Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 26

Le mercredi 2 novembre 2011
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Le Sénat

Motion exhortant le gouvernement à présenter des excuses officielles à la communauté sud-asiatique et aux personnes touchées par l’incident du Komagata Maru—Ajournement du débat

L’honorable Mobina S. B. Jaffer, conformément à l’avis donné le 21 juin, propose :

Que le gouvernement du Canada présente des excuses officielles à la communauté sud-asiatique et aux personnes touchées par l’incident duKomagata Maru survenu en 1914.

— Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole au sujet de ma motion, qui presse le gouvernement du Canada de présenter des excuses officielles à la communauté sud-asiatique et aux personnes touchées par l’incident du Komagata Maru, survenu en 1914

Le 23 mai 1914 est un triste jour pour le Canada. C’est le jour où le Komagata Maru, un navire transportant du Japon au Canada 376 personnes d’origine sud-asiatique, est arrivé sur la côte de la Colombie-Britannique. Hélas, les 12 hindous, les 24 musulmans et les 340 sikhs qui, après plus d’un mois en mer, avaient hâte de commencer leur nouvelle vie dans un pays qui leur offrait de vastes possibilités, se sont vu refuser l’entrée au Canada.

Honorables sénateurs, l’incident du Komagata Maru s’est produit à une époque de l’histoire canadienne où les préjugés contre les minorités et les immigrants, notamment ceux d’origine sud- asiatique, étaient fortement enracinés. Malheureusement, ces préjugés trouvaient aussi écho dans la loi.

En 1908, le gouvernement du Canada a promulgué la loi sur le voyage ininterrompu, ou Continuous Passage Act, qui exigeait que tous les immigrants voyagent de manière ininterrompue de leur lieu d’origine jusqu’au Canada. Cette exigence a créé d’importants obstacles à l’immigration en provenance d’Asie, puisque les voyages à partir de la plupart des pays asiatiques comportaient des escales dans des ports. Cette loi touchait particulièrement les habitants de l’Asie du Sud parce qu’elle rendait leur immigration au Canada impossible. En effet, ils devaient entrer au Canada sans avoir fait d’escale, et aucune compagnie de navigation n’offrait ce service.

Outre la loi sur le voyage ininterrompu, une autre loi exigeait que les immigrants asiatiques arrivent au Canada avec 200 $ en poche. Il s’agissait d’un obstacle de taille, puisque la plupart des gens de l’Asie du Sud voulant immigrer au Canada n’étaient souvent pas en mesure d’apporter une telle somme d’argent.

En 1914, Gurdit Singh, originaire de l’Asie du Sud, qui savait très bien qu’un grand nombre de ses compatriotes souhaitaient désespérément commencer une nouvelle vie au Canada, décida de prendre les choses en main. Lors d’un voyage d’affaires à Hong Kong, il a affrété un navire à destination du Canada : le Komagata Maru.

Ce navire a fait le trajet de Hong Kong à Vancouver avec 12 hindous, 24 musulmans et 340 sikhs à son bord. Il a navigué d’une traite du Japon au Canada, conformément à la loi sur le voyage ininterrompu. Le 23 mai 1914, lorsque le navire a finalement accosté à Vancouver, aucun passager n’a reçu l’autorisation de débarquer.

Un vaste mouvement regroupant des groupes communautaires locaux, des politiciens et des organismes gouvernementaux a veillé à ce que les passagers duKomagata Maru ne foulent pas le sol canadien, de sorte que, pendant deux longs mois, les 376 passagers ont été confinés dans le navire.

Non seulement on leur a fait clairement comprendre qu’ils n’étaient pas les bienvenus dans notre pays, mais les fonctionnaires canadiens ont aussi refusé à ces passagers sud-asiatiques le strict nécessaire, comme de la nourriture et de l’eau. Pendant 63 longs jours, tous ceux qui étaient à bord du Komagata Maru ont vécu dans des espaces extrêmement confinés, luttant contre la faim et la déshydratation.

Heureusement, des membres de la communauté sud-asiatique locale ont uni leurs efforts et formé ce qui a été appelé le « comité riverain ». Le comité riverain s’est réuni et a plaidé la cause de tous les passagers du navire. Il a trouvé moyen d’y faire monter de la nourriture, de l’eau et d’autres objets de première nécessité. Le comité riverain a également recueilli des fonds et a entamé des procédures judiciaires et des négociations, déterminé à défendre les droits des 376 passagers et à les aider à prendre un nouveau départ au Canada.

Les 376 passagers à bord du Komagata Maru ont attendu patiemment en dépit du fait qu’ils devaient lutter contre la faim et la maladie. L’espoir d’être accueillis au Canada leur a donné la force de résister à l’épreuve. Ils croyaient dans le Canada.

Malheureusement, le 23 juillet 1914, après avoir passé plus de deux mois en eaux canadiennes, le Komagata Maru et presque tous ceux qui se trouvaient à bord ont dû repartir pour l’Asie. Les rêves et les espoirs des passagers ont été anéantis puisque leur souhait d’entreprendre une nouvelle vie dans un pays plein de possibilités n’allait pas se concrétiser.

Le 27 septembre 1914, lorsque le Komagata Maru a accosté à Calcutta, les autorités britanniques ont mis tous les passagers en détention. Vingt passagers ont été tués, neuf ont été blessés et les autres qui venaient de passer six mois confinés à bord du navire ont été arrêtés et ont encore une fois été soumis à une détention, cette fois, dans une cellule de prison.

Honorables sénateurs, je suis ravie de vous informer que le 3 août 2008, le premier ministre Harper a présenté des excuses à la communauté sud-asiatique, à Surrey, en Colombie-Britannique, au sujet du renvoi du Komagata Maru. Ces excuses ont été adressées aux gens de Surrey. Cependant, bon nombre de membres de la communauté sud-asiatique estiment inacceptable que ces excuses n’aient pas été présentées à la Chambre des communes.

Dans le passé, le gouvernement a présenté des excuses officielles au Parlement pour reconnaître les injustices ou les tors commis. Par exemple, en juin 2010, le premier ministre Harper a présenté des excuses officielles à nos concitoyens autochtones qui ont été victimes du système des pensionnats indiens. Dans le même ordre d’idées, en 2006, le premier ministre Harper a présenté des excuses officielles aux Canadiens d’origine chinoise à qui on a injustement imposé une taxe d’entrée lorsqu’ils ont immigré au Canada.

(1510)

Dans ces deux cas, le gouvernement a reconnu la souffrance et l’injustice infligées à ces collectivités en leur présentant avec tout le respect voulu des excuses devant le Parlement. Les 376 passagers à bord du Komagata Maru ainsi que toutes les personnes qui ont souffert des politiques d’immigration racistes et discriminatoires qui existaient à l’époque, méritent tout autant. Elles devraient être traitées avec le même respect que les groupes précités et recevoir des excuses officielles devant le Parlement.

Honorables sénateurs, j’ai eu le plaisir, en compagnie de nombreux parlementaires de tous les partis, de participer à Vancouver au 15e festival annuel Mela Gadri Babian Da, qui a réuni plus de 10 000 membres de la collectivité sud-asiatique. À la rencontre, nombreux sont ceux qui ont dit que le temps était venu de recevoir des excuses prononcées officiellement au Parlement. J’ai promis à ces gens que je présenterais une motion au Sénat en leur nom. Pour les représentants de cette collectivité, l’incident du Komagata Maru est un rappel constant de toutes les luttes et difficultés qu’ils ont dû affronter.

Honorables sénateurs, tous ceux qui ont été affectés par l’incident du Komagata Maru méritent qu’on leur présente des excuses au Parlement. Le Canada que je connais est un pays qui favorise le multiculturalisme et accueille des représentants de toutes les couches de la société. Le Canada que je connais est un pays qui est fier d’accueillir des gens de toutes races et de toutes religions avec tout le respect, la dignité et l’équité qui leur sont dus. Même si l’incident du Komagata Maru s’est produit il y a près d’un siècle, il représente encore une triste époque de notre histoire. J’ai entendu plus de 10 000 habitants de la région que je représente, en Colombie- Britannique, me dire d’une seule voix qu’ils aimeraient qu’on fasse preuve à leur endroit du même respect qui a été manifesté à d’autres groupes en leur présentant des excuses officielles au Parlement.

Honorables sénateurs, je vous demande de redonner à ces gens leur dignité et de m’appuyer dans les efforts que je fais pour corriger nos fautes du passé. Je présente ma motion au nom de tous les membres de la communauté sud-asiatique, qui m’ont demandé d’être leur voix au Parlement. Tout ce que nous voulons, c’est que les mêmes excuses que le premier ministre Harper a présentées avec une telle sincérité à Surrey soient reprises au Parlement.

Son Honneur le Président intérimaire : Le sénateur Carignan, avec l’appui du sénateur Marshall, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat.

Plaît-il aux honorables sénateurs d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.