Débats du Sénat (hansard)

3e Session, 40e Législature,
Volume 147, Numéro 44

Le lundi 28 juin 2010
L’honorable Donald H. Oliver, Président intérimaire

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés
La Loi sur les Cours fédérales

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi C-11, qui a été adopté par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie mercredi dernier, sous la présidence du sénateur Eggleton.

Le comité a entendu divers témoins, dont le ministre Kenney et ses employés. Je félicite une fois de plus le ministre Kenney et le porte-parole de l’opposition, M. Maurizio Bevilacqua, de leurs efforts.

Lorne Waldman, un avocat respecté en matière de droit des réfugiés et l’un des témoins entendus par le comité, a dit ceci :

Je dois dire que je me retrouve dans une position étrange. Normalement, lorsque je m’adresse aux comités parlementaires, c’est pour leur recommander avec insistance de modifier la loi.

[…] compte tenu du processus parlementaire et du succès des négociations qui ont eu lieu entre tous les partis politiques, je conseille vivement au Sénat d’adopter la mesure qu’il examine actuellement — mesure qui, je crois, constitue un compromis — sans lui apporter d’amendements. C’est la première fois que je peux dire une chose pareille. Je témoigne devant les comités parlementaires depuis 1976 […]

Le projet de loi n’est pas parfait […] Toutefois, à tout prendre, je pense qu’il s’agit d’un compromis.

Honorables sénateurs, le Canada s’efforce depuis longtemps de protéger les droits et les libertés des plus vulnérables de ce monde, les réfugiés, par exemple. M. Hy Shelow, administrateur principal chargé de la protection pour le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, a expliqué aux membres du comité à quel point il est important que nous examinions avec attention le projet de loi C-11. Voici ce qu’il a dit :

[…] Compte tenu de la nature des risques et des conséquences graves pouvant découler d’une décision mal fondée, il est essentiel que les demandeurs d’asile aient droit à des protections et à des garanties complètes à toutes les étapes de la procédure de détermination du statut de réfugié. La nécessité de doter chaque système d’asile d’une procédure de détermination du statut de réfugié qui soit juste et efficiente provient du droit de demander asile et de l’obtenir, droit que garantissent l’article 14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme […]

Le projet de loi C-11 vise à améliorer notre système de détermination du statut de réfugié. Le Comité sénatorial des affaires sociales recommande que nous adoptions ce projet de loi. J’abonde dans le même sens.

Honorables sénateurs, j’aimerais soulever certains points aujourd’hui afin que nous continuions de mesurer l’efficacité de ce projet de loi, comme nous l’avons dit dans nos observations, lorsque ce dernier fera l’objet d’un examen.

Mon premier point porte sur la demande faite pour des motifs humanitaires.

À l’heure actuelle, avant d’être renvoyé, un demandeur dont la demande a été refusée peut présenter de nouvelles preuves de danger. Le projet de loi C-11 ne prévoit aucun mécanisme qui tiendrait compte de changements dans la situation d’un demandeur dans les 12 mois suivant le rejet de son appel — par exemple, si une demanderesse apprend, pendant qu’elle se trouve au Canada, que plusieurs membres de sa famille ont été arrêtés et accusés d’être des dissidents politiques et qu’elle aussi risque l’emprisonnement si elle est renvoyée dans son pays.

Le projet de loi prévoit néanmoins une exception. En effet, le ministre a le pouvoir d’exempter de la période de 12 mois des ressortissants d’un pays ou une certaine catégorie de ressortissants. Une telle exemption pourrait être accordée si la situation dans un pays change, par exemple, s’il y a un coup d’État. Cependant, le projet de loi C-11 n’offre rien aux demandeurs dont la situation a changé au cours de la période de 12 mois, comme dans l’exemple que je viens de donner. En vertu de ce projet de loi, le ministre ne peut pas exempter un demandeur de la période de 12 mois.

Il semble que le seul recours légal pour un demandeur qui se trouve dans cette situation soit de présenter une demande pour des motifs humanitaires. Malheureusement, une telle demande serait rejetée, car le projet de loi C-11 précise que, dans l’étude de la demande, on ne tient aucun compte des facteurs servant à établir la qualité de réfugié. J’aimerais préciser, cependant, que l’on peut tenir compte des difficultés auxquelles le demandeur fait face. En vertu de la nouvelle mesure législative, une femme munie de nouvelles preuves établissant qu’elle est une réfugiée ne pourrait les présenter dans le cadre d’une demande pour des motifs humanitaires.

La directrice, Janet Dench, et la présidente sortante, Elizabeth McWeeny, toutes deux du Conseil canadien pour les réfugiés, sont venues témoigner devant le comité. Le Conseil canadien pour les réfugiés est un organisme de regroupement sans but lucratif qui se consacre à la défense des droits et à la protection des réfugiés. Mme Dench s’est dite préoccupée par la demande pour des motifs humanitaires. Elle a dit ceci :

Il est possible de faire une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire; or, on n’accorde pas de sursis de renvoie dans l’intervalle, et le projet de loi précise également que la personne chargé de juger une demande fondée sur des motifs humanitaires ne peut pas tenir compte des facteurs énumérés aux articles 96 et 97, c’est-à-dire de la définition du terme « réfugié » et des autres risques que comporte le renvoi.

Je comprends qu’il soit nécessaire d’évoquer de nouvelles difficultés et d’éviter de mentionner la demande originale.

Mme Jennifer Irish, directrice, Développement des programmes et politiques des droits d’asile, à Citoyenneté et Immigration Canada, a précisé cet aspect. Elle a en effet déclaré ceci :

Nous avons retiré les facteurs de risques du processus d’évaluation des demandes d’asile pour motifs d’ordre humanitaire parce que nous voulions établir clairement une distinction entre les deux programmes. Le système de détermination du statut de réfugié continuera de se consacrer à l’évaluation des risques illustrée au Canada par les articles 96 et 97 de la LIPR, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Le deuxième point concerne la liste des pays d’origine désignés. Le projet de loi C-11 propose en effet une liste de pays d’origine désignés. Cette disposition a pour but de constituer une liste de pays dont proviennent 1 p. 100 du nombre total des demandes et dont le taux de rejet est supérieur à 85 p. 100. En vertu du projet de loi modifié, les demandeurs en provenance des pays de cette liste voient leur demande du statut de réfugié examinée plus rapidement.

Bien que l’idée puisse être utile, je tiens à rappeler à tous les sénateurs que cette liste devrait prendre en compte les revendications reliées au sexe et qu’il ne faudrait pas que ces demandes fassent l’objet d’une étude accélérée. Les femmes doivent être traitées avec un soin particulier en raison des difficultés excessives qu’elles doivent surmonter, ce dont il faudrait tenir compte tout au long des étapes nécessaires à l’obtention du statut de réfugié. J’ai été heureuse d’apprendre que le ministre Kenney accorderait une attention particulière aux demandeurs vulnérables. Mme Janet Dench l’a affirmé clairement au comité lorsqu’elle a déclaré ceci :

Nous nous inquiétons particulièrement des répercussions qu’elles pourraient avoir sur les femmes et sur les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et transsexuelles, ainsi que sur les enfants et les personnes qui appartiennent à une minorité raciale ou ethnique. Les membres de tous ces groupes sont ceux qui risquent le plus d’être victimes de violations de leurs droits fondamentaux dans des pays qui, autrement, semblent raisonnablement sûrs.

Le troisième point porte sur les directives relatives au sexe. Honorables sénateurs, toute personne qui croit avoir besoin de chercher refuge doit pouvoir présenter une demande de statut de réfugié. Cependant, les femmes demandant le statut de réfugiée ont des besoins différents de ceux des hommes. Cela s’explique par les rôles culturels et traditionnels joués respectivement par les hommes et par les femmes. Par exemple, dans de nombreuses cultures, les femmes sont considérées comme les gardiennes. Elles sont habituellement les victimes de l’exploitation sexuelle. Par conséquent, certaines précautions spéciales doivent être prises compte tenu de leur situation délicate.

La plupart de ces considérations figurent dans le document du ministère intitulé « Directives sur la persécution fondée sur le sexe ». Ces directives permettent de faire en sorte que les revendications liées au sexe soient prises en compte.

Elles illustrent en outre un certain nombre de questions clefs, y compris les motifs pour lesquels une demande peut être acceptée à titre de revendication liée au sexe et le traitement spécial des femmes dans notre de système de détermination du statut de réfugié. J’encourage tous les ministères à se conformer aux règlements énoncés dans ces directives.

Le quatrième point concerne la Section d’appel des réfugiés. Je félicite le ministre d’avoir institué cette section. Nous devons aussi féliciter le sénateur Goldstein, qui n’a ménagé aucun effort au Sénat pour que soit mise sur pied la Section d’appel des réfugiés. Je ne sais pas si, en raison des délais prévus pour la présentation des cas devant la section, il sera possible de peaufiner les appels. C’est avec plaisir que j’ai entendu M. Linklater, sous-ministre adjoint, Politiques stratégiques et de programmes, déclarer que les gens pourront formuler leurs commentaires lorsque les projets de règlements seront présentés.

Le cinquième point a trait à l’augmentation du nombre de réfugiés en provenance de camps. Ayant été moi-même réfugiée, j’ai été heureuse d’apprendre que le ministre redoublera d’efforts et qu’il débloquera plus de ressources pour qu’un plus grand nombre de réfugiés se trouvant dans des camps puissent venir directement s’établir au Canada. Cela permettra à des réfugiés de venir au Canada avec l’aide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, l’UNHCR.

Le programme de réinstallation actuel revêt également une grande importance. Le Canada est l’un des nombreux pays signataires de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et il s’est engagé à garantir aux refugiés qui demandent asile des programmes et des services qui non seulement permettront d’assurer leur sécurité de façon efficiente et efficace, mais qui tiendront compte également de leur situation difficile avec toute l’empathie qui s’impose.

Fort heureusement, une entité gouvernementale comme Citoyenneté et Immigration Canada accepte des demandes de réinstallation de réfugiés d’organisations comme l’UNHCR. En fait, le Plan des opérations par pays de l’UNHCR de 2008-2009 a reconnu le Canada en tant qu’acteur important, car il offre l’asile aux réfugiés qui ont besoin d’aide et leur permet de se réinstaller au pays.

Les représentants ont affirmé au comité sénatorial que 10 p. 100 de toutes les recommandations adressées au gouvernement et aux fonctionnaires de CIC concernaient des femmes en danger. Dans ces circonstances, le ministre et les fonctionnaires de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada devraient faire tout en leur pouvoir pour que les recommandations du Haut Commissariat des Nations Unies concernant des femmes en danger soient examinées avec la plus grande diligence possible.

Honorables sénateurs, notre pays est béni. De nombreux fonctionnaires travaillent d’arrache-pied pour nous.

Nos militaires s’acquittent de leur tâche dans des circonstances très difficiles et sacrifient leur vie pour nous. Nos diplomates à l’étranger font un travail acharné pour nous. J’ai travaillé avec Robert Fowler, Alan Bones et bien d’autres, et je peux vous donner l’assurance qu’ils sont dévoués à notre cause, même une fois à la retraite. Il faut également souligner l’excellent travail réalisé en notre nom par nos responsables de l’immigration. Ils mettent souvent leur vie en danger simplement pour améliorer le sort de l’humanité.

En 1972, le Canada fut l’un des premiers pays à répondre aux pleurs des Ougandais d’origine asiatique. Les agents d’immigration ont risqué leur vie pour protéger des étrangers. Ils se sont rendus en Ouganda, dans des hôpitaux, des foyers pour personnes atteintes de maladies mentales et des prisons où des gens étaient incarcérés à tort. Ils ont négocié avec les soldats et, oui, ils sont parfois allés plus loin. Ce ne fut pas une tâche facile de libérer des gens de prison devant des soldats armés. Ils les ont libérés et les ont fait monter à bord d’avions canadiens. Ils ont empêché les soldats d’y embarquer, en déclarant qu’ils étaient en territoire canadien.

Nous avons quitté l’Ouganda depuis presque 40 ans, mais rares sont les Ougandais d’origine asiatique qui ne savent pas ce que Michael Molloy et Roger St. Vincent ont fait pour nous. Plusieurs d’entre nous sont toujours vivants aujourd’hui grâce à ces agents d’immigration, notamment.

Ils ont fait plus que leur devoir. Lorsque des établissements professionnels canadiens remettaient en question nos titres de compétence au Canada, ces agents d’immigration nous ont aidés à expliquer les épreuves que nous avions vécues lors de notre départ de l’Ouganda.

Aujourd’hui, je veux rendre un hommage particulier à nos agents d’immigration pour le rôle qu’ils ont joué dans la mise en œuvre de notre système de détermination du statut de réfugié. Alors que nous tentons de l’améliorer, nous ne devons pas oublier des agents d’immigration tels que MM. Molloy et St. Vincent et des centaines d’autres qui mettent régulièrement leur vie en danger pour le bien de l’humanité.

Je les remercie parce que ma famille et moi ne serions pas réunis aujourd’hui n’eût été de leurs efforts.

Son Honneur le Président intérimaire : Y a-t-il d’autres interventions? Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)