Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 34

Le mardi 29 novembre 2011
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Le Sénat

Motion visant à instituer la Journée des droits de la personne le 10 décembre de chaque année—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Jaffer, appuyée par l’honorable sénateur Chaput,

Que le Sénat du Canada reconnaisse, chaque année, le 10 décembre comme étant la Journée des droits de la personne, telle qu’établie par l’Assemblée générale des Nations Unies le 4 décembre 1950.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui dans le débat visant à instituer la Journée des droits de la personne le 10 décembre de chaque année, comme l’a fait l’Assemblée générale des Nations Unies le 4 décembre 1950.

Il ne s’agit pas d’une nouvelle motion. J’ai présenté la même au début de décembre 2010 dans l’espoir qu’elle serait adoptée à temps pour pouvoir célébrer la Journée des droits de la personne le 10 décembre. Cependant, cela ne s’est pas fait. Pour diverses raisons, la motion a été retardée et finalement, elle est morte au Feuilleton.

(1710)

Maintenant, avec une nouvelle législature et une nouvelle session, la reconnaissance de la Journée des droits de la personne par le Sénat est encore plus importante qu’au moment où cette motion a été proposée la première fois, l’an dernier.

La réalité est que, tout au long de l’histoire, la violation des droits de la personne a toujours été une pratique courante. Dans tous les pays du monde, des personnes ont vu leurs droits fondamentaux être bafoués, et de telles violations sont encore fréquentes aujourd’hui.

Les créateurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme l’ont bien compris. En rédigeant ce document historique en 1948, ils ont voulu créer un système qui, d’une part, reconnaissait que notre cadre était imparfait et, d’autre part, s’employait à l’améliorer de façon continue.

À titre de Canadiens, nous sommes très fiers de ce document, puisqu’il a été rédigé par un Canadien, John Peters Humphrey. L’objectif était qu’un jour nous soyons plus près, tant en théorie qu’en réalité, d’un monde où le respect et la dignité de tous les êtres humains primeraient sur les violations qui sont la norme et qui sont pratique courante.

Depuis 1948, la communauté internationale a fait de grands pas vers ce monde plus juste. Le fait de reconnaître le 10 décembre comme étant la Journée des droits de la personne constitue l’un de ces pas importants. En 1950, deux ans après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’Assemblée générale des Nations Unies a décrété que le 10 décembre serait reconnu comme la journée où la communauté internationale soulignerait et célébrerait les droits fondamentaux de tous.

Depuis, un grand nombre de pays, y compris le nôtre, ont pris des mesures afin de faire leur part et de souligner cette journée. En participant à cet exercice international, les États-nations font ressortir l’importance d’un cadre international pour les droits de la personne. Dans mon premier discours sur la motion à l’étude, j’ai fait allusion à Liu Xiaobo, un Chinois qui est un défenseur des droits de la personne qui purge présentement une peine de 11 ans d’emprisonnement pour ses efforts afin d’apporter la liberté et la justice au peuple chinois. L’an dernier, les années d’engagement de Liu Xiaobo à l’égard des droits de la personne ont été reconnues par la communauté internationale, qui lui a décerné le prix Nobel de la paix de 2010. Au moment où j’ai prononcé mon discours, quelques jours avant la cérémonie de remise des prix, on ne savait pas encore si le gouvernement chinois allait permettre à M. Xiaobo de sortir de prison pour aller chercher son prix. Toutefois, le 10 décembre, alors que le monde entier regardait la cérémonie, la réponse est devenue très claire. Le fauteuil vide qui était réservé à Liu Xiaobo en disait long sur le manque d’engagement à l’égard des droits de la personne qui persiste encore au XXIe siècle dans certaines parties du monde.

Honorables sénateurs, nous savons que les droits de la personne doivent être reconnus et respectés à tous les niveaux, et ce, maintenant plus que jamais. En fait, les récents événements survenus au Moyen-Orient le confirment. Le printemps arabe a fait ressortir beaucoup de questions liées aux droits de la personne. Les révolutions démocratiques en Tunisie, en Égypte et maintenant en Lybie ont montré au monde jusqu’où les gens sont prêts à aller pour leurs libertés et leurs droits fondamentaux.

Les gens de ces pays ont trop longtemps vécu dans un système où leur dignité humaine n’était ni respectée, ni valorisée.

Ils ont vécu sous un régime qui ne répondait pas à leurs besoins fondamentaux, pourtant garantis, et qui nuisait à leur bien-être général et à l’épanouissement de leur potentiel.

Cependant, comme nous l’avons vu, c’est par les citoyens que le changement est arrivé, pendant le printemps arabe. Les citoyens de ces pays ont réalisé qu’en tant qu’êtres humains, ils ont des droits fondamentaux inaliénables que personne ne peut leur enlever. C’est pourquoi ils ont décidé de lutter pour ces droits. Ils ont décidé de lutter pour leur vie, pour la vie de leurs enfants et de leurs futurs petits-enfants, et tout ça, au nom des droits de la personne. Comme nous en avons été témoins, ils ont été nombreux à sortir victorieux de cette bataille.

Les incidents survenus au Moyen-Orient au cours des derniers mois ont permis de démontrer la grande force des gens, en particulier quand ils se battent pour leurs libertés fondamentales.

Ce qui m’inquiète le plus, c’est le sort des femmes qui habitent dans ces pays. Le printemps arabe a beau avoir eu lieu, nous devons demeurer vigilants et veiller à ce que le succès de cette révolution ne se fasse pas au détriment des droits des femmes. Trop souvent, le souci qu’ont les femmes du bien-être de leur mars et de leur famille prend préséance sur leurs propres droits fondamentaux. Nous ne pouvons plus demeurer les bras croisés face aux sacrifices que font les femmes. Nous ne devrions pas laisser les femmes assurer l’accès de leur famille à l’eau, à de la nourriture, à un abri et à d’autres nécessités fondamentales au détriment de ses propres droits et libertés.

Honorables sénateurs, j’estime que nous devons aider ces femmes. Nous sommes venus en aide aux Libyens et nous les avons aidés à se débarrasser de Kadhafi. Il nous incombe maintenant de les aider à rebâtir leur pays. Nous ne pouvons tourner le dos à la Libye. Nous devons demeurer sur place pour assurer le respect des droits fondamentaux de tous, surtout des femmes.

En juin dernier, j’ai pris la parole au sujet d’une femme remarquable du nom de Jenni Williams. Protectrice des droits de la personne, Jenni Williams est la fondatrice de l’organisme Women of Zimbabwe Arise!, que l’on appelle aussi WOZA. Cette organisation aide les hommes et les femmes du Zimbabwe à se mobiliser pour défendre leurs droits fondamentaux. Au cours des neuf dernières années, WOZA a mobilisé plus de 80 000 hommes et femmes au Zimbabwe, et a allumé en eux la flamme de la dignité, pour les amener à manifester pacifiquement et courageusement au nom des droits de la personne.

Honorables sénateurs, Jenni Williams et son équipe travaillent avec diligence parce qu’ils croient en un monde où chaque personne — indépendamment de sa race, de sa religion ou de ses croyances — est traitée avec justice et équité en vertu d’une seule vérité : elle appartient à la race humaine.

Honorables sénateurs, la motion que j’ai présentée est particulièrement pertinente, étant donné le monde dans lequel nous vivons et les politiques actuelles.

La désignation du 10 décembre comme Journée des droits de la personne est essentielle puisqu’elle contribue à la création d’un monde où tous les être humains sont respectés et traités avec dignité. En reconnaissant ce seul concept, nous nous montrons solidaires des milliards de personnes dans le monde qui sont déterminées à respecter une série de principes qui favorisent la droiture et la justice.

En juin 2010, durant le sommet du G8 que le Canada a accueilli, nous sommes allés encore plus loin. En lançant l’Initiative de Muskoka, le Canada a dit au monde que la santé des mères et le droit d’accoucher en toute sécurité sont eux aussi des droits de la personne. Le Canada a montré sa détermination à protéger les plus vulnérables.

Je crois que c’est tout à fait louable. Cependant, honorables sénateurs, en faisant du 10 décembre la Journée des droits de la personne, nous réserverons une journée à la réflexion sur ce que nous pouvons tous faire de plus.

Comment peut-on défendre davantage les droits de la personne?

La triste réalité, c’est que nous ne vivons pas dans un monde où chacun peut se prévaloir intégralement et également de ses libertés fondamentales. J’estime cependant que nous pourrons y parvenir un jour, à condition de travailler fort et d’obtenir l’engagement de tous les pays et de tous les peuples du monde. Je crois que le Canada et les Canadiens peuvent être des chefs de file dans cette démarche.

Honorables sénateurs, je vous exhorte à adopter la motion faisant du 10 décembre la Journée des droits de la personne. La simple reconnaissance de la motion signifiera que nous acceptons l’engagement de l’Assemblée générale de l’ONU envers les droits de la personne, ce que la communauté internationale et le Canada en tant que pays ont déjà fait. En adoptant la motion, le Sénat du Canada réaffirmerait sa résolution à défendre les droits de la personne et la liberté des peuples du monde entier.

Honorables sénateurs, n’attendons plus. Agissons sans tarder afin que l’effet se fasse sentir dès maintenant. Nous avons déjà trop attendu. Que le Sénat du Canada reconnaisse le 10 décembre de chaque année comme étant la Journée des droits de la personne.

(Sur la motion du sénateur Tardif, le débat est ajourné.)