Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 44

Le vendredi 16 décembre 2011
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

La Loi constitutionnelle de 1867
La Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales
La Loi électorale du Canada

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, mercredi et jeudi dernier, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a entrepris l’étude du projet de loi C-20, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867, la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales et la Loi électorale du Canada. Aujourd’hui, j’aborderai différents aspects de ce projet de loi qui ont été discutés en comité, à savoir, l’importance d’assurer à tous les Canadiens une représentation équitable, les coûts associés au projet de loi et, finalement, la représentation inéquitable des minorités visibles, qui se continuerait même si ce projet de loi était adopté.

Le comité a entendu le ministre d’État chargé de la réforme démocratique, l’honorable Tim Uppal. Le ministre a expliqué la nécessité du projet de loi C-20 en déclarant ceci :

Le projet de loi C-20 traduit la promesse faite depuis longtemps par le gouvernement d’assurer une représentation équitable de la population à la Chambre des communes en augmentant maintenant et dans le futur le nombre de sièges afin de mieux refléter la croissance démographique en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique […]

Il a donné les explications suivantes :

La formule de rajustement prévue dans le projet de loi C-20 vise à remédier aux problèmes créés par la formule adoptée en 1985, notamment l’élargissement de l’écart entre les provinces où la population augmente le plus rapidement, soit l’Ontario, la Colombie-Britannique et l’Alberta, et les autres. La formule de 1985 a permis de limiter la taille de la Chambre des communes, mais elle a également empêché les provinces dont la population augmente le plus rapidement d’obtenir un nombre de sièges correspondant mieux à leur part relative de la population canadienne.

Il a aussi abordé la sous-représentation flagrante des minorités visibles.

Je connais très bien les défis auxquels fait présentement face ma province, la Colombie-Britannique, du côté de la représentation juste et équitable. Je crois moi aussi que nous devons assurer que tous nos citoyens sont également représentés et qu’ils ont tous une voix. Le projet de loi sur la représentation équitable est un pas dans la bonne direction, mais, comme bien d’autres choses, il reste des questions à régler.

Par exemple, dans les versions précédentes de ce projet de loi, une disposition permettait aux commissaires de tenir compte du taux prévu d’accroissement de la population aux fins de l’établissement des nouvelles limites des circonscriptions. Cette disposition a été supprimée. Je crois que nous devons rétablir cette disposition afin que les commissaires des provinces puissent tenir compte des projections quant au taux d’accroissement de la population.

La question de l’écart autorisé me préoccupe davantage. Quand les commissaires divisent les provinces en fonction de la population moyenne, ils ont le droit de laisser un écart de 25 p. 100. Quand j’ai demandé au ministre Uppal comment il ferait pour garantir à tous les citoyens qu’ils seront représentés équitablement, il a expliqué que les commissaires ont pour mandat de répartir le nombre de sièges prévus pour la province en fonction de la population. Il a ajouté que l’objectif était de veiller à ce que chaque circonscription compte environ 111 000 habitants, en tenant compte de considérations particulières pour les circonscriptions situées dans les régions plus rurales.

Le ministre Uppal a alors donné un exemple de circonscription devant être divisée en raison de sa taille immense. Il a expliqué que la circonscription de Brampton-Ouest comptait 211 000 habitants. Après l’adoption de ce projet de loi, ces 200 000 personnes seraient représentées par deux ou peut-être même trois différents députés, selon la façon dont les nouvelles limites seraient tracées.

Cependant, comme les commissaires pourront laisser un écart de 25 p. 100, je crains que les populations urbaines demeurent aux prises avec les mêmes problèmes que ce projet de loi est censé régler. Dans bon nombre de ces circonscriptions, la population est composée en grande partie de membres des minorités visibles. Dans bien des pays, y compris au Royaume-Uni, l’écart autorisé est de 5 p. 100. Je pense que nous devons donner pour consigne aux commissaires de n’avoir recours à cette possibilité d’écart de 25 p. 100 que dans les cas extrêmes.

Honorables sénateurs, je crois fermement que chaque vote des Canadiens devrait avoir le même poids, où qu’ils vivent au Canada, mais je ne crois pas que ce projet de loi soit la solution appropriée pour assurer que ce soit le cas, parce que nous donnerions toujours aux commissaires le pouvoir de laisser un écart de 25 p. 100 s’ils le jugent nécessaire.

Un autre point qui me préoccupe est le coût associé à l’ajout de 30 nouveaux sièges à la Chambre des communes. Jusqu’à hier soir, j’avais l’impression que cette mesure nous coûterait 14,8 millions de dollars par année. Cependant, en posant plus de questions sur ce montant, j’ai appris que ces 30 nouveaux sièges nous coûteraient en réalité 19,3 millions de dollars, somme à laquelle s’ajouteraient des coûts supplémentaires de 8,6 millions attribuables aux dépenses électorales accrues.

Je suis aussi extrêmement préoccupée par les questions touchant les groupes présentant des spécificités et des intérêts communs. Notre comité a eu l’occasion d’entendre Marc Mayrand, directeur général des élections d’Élections Canada. M. Mayrand nous a expliqué qu’Élections Canada projetait de mettre sur pied un comité d’experts canadiens chargés de discuter avec les membres de la commission des concepts de spécificité et de communauté d’intérêts. Ensuite, il a indiqué pourquoi les groupes présentant des spécificités et des intérêts communs sont concernés par le projet de loi dont nous sommes saisis :

Pour établir une représentation effective, il faut tenir compte des collectivités qui se trouvent dans la circonscription que l’on tente de délimiter. La Cour suprême a fourni une liste ouverte de facteurs à prendre en considération, notamment la démographie, la géographie et la représentation des groupes minoritaires. Il y a un ensemble de facteurs à considérer, et la cour a pris la précaution d’indiquer qu’il ne s’agit que d’une liste et que d’autres facteurs, notamment de nature économique, pourraient s’ajouter à la suite des consultations publiques que mène la commission.

Honorables sénateurs, je suis tout à fait consciente de l’importance de tenir compte des groupes présentant des spécificités et des intérêts communs. Je suis également d’avis que le processus de redécoupage devrait tenir compte de la diversité de la population canadienne, qui comprend des gens de tous les groupes linguistiques, religieux et culturels. Voilà pourquoi j’ai été extrêmement déçue d’apprendre plus tard que les membres de la commission ne seraient pas en mesure de se pencher sur la spécificité et la communauté d’intérêts des groupes, puisqu’ils n’auraient plus accès à l’information nécessaire à cette fin.

Cette année, le formulaire détaillé du recensement obligatoire a été éliminé. Désormais, tous les cinq ans, les Canadiens devront plutôt remplir un formulaire abrégé de recensement servant à recueillir des renseignements sur l’âge, le sexe, la situation de famille et les caractéristiques linguistiques. Le recensement ne permettra plus de recueillir des renseignements concernant d’autres caractéristiques comme l’origine ethnique, la race ou la religion. Ces renseignements pourraient être fournis grâce à l’enquête auprès des ménages, mais il ne faut pas oublier que la participation à cette enquête est tout à fait volontaire, contrairement à la participation au recensement effectué au moyen du formulaire détaillé, qui était obligatoire.

Quand j’ai demandé au professeur Sancton quels défis découleraient d’une future pénurie de données, il m’a répondu ceci :

[…] pour les secteurs où la croissance est la plus rapide et pour lesquels vous avez particulièrement besoin d’information, cette information ne serait pas à jour, selon moi. J’ai toujours trouvé extrêmement utiles les données de Statistique Canada qui se trouvaient sur leurs portables et leur permettaient de nous dire combien de membres de divers groupes minoritaires vivaient dans une zone précise. Je ne vois vraiment pas comment une commission pourrait réussir à s’acquitter correctement de ses tâches si elle ne disposait pas de tels renseignements à jour.

Honorables sénateurs, l’un après l’autre, les témoins nous ont dit que les minorités visibles étaient l’un des groupes les moins représentés. Nous devons donc décider pendant combien de temps nous laisserons cette situation perdurer. Les minorités visibles sont sans contredit sous-représentées actuellement. J’encourage vivement les commissaires à faire le nécessaire pour favoriser une représentation équitable des minorités visibles pendant les audiences publiques.

Notre comité a entendu dire à maintes reprises que ce projet de loi visait à offrir une représentation équitable. Toutefois, après avoir appris que les groupes identitaires et communautaires ne pourraient pas bénéficier de l’attention à laquelle ils devraient avoir droit à titre de Canadiens, je crains qu’ils demeurent sous-représentés même si ce projet de loi est adopté.

Avant de terminer, j’aimerais ajouter que j’ai eu l’occasion de demander au directeur général des élections, M. Mayrand, si les femmes musulmanes seraient tenues d’enlever leur niqab pour voter. Il a répondu que, comme on accepte les bulletins de vote envoyés par la poste, les électeurs n’ont pas besoin de montrer leur visage pour voter. Par conséquent, les musulmanes qui choisissent de porter le niqab n’auront pas à l’enlever pour voter.

Honorables sénateurs, je sais que nous nous sentons pressés d’adopter ce projet de loi parce que le processus de redistribution des sièges est censé commencer prochainement. Mais hier, en écoutant le témoignage du professeur Andrew Sancton, j’ai appris que cette urgence n’était pas réelle. Une mesure législative d’une seule page suffirait à suspendre ce processus, ce qui nous donnerait le temps de bien examiner ce projet de loi et d’en débattre. On a procédé de la sorte à maintes reprises par le passé.

Le Sénat du Canada a un rôle important à jouer, surtout en ce qui a trait à ce projet de loi-ci. On dit souvent que c’est le travail du Sénat de faire un second examen objectif. Par conséquent, j’exhorte tous mes collègues à prendre le temps qu’il faut pour le faire.

En conclusion, honorables sénateurs, il est temps d’assurer une représentation équitable pour tous les Canadiens, surtout pour les minorités visibles.