Débats du Sénat (hansard)

3e Session, 40e Législature,
Volume 147, Numéro 76

Le jeudi 9 décembre 2010
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Projet de loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens

Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Brazeau, appuyée par l’honorable sénateur Braley, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-3, Loi favorisant l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens en donnant suite à la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire McIvor v. Canada (Registrar of Indian and Northern Affairs).

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole à l’occasion de la troisième lecture du projet de loi C-3, Loi favorisant l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens en donnant suite à la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire McIvor v. Canada.

Le Comité des droits de la personne, dont je suis la vice-présidente, a étudié le projet de loi C-3. Nous avions écouté le ministre John Duncan, qui a déclaré :

Le projet de loi C-3 vise deux objectifs. Premièrement, il devrait permettre de régler les problèmes particuliers de discrimination fondée sur le sexe dans la Loi sur les Indiens signalés par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Deuxièmement, il respecterait le délai imposé au Parlement par la cour d’appel. L’an dernier, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a statué que deux alinéas de l’article 6 de la Loi sur les Indiens créaient une distinction entre les hommes et les femmes pour ce qui est de l’inscription à titre d’Indien et que, par conséquent, ils violaient les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.

Malheureusement, pendant que le comité poursuivait son étude, j’ai appris que cette mesure législative n’éliminera pas la discrimination entre les sexes, pas plus qu’elle n’accordera les mêmes droits aux hommes et aux femmes autochtones.

Je suis persuadée qu’un grand nombre d’entre vous connaissent déjà le cas de Sharon McIvor. Toutefois, pour ceux qui ne sont pas au courant, permettez-moi de présenter un bref aperçu de sa bataille contre le gouvernement canadien.

Sharon McIvor a présenté pour la première fois une demande d’inscription au registre des Indiens en 1985. À la suite du processus, Sharon McIvor et ses frères et sœurs ont été inscrits en vertu du paragraphe 6(2) de la loi, alors que ses enfants se sont vu refuser le droit d’être inscrits. Cette situation a poussé Sharon McIvor à entreprendre sa bataille. Dix-sept longues années plus tard, en juillet 2006, Sharon McIvor a reçu une lettre dans laquelle le ministère de la Justice admettait que le registraire avait commis une erreur et qu’elle était autorisée à être inscrite en vertu de l’alinéa 6(1)c) et que son fils était dorénavant inscrit en vertu du paragraphe 6(2).

Cependant, Sharon McIvor n’était pas satisfaite de ce résultat. Même si elle et ses frères et sœurs étaient maintenant tous inscrits en vertu du paragraphe 6(1), les enfants de son frère avaient également été inscrits en vertu du paragraphe 6(1) et ses petits-enfants, en vertu du paragraphe 6(2). Par ailleurs, le fils de Sharon McIvor avait été inscrit en vertu du paragraphe 6(2) et ses petits-enfants n’avaient pas été inscrits du tout.

En dépit du fait que Sharon McIvor et son frère avaient les mêmes parents, son frère se retrouvait dans une meilleure situation qu’elle simplement parce que c’était un homme. Sharon McIvor a exprimé son mécontentement aux membres du comité comme suit :

Il est plutôt étrange que mon frère, qui, comme je l’ai dit, n’a strictement rien fait, se trouve tout d’un coup mieux placé, du simple fait d’être du sexe masculin.

[…] lorsque j’ai cherché à obtenir l’égalité, […] tout d’un coup, mes frères ont joui d’une égalité supérieure à la mienne, ou ont obtenu un meilleur statut que moi, et je ne jouis d’aucune égalité.

En ce qui concerne la question du statut d’Indien en vertu du paragraphe 6(1), je crois que pour vider réellement la question, j’ai droit au statut d’Indien en vertu de l’alinéa 6(1)a) et mon fils a droit au statut en vertu de l’alinéa 6(1)a). C’est la seule possibilité qui puisse amener, dans ma situation, la pleine égalité.

Honorables sénateurs, en vertu du projet de loi C-3, le fils de Sharon McIvor sera inscrit au registre des Indiens en vertu du paragraphe 6(1), comme il se doit. Toutefois, je ne pense pas que Sharon McIvor a mené cette bataille simplement dans ce but.

Après avoir entendu son témoignage sincère, il m’est apparu clairement que Sharon McIvor ne s’est pas battue simplement pour faire respecter le droit de son fils acquis à la naissance. Elle s’est aussi démenée au nom de toutes les femmes autochtones partout au pays qui voient régulièrement leurs droits fondamentaux bafoués.

Dans son témoignage, Sharon McIvor nous a tous exhortés à reconnaître que le projet de loi C-3 ne tenait pas compte des filles illégitimes d’hommes indiens. Elle a expliqué que, dans une cause judiciaire remontant à la fin des années 1950 et au début des années 1960, on avait affirmé qu’un descendant de sexe masculin d’un homme indien avait le droit d’être inscrit, alors que ce n’était pas le cas pour une descendante d’un homme indien. Sharon McIvor a expliqué cette situation en donnant l’exemple suivant :

J’ai une nièce et un neveu. Le garçon est né en avril 1979 et la fille en juin 1980. Leur mère est non-Indienne; le père est Indien inscrit. Mon neveu a eu le statut d’Indien à sa naissance. Ma nièce ne l’a obtenu qu’après le 17 avril 1985, avec le projet de loi C-31. Elle a le statut en vertu du paragraphe 6(2), alors que le garçon a le statut en vertu de l’alinéa 6(1)a). Ils ont les mêmes parents; la seule différence est que l’un est un garçon et l’autre est une fille. Cela ne change pas. La fille ne pourra pas transmettre son statut de son propre droit, au contraire de son frère, du fait de son sexe.

Honorables sénateurs, si le projet de loi C-3 vise à favoriser l’égalité entre les sexes, comment peut-on alors juger cette situation acceptable? Comment peut-on être favorable à un projet de loi qui permet la discrimination fondée sur le sexe? Je sais qu’on reconnaît l’urgence d’adopter le projet de loi. Toutefois, il est important que tous les sénateurs considèrent qu’il a fallu 20 ans à Sharon McIvor pour en arriver là où elle est aujourd’hui. Elle a lutté sans relâche pour que les droits des femmes autochtones soient les mêmes que ceux des hommes.

L’avocat de Sharon McIvor, Gwen Brodsky, a tenu des propos au comité qui continuent de résonner dans ma tête. Il a dit ceci :

Le projet de loi C-3 et l’exercice auquel nous nous adonnons aujourd’hui me font avoir très honte en tant que Canadienne. Il semble que nous soyons en train d’avoir une conversation quant à la question de savoir s’il est acceptable pour le Parlement d’apposer son sceau d’approbation sur une loi discriminatoire. Sommes-nous bien au Canada en 2010?

Honorables sénateurs, ce n’est pas le Canada que j’ai appris à aimer. Le Canada est un pays qui s’est fait le champion des droits de la personne. Nous défendons les droits des femmes partout dans le monde. Pourquoi acceptons-nous de laisser des femmes qui vivent à l’intérieur de nos frontières subir une telle discrimination?

Pendant toute ma carrière, j’ai pu me rendre compte avec une grande tristesse que, dans notre pays, les droits des femmes autochtones sont souvent inférieurs aux droits des femmes non autochtones. Cela est inacceptable. Nous ne pouvons pas laisser cette situation se perpétuer. Les droits d’une femme, indépendamment de sa religion, de sa race ou de sa culture, sont toujours égaux à ceux d’un homme. Ce n’est pas seulement une valeur canadienne. C’est une valeur universelle que nous avons le devoir de défendre.

Honorables sénateurs, je vous exhorte tous à ne pas appuyer le projet de loi C-3.