Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 40e Législature,
Volume 146, Numéro 83

Le mardi 15 décembre 2009
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Projet de loi canadien sur la sécurité des produits de consommation

Troisième lecture

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du projet de loi C-6, Loi concernant la sécurité des produits de consommation. Je voudrais féliciter les sénateurs Martin, Day et Eggleton ainsi que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie pour le travail qu’ils ont accompli en notre nom.

Nous avons tous reçu des centaines de courriels et de lettres. Je n’ai pas reçu un seul courriel en faveur du projet de loi C-6. Je ne crois pas qu’il s’agisse de choisir entre protéger les enfants et protéger nos droits. Je crois qu’il s’agit de protéger les deux.

J’ai lu les courriels et j’y ai répondu, et j’ai écouté attentivement tous les sénateurs. Voulons-nous vraiment remplir nos prisons de vendeuses ayant vendu des sièges pour enfant présentant un défaut de conception? La mesure législative qui est proposée ferait en fait de la responsabilisation ou plutôt du manque de responsabilisation un délit et compliquerait beaucoup les affaires. Voulons-nous vraiment que les résidences des gens et leurs entreprises fassent l’objet de fouilles sans mandat et sans preuves probables qu’une infraction criminelle a été commise? C’est à cette situation que le projet de loi C-6 sous sa forme actuelle mènera les Canadiens.

Honorables sénateurs, je sais que nous prenons tous nos responsabilités au sérieux, et je respecte tous nos droits. Nous avons écouté attentivement notre collègue, le sénateur Furey. Je sais que ce qu’il a dit nous a touchés, qu’on l’admette ou pas. Je voudrais profiter cette occasion pour le remercier des efforts qu’il a déployés dans le cadre de ce projet de loi et pour les tentatives qu’il a faites pour nous faire changer d’avis. Certains d’entre nous seront d’accord avec lui et d’autres pas. Cela dépend de l’angle sous lequel nous envisageons la question, et je respecte cela.

Toutefois, je voudrais parler aujourd’hui des droits de la personne et de l’importance de tous les droits, de même que de la responsabilité qui nous incombe à nous, sénateurs. J’ai dû quitter mon pays en tant que réfugiée et j’ai eu la chance d’obtenir l’asile au Canada. Le Parlement de l’Ouganda ne protégeait pas les droits de la personne. En 1962, l’Ouganda, le pays où je suis née, a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne. Mon père a été élu député au Parlement. À l’époque, la société ougandaise fonctionnait bien. Nos droits étaient reconnus, et les tribunaux étaient très efficaces. Nous avions un Parlement fort. C’était comme une tapisserie bien tissée. En tant que membres de cette société, nous croyions que nous étions bien protégés.

Puis, on a tiré sur un fil. Un ministre a disparu. Le Parlement ne l’a pas défendu. On a tiré sur un autre fil. Notre maire a été pendu sur la place publique et on lui a coupé les organes génitaux. Nous avons tous été témoins de la scène, mais aucun d’entre nous ne l’a défendu. Le Parlement ne l’a pas défendu. Le pouvoir exécutif nous a privés de nos droits et le Parlement ne nous a pas défendus. Le Parlement n’a défendu aucun d’entre nous. Puis, notre juge en chef, un homme très populaire, a été chassé du tribunal. Le Parlement ne l’a pas défendu.

La tapisserie s’effilochait. À l’époque, le gouvernement d’Israël et les Israéliens, qui avaient contribué au développement de notre pays, nous ont beaucoup aidés. On les a mis dehors. Le Parlement était pour ainsi dire devenu inexistant. On continuait de défaire la tapisserie.

Un jour, honorables sénateurs, l’armée est venue chercher mon père à la maison. Encore aujourd’hui, je ne sais pas comment il a fait pour s’enfuir, mais je suis heureuse de dire qu’il s’est enfui. Personne n’a défendu mon père et la tapisserie était de plus en plus effilochée.

En 1972, 80 000 Ougandais d’origine asiatique ont été chassés de l’Ouganda. Heureusement, bon nombre d’entre nous ont obtenu l’asile dans ce grand pays qui est le nôtre. Il n’y avait alors plus de Parlement en Ouganda et nous vivions sous la terrible dictature d’Idi Amin. Le Parlement ne pouvait plus nous protéger.

Honorables sénateurs, j’interviens dans cet endroit aujourd’hui pour dire que nous appartenons à la plus grande institution du monde. En 1962, si quelqu’un avait dit que les Ougandais allaient devenir des réfugiés, nous aurions répliqué : « Nous sommes en Ouganda; cela ne peut pas se produire en Ouganda. » Je sais que vous êtes nombreux à vous dire que nous sommes au Canada, que cela ne peut pas se produire au Canada, mais je vous presse de réfléchir à tout cela. Si vous laissez quelqu’un tirer sur un fil et que vous ne défendez pas nos droits, qui alors les défendra? Je vous presse de réfléchir à ce qui se produit une fois qu’on a tiré sur un fil.

Le sénateur LeBreton : Comme à l’époque de Trudeau et de la Loi sur les mesures de guerre.

Le sénateur Cowan : Pourquoi ne vous levez-vous pas au lieu de chahuter?

Son Honneur le Président : À l’ordre!

Le sénateur Cowan : Accordez-lui la parole. Elle veut intervenir.

Son Honneur le Président : À l’ordre!

Le sénateur Jaffer : Je recommande vivement à tous les sénateurs de bien réfléchir, car il suffit de tirer un fil pour que, tout à coup, ce soit tout le tissu social qui se défasse.

Honorables sénateurs, je lis souvent ce dicton que j’appelle une prière parce que je sais très bien ce qui nous est arrivé à nous. Vous le connaissez sans doute tous. Il dit quelque chose comme ceci :

Ils sont d’abord venus chercher les communistes, et je n’ai pas protesté — parce que je ne suis pas communiste;

Ils sont ensuite venus chercher les syndicalistes, et je n’ai pas protesté — parce que je ne suis pas syndicaliste;

Ils sont venus chercher les juifs, et je n’ai pas protesté — parce que je ne suis pas juive;

Quand ils sont venus me chercher — il ne restait plus personne pour prendre ma défense.

Lorsque les Ougandais d’origine asiatique ont été expulsés, il ne restait plus personne pour prendre notre défense. Je vous prie, honorables sénateurs, de bien y penser. Chaque droit pris individuellement a son importance, et nous ne saurions tolérer que l’on porte atteinte à nos droits.

Des voix : Bravo!

L’honorable Kelvin Kenneth Ogilvie : Madame le sénateur accepterait-elle de répondre à une question?

Le sénateur Jaffer : Oui.

Le sénateur Ogilvie : Le sénateur Jaffer a parlé de temps extrêmement durs, draconiens, qui, il faut bien le reconnaître, ont dû être fort traumatisants. Un de ses collègues a d’ailleurs déjà fait état d’inspecteurs qui se livraient à des violations sélectives de la vie privée pour décrire en termes plutôt saisissants ce qu’il pense, et que vous pensez peut-être aussi, du contenu du projet de loi.

En fait, le paragraphe 20(1) du projet de loi, qui porte sur les inspections, stipule ceci :

Sous réserve du paragraphe 21(1), pour vérifier le respect de la présente loi et des règlements ou pour en prévenir le non- respect, l’inspecteur peut, à toute heure convenable, procéder à la visite de tout lieu — y compris un moyen de transport — s’il a des motifs raisonnables de croire que des produits de consommation y sont fabriqués, importés, emballés, entreposés, vendus […]

Le paragraphe 21(1) dit ceci :

Dans le cas d’une maison d’habitation, l’inspecteur ne peut toutefois procéder à la visite sans le consentement de l’occupant que s’il est muni du mandat prévu […]

Madame le sénateur pourrait-elle nous expliquer quel lien, si ténu soit-il, il peut y avoir entre ce paragraphe et la vision de ce projet de loi qu’elle et l’intervenant précédent ont essayé de transmettre au Sénat?

Le sénateur Jaffer : Je remercie le sénateur de sa question. J’essayais de dire que tout commence par une minuscule brèche. Je suis tout à fait d’accord pour dire que nous vivons dans le meilleur pays au monde et que nos droits y sont protégés. Toutefois, si nous acceptons cette brèche, elle s’agrandira, et bon nombre de nos droits finiront par s’y engouffrer. Un jour, nous nous demanderons

pourquoi nous ne bénéficions plus de la même protection qu’avant. Pourquoi devrions-nous accepter une telle érosion de nos droits?

L’honorable Hector Daniel Lang : Madame le sénateur accepterait-elle de répondre à une autre question?

Le sénateur Jaffer : Oui.

Le sénateur Lang : Pourrait-elle donner l’assurance au Sénat que, selon ce paragraphe, un mandat serait bel et bien nécessaire pour inspecter une habitation?

Le sénateur Jaffer : Honorables sénateurs, je n’ai pas le projet de loi sous les yeux, mais, selon moi, il faudrait un mandat délivré par un juge de paix. Il s’agit d’un mécanisme sérieux qui nous procurerait la protection nécessaire. Je suis également avocate et je sais que, dans le présent système, on peut très rapidement et très facilement obtenir un mandat. Pourquoi voudrions-nous qu’il y ait érosion de ce système?

Son Honneur le Président : D’autres sénateurs veulent-ils participer au débat?

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

L’honorable sénateur Martin, avec l’appui de l’honorable sénateur Lang, propose que le projet de loi C-6, Loi concernant la sécurité des produits de consommation, soit lu pour la troisième fois. Cependant, l’honorable sénateur Furey, avec l’appui de l’honorable sénateur Moore, a présenté un amendement et propose que le projet de loi C-6 ne soit pas lu pour la troisième fois. Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : En amendement, l’honorable sénateur Banks, avec l’appui de l’honorable sénateur Day, propose que le projet de loi C-6 ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu’il soit modifié…

Des voix : Suffit!