 avril 1949.

Aujourd’hui, la communauté baha’ie du Canada se compose d’environ 30 000 membres qui proviennent d’horizons véritablement représentatifs de la riche diversité culturelle et ethnique du Canada. Les baha’is sont répartis dans 1 200 localités situées dans les dix provinces et les trois territoires du Canada. Leurs antécédents socioéconomiques sont aussi variés que leur patrimoine culturel et religieux.

Au fil des ans, l’Assemblée spirituelle nationale des baha’is du Canada a répondu au gouvernement du Canada qui l’invitait à présenter son point de vue sur des questions d’importance provinciale, nationale et internationale en ce qui a trait à des thèmes comme la violence faite aux femmes, le racisme, le développement durable, le climat, l’éducation et la sensibilisation aux droits de la personne.

L’Agence baha’ie canadienne de développement international collabore avec l’ACDI sur des projets de soins de santé primaires, de radio communautaire et d’éducation en Afrique, en Inde, en Amérique centrale et en Amérique du Sud. Au Canada, tout comme d’ailleurs dans tous les autres pays où ils habitent, les baha’is représentent une force constructive fort appréciée. Je sais que le travail qu’ils réalisent profite à chacun d’entre nous.

Honorables sénateurs, pourquoi alors la communauté baha’ie iranienne fait-elle l’objet d’un lent génocide par le biais de moyens comme les arrestations arbitraires, l’incitation à la haine dans les médias contrôlés par le gouvernement et du haut de la chaire, le harcèlement d’écoliers, le refus de l’accès à l’éducation postsecondaire ou à l’emploi dans le secteur public, l’imposition de restrictions sévères à l’emploi dans le secteur privé, le pillage de cimetières, le refus de l’accès aux pensions du gouvernement et la discrimination au sein de l’appareil judiciaire?

En Iran, ces attaques contre les baha’is se sont intensifiées au cours des trois dernières années à la suite de la publication d’une note officielle exigeant l’identification, la surveillance et le signalement de tous les baha’is. Il s’en est suivi la diffusion de notes dans 81 universités voulant que les baha’is ne doivent pas être admis et que ceux qui sont déjà admis soient expulsés; d’une note destinée aux forces de sécurité énumérant 25 professions que les baha’is, en tant que personnes impures, n’ont pas le droit d’occuper; d’un document de 31 pages qui circule à Shiraz, qui dresse la liste de tous les baha’is et qui précise leur profession et leur adresse, le tout accompagné de lettres de chefs religieux demandant à leurs concitoyens de fuir les baha’is et de ne pas faire affaire avec eux.

La réponse se trouve en partie dans les accusations non fondées portées contre les sept anciens dirigeants de la collectivité baha’ie en Iran qui coordonnaient les activités de celle-ci. Arrêtés en mars et en mai 2008 et détenus depuis dans la tristement célèbre prison Evin, ces sept bahi’s — Fariba Kamalabadi,, Jamaloddin Khanjani, Afif Naeimi, Saeid Rezaie, Behrouz Tavakkoli, Vahid Tizfahm et Mahvash Sabet qui a également agi à titre de secrétaire — ont appris à la fin février 2009 qu’ils subiraient leur procès devant le tribunal révolutionnaire d’Iran sous des accusations d’espionnage pour le compte d’Israël, d’insultes au caractère sacré de l’islam et de propagande contre le régime.

Ces accusations totalement non fondées entraînent la peine de mort. Honorables sénateurs, nous devons parler au nom de ces sept Iraniens.

L’Iran sait très bien que l’installation d u centre mondial baha’í en Israël est le résultat d’un événement historique dont il est lui-même responsable Sur l’ordre des autorités iraniennes, Baha’u’llah, le fondateur de la foi baha’ie, a été exilé en Irak avant de se retrouver à Constantinople et finalement à Akka, la terrible ville prison située dans ce qui s’appelait à l’époque la Palestine.

L’Iran sait également très bien que les enseignements de la foi baha’ie reconnaissent le prophète Mahomet comme étant la manifestation de Dieu et son livre comme un livre sacré. En fait, les baha’is reconnaissent tous les fondateurs des grandes religions du monde et leur propre foi leur commande de côtoyer les adeptes des autres religions dans un esprit d’amitié et d’harmonie.

Finalement, l’Iran sait que les enseignements de la foi baha’i interdisent de faire de la politique partisane et commandent d’obéir au gouvernement et de s’efforcer de faire avancer la société.

Honorables sénateurs, en m’appuyant sur ce que j’ai pu observer des baha’is en Israël et au Canada, je peux vous confirmer leur engagement.

Les dirigeants des baha’is en Iran ne sont coupables d’aucune des accusations portées contre eux. Leur arrestation et leur détention continue en violation des lois iraniennes et leur procès imminent constituent plutôt le dernier chapitre d’une campagne délibérée menée depuis 30 ans par le gouvernement iranien pour éliminer la collectivité baha’ie à titre de groupe viable en Iran.

Il s’agit d’un exemple classique de persécution de nature purement religieuse qui ne fait intervenir aucun autre facteur, qu’il soit de nature ethnique, linguistique, politique, économique ou autre. Leur foi est la seule chose qui distingue les baha’is de leurs concitoyens, et elle leur interdit d’imposer leurs croyances aux autres.

Je crois que dans le monde d’aujourd’hui, nous devrions tous pouvoir pratiquer notre religion librement. La liberté de choisir ses propres croyances et de les modifier est un aspect essentiel du développement humain. Elle rend possible la recherche individuelle du sens, qui est une impulsion caractéristique de la conscience humaine.

La liberté de religion et de conviction est consacrée dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont l’article 18 dit :

Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.

Il est difficile pour nous qui habitons dans une société qui respecte la liberté de religion et de conviction d’imaginer ce que c’est que d’appartenir à une minorité religieuse dans une société qui ne la respecte pas. Les conséquences de l’appartenance à une minorité religieuse sont indéniables pour les baha’is d’Iran, qui subissent des persécutions sporadiques depuis la naissance de la religion au milieu des années 1800, persécutions devenues incessantes depuis le début de la révolution islamique en 1979.

Les baha’is, que je représente depuis de nombreuses années, sont victimes de ce que je qualifierais d’un génocide au ralenti.

Les baha’is font l’objet d’une persécution effroyable en Iran. Devant cette persécution croissante, les baha’is de l’Iran multiplient les efforts pour servir leur société. Par exemple, s’inspirant des leçons qu’ils ont apprises à propos de l’égalité des hommes et des femmes, ils partagent leurs expériences avec leurs amis et voisins, avec qui ils collaborent à des projets.

Conscients du fait qu’il est nécessaire de savoir lire et écrire pour être en mesure de comprendre le monde de façon personnelle, ils enseignent à lire aux enfants défavorisés. La communauté baha’ie est diversifiée puisque ses membres sont de diverses origines ethniques et religieuses; ils ont donc appris à cimenter l’unité et à travailler ensemble pour surmonter les préjugés et promouvoir l’unité.

Il n’en reste pas moins que leurs efforts leur attirent encore plus de persécution. Trois jeunes baha’is purgent une peine de prison de quatre ans à Shiraz pour avoir offert un programme d’alphabétisation aux enfants défavorisés en périphérie de la ville. Bien qu’ils aient demandé et obtenu un permis pour mener cette activité et qu’ils aient été exonérés de toute faute dans un rapport officiel, tous leurs efforts visant à ce que leurs peines soient commuées ont été en vain.

Les autres jeunes non baha’is qui travaillaient avec eux se sont vus imposer une peine avec sursis à condition qu’ils suivent un cours sur l’Islam, cours dans lequel leur propre foi est dénigrée. Honorables sénateurs, il convient de signaler que les jeunes musulmans qui travaillaient avec les baha’is ont été libérés alors que les jeunes baha’is risquent de se retrouver en prison.

La communauté baha’ie d’Iran se fait interdire l’accès aux médias et ne peut répondre aux représentations systématiquement déformées de leur foi et de leurs comportements, ce qui entraîne le genre de préjugés irraisonnés et généralisés qui permet au gouvernement iranien d’agir en toute impunité. Toutefois, les préjugés commencent à s’estomper. De plus en plus d’Iraniens exhortent leur gouvernement à respecter les droits des baha’is.

Honorables sénateurs, nous devrions tous joindre nos voix aux leurs et réclamer que le gouvernement iranien libère les anciens dirigeants en attendant un procès juste et ouvert, qu’il commue la peine des trois jeunes emprisonnés à Chiraz, qu’il accorde à ses concitoyens baha’is les mêmes droits et libertés qui sont garantis à tous les Iraniens en vertu de leur constitution et qu’il respecte les normes internationales en matière de respect des droits de la personne.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Jaffer, votre temps de parole est écoulé.

Le sénateur Jaffer : Puis-je avoir encore cinq minutes?

Le sénateur Comeau : Cinq minutes, ça va.

Le sénateur Jaffer : L’intensification de la persécution des baha’is d’Iran est le reflet de la détérioration de la situation des droits de la personne dans ce pays.

J’exhorte tous les sénateurs à exiger que notre gouvernement défende le peuple iranien. Je vous rappelle que le Canada a été le premier pays, en 1948, à reconnaître l’Assemblée spirituelle nationale baha’ie. Nous devons continuer à participer activement à la protection des baha’is et de tous les Iraniens.

Je vous exhorte tous à demander à notre gouvernement de protéger les droits de tous les Iraniens. Cela signifie le respect des droits de la personne pour les baha’is d’Iran, pour les musulmans sunnites d’Iran et pour les chrétiens d’Iran. Il faut protéger les droits de la personne pour tous les Iraniens.

(1700)

Honorables sénateurs, s’il y a un moment qui est bien choisi pour envisager des moyens de protéger les droits des Iraniens, c’est bien maintenant. Je saisis l’occasion pour souligner le travail acharné du sénateur Grafstein, dans cette enceinte, pour lutter contre l’antisémitisme. Je voudrais qu’il sache qu’à l’heure de son départ, il laisse derrière lui tout un héritage. Je peux l’assurer que, bien que je ne puisse pas espérer faire un aussi bon travail que lui, je vais toujours m’employer à protéger les libertés dont jouissent les Canadiens.

Le sénateur Grafstein m’a appris beaucoup de choses à propos de l’antisémitisme, et je l’en remercie. Je vais continuer de travailler sur ce dossier.

En tant que seul sénateur canadien de confession musulmane, je me permets de dire à l’ensemble des sénateurs que, lorsque des gens invoquent ma religion et causent de terribles violences, ils ne parlent pas en mon nom.