Débats du Sénat (hansard)
1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 79
Le mardi 15 mai 2012
L’honorable Noël A. Kinsella, Président
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Boisvenu, appuyée par l’honorable sénateur Braley, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-310, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes).
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-301, Loi modifiant le Code criminel (traite des personnes).
Je tiens d’abord à remercier la députée Joy Smith d’avoir présenté le projet de loi d’initiative parlementaire dont nous sommes saisis et d’avoir attiré notre attention sur cette question très importante. Je travaille avec Mme Smith depuis plusieurs années déjà, et j’ai toujours admiré son engagement à l’égard de la question de la traite des personnes, notamment de la traite des femmes et des enfants.
Honorables sénateurs, selon le Protocole de Palerme des Nations Unies, la « traite des personnes » désigne :
Le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation.
Honorables sénateurs, 2,5 millions de personnes se trouvent dans des situations de travail forcé en raison de la traite des personnes. La majorité des victimes de la traite sont âgées de 18 à 24 ans. De surcroît, 43 p. 100 des victimes sont exploitées sexuellement à des fins commerciales et 98 p. 100 d’entre elles sont des femmes et des jeunes filles. En 2006, pour 800 personnes victimes de la traite, seulement une personne a été condamnée. Ce commerce rapporte plus de 12 milliards de dollars chaque année.
Honorables sénateurs, je suis persuadée que, peu importe nos allégeances politiques, nous pouvons tous convenir que la traite des personnes est un problème sur lequel nous devons nous pencher de toute urgence. Le projet de loi C-310 constitue un pas important dans la lutte contre la traite des personnes.
Étant donné que j’ai travaillé sur cette question depuis plusieurs années, j’ai entendu de nombreuses histoires d’hommes canadiens qui ont voyagé à l’étranger dans des pays tels que la Thaïlande, le Cambodge, le Kenya et la Roumanie, où ils ont commis des actes barbares et ont exploité sexuellement des jeunes filles parfois âgées d’à peine quatre ans, et qui n’ont pas été punis ou tenus responsables de leurs actes.
J’ai rencontré des jeunes filles à Mombasa, au Kenya, qui ont été emmenées d’Éthiopie et de Somalie par des hommes canadiens pour être livrées à la traite au Moyen-Orient. On avait promis à ces jeunes filles une vie meilleure et on leur avait fait croire qu’elles travailleraient et étudieraient. Elles ont plutôt connu un très triste sort et ont été exploitées et traitées comme des esclaves.
C’est parce que, aux termes de la loi actuelle, un ressortissant canadien qui recrute, transporte, reçoit, détient et contrôle des victimes à l’étranger ne relève pas de la compétence canadienne et ne peut donc être inculpé en sol canadien. Le projet de loi C-310 reconnaît cette injustice et aide à la faire disparaître en étendant la compétence extraterritoriale canadienne au délit de traite des personnes.
Trois raisons principales justifient la désignation de la traite des personnes comme infraction de portée extraterritoriale. D’abord, cette portée extraterritoriale permettrait au Canada d’arrêter des Canadiens qui ont quitté leur pays pour se livrer à la traite des personnes en toute impunité. Deuxièmement, l’extraterritorialité permettrait de faire justice lorsque l’infraction est commise dans un pays qui n’a pas de bonnes lois contre la traite des personnes ou n’a pas de système judiciaire solide. Enfin, l’extraterritorialité montrerait clairement que le Canada ne tolérera pas que ses ressortissants se livrent à la traite des personnes au Canada ou à l’étranger.
En adoptant le projet de loi, le Canada se joindrait à des pays comme les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Nouvelle- Zélande, l’Australie et le Cambodge, qui ont tous déjà adopté cette dimension extraterritoriale.
Sur le plan législatif, le projet de loi C-310 apporte trois modifications importantes au Code criminel. D’abord, il ajoute les infractions existantes de traite des personnes, soient les articles 279.01 et 279.011, à la liste des infractions qui, si elles sont commises à l’étranger par un Canadien ou un résident permanent du Canada, peuvent faire l’objet de poursuites au Canada. L’article 279.01 porte sur la traite des personnes, tandis que l’article 279.011 porte expressément sur la traite des enfants, c’est-à-dire les mineurs de moins de 18 ans.
Deuxièmement, après avoir été modifié au Comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre, le projet de loi C-310 s’applique à deux autres articles au Code criminel. La traite des personnes peut également entraîner des poursuites au pénal au Canada même si les actes ont été commis à l’étranger. Ce sont les articles 279.02 et 279.03. Le premier concerne les cas où une personne bénéficie d’un avantage matériel, notamment pécuniaire, qu’elle sait provenir de la perpétration d’une infraction de traite des personnes. Le deuxième porte sur les cas où une personne cache, enlève, retient ou détruit tout document de voyage d’une personne, comme un passeport, qui établit la citoyenneté de cette personne.
Troisièmement, le projet de loi C-310 modifiera les définitions des termes « exploitation » et « traite des personnes » pour y ajouter un outil d’interprétation pour les tribunaux lorsqu’il s’agit de voir si une personne est victime ou non de l’infraction de traite des personnes. Cette modification aidera également à préciser la définition de la traite des personnes dans le Code criminel pour compléter la définition employée dans le Protocole de Palerme dont j’ai parlé tout à l’heure.
Honorables sénateurs, je m’occupe depuis des années de la question de la traite des personnes. En 2005, j’ai eu l’honneur de parrainer le projet de loi C-49, le premier jamais présenté au Parlement sur ce crime. Pendant que je me préparais à présenter ce projet de loi, j’ai eu l’occasion de me rendre au Nigeria. Lorsque je me trouvais à Abuja, le haut-commissaire, David Angel, a pris des dispositions pour que je puisse visiter un établissement de détention où était gardé un groupe de 12 jeunes Nigérianes de Kaduna, localité du nord du pays. La plus jeune avait neuf ans et la plus âgée avait 13 ans. Ces filles étaient sur le point de partir pour l’Europe comme victimes de la traite, mais elles avaient été interceptées à l’aéroport. On leur avait dit qu’elles pourraient étudier et connaîtraient une meilleure vie. Leur vraie destination, c’était une maison close en Europe.
Les maisons closes prospèrent grâce à la traite des personnes; on y amène constamment des jeunes filles qui y sont violées et exploitées. Il était vraiment triste de voir le regard innocent de ces jeunes filles qui n’avaient plus nulle part où aller et se trouvaient dans un établissement de détention. Leur vie était en veilleuse à cause des mensonges qu’on leur avait racontés. Elles ont eu de la chance, pourtant. Pour chacune de ces jeunes filles, des milliers échappent à la vigilance des autorités.
Honorables sénateurs, au début de mon intervention, j’ai donné des statistiques extrêmement troublantes. La difficulté, c’est que, lorsque nous parlons de millions, nous avons souvent du mal à nous rappeler que chaque chiffre représente la vie d’un enfant. Qui sont ces victimes de trafic? Ce sont les membres marginalisés, privés de leurs droits et vulnérables de notre société. Permettez-moi de vous raconter l’histoire d’une de ces victimes.
(1450)
Je suis fière de représenter ma province, la Colombie-Britannique, au Sénat. Lorsque les Jeux olympiques d’hiver y ont eu lieu, les cinq autres sénateurs de ma province étaient tout aussi fiers que moi. Le sénateur Nancy Greene Raine avait même un rôle spécial à y jouer, et nous sommes tous fiers de son beau travail. Comme vous le savez, chaque fois qu’il y a de grandes manifestations sportives, il y a un trafic de femmes vers la ville hôte parce que la demande de travailleuses du sexe y augmente. Lorsque l’Allemagne a été l’hôte de la Coupe du monde de football, des milliers de jeunes filles y ont été envoyées. Le mouvement féministe, avec l’aide des gouvernements scandinaves, a pu empêcher beaucoup de ces femmes d’être envoyées vers l’Allemagne au moment des jeux.
En Colombie-Britannique, nous ne voulions pas qu’une seule jeune fille soit victime de la traite et envoyée dans notre province. Je suis très heureuse de vous dire aujourd’hui que les autorités fédérales, provinciales et municipales ont travaillé très fort avec des groupes de femmes, et nous avons pu appliquer une politique de tolérance zéro pour la traite des personnes vers notre pays. Tandis qu’étaient réunis les Britanno-Colombiens, les Canadiens et la communauté internationale, il m’est arrivé bien souvent le soir, d’aller dans le quartier East Side de la ville pour voir de mes yeux si nous avions réussi à stopper la traite en provenance du monde entier vers notre province.
Hélas, j’ai eu la grande tristesse de constater que, malgré nos grands progrès, la traite était toujours une regrettable réalité des Jeux olympiques d’hiver. Lorsqu’on songe à la traite, la plupart d’entre nous s’imaginent des jeunes filles, des jeunes femmes qui viennent de contrées exotiques comme la Thaïlande et le Cambodge. Nous ne nous rendons pas compte que plusieurs femmes victimes de la traite vivent tout à côté de chez nous. La traite des personnes n’est pas limitée aux maisons closes en Thaïlande ou aux bidonvilles de l’Afrique. C’est aussi un problème très répandu dans notre pays, nos provinces, nos villes et localités.
Un soir, pendant les Jeux olympiques, j’ai rencontré Grace, une jeune Autochtone de 12 ans. Elle avait un visage d’enfant, très innocent, et je me suis approchée d’elle. Ce n’était qu’une enfant. Elle m’a dit qu’on l’avait emmenée à Vancouver. Elle n’était pas Canadienne, mais elle était née près de la frontière. Comme son petit ami canadien vivait aux États-Unis était à court d’argent, elle cherchait à l’aider. Il lui a dit qu’elle pourrait gagner de l’argent rapidement pendant les Jeux olympiques, puis retourner auprès de lui. À ce moment-là, une voiture s’est arrêtée et elle a disparu sans que j’aie le temps de lui dire un mot de plus. Je n’oublierai jamais son visage enfantin et innocent. Je la cherche chaque fois que je me promène dans ce quartier. Cette jeune fille s’est fait voler non seulement son innocence, mais aussi son enfance.
Voilà ce que souhaite changer le projet de loi C-310, à savoir empêcher les Canadiens de s’adonner à la traite des personnes, surtout des femmes et des enfants, partout dans le monde. Ce projet de loi a pour objet d’aider des jeunes filles comme Grace, des enfants innocents dont la vie a été détruite par des trafiquants. En réalité, ce type de crime touche de façon disproportionnée les femmes et les enfants. Ce sont les femmes et les enfants qui, régulièrement, sont victimes des pires inégalités sur les plans juridique, social, économique et politique dans le monde entier. La traite des personnes est avant tout un crime qui tire profit de l’iniquité et de l’inégalité.
Même si, dans la majorité des cas, la traite des personnes est étroitement liée à l’exploitation sexuelle, nous devons nous rappeler que le travail forcé est aussi considéré comme une forme de traite, qui sévit dans nos quartiers. Par exemple, en octobre 2010, la GRC a arrêté 10 personnes qui exploitaient ce qu’on a appelé à l’époque un réseau d’esclaves hongrois. Le détachement de la GRC d’Hamilton, en Ontario, a décrit cette affaire de la façon suivante :
D’après les allégations des victimes, elles étaient recrutées dans leur pays d’origine, la Hongrie, pour travailler. Celles-ci provenaient généralement de milieux défavorisés et se trouvaient sans emploi dans leur pays. Elles étaient ensuite envoyées au Canada avec la promesse d’y trouver un emploi stable, une bonne paie et une meilleure qualité de vie. Cependant, elles ont rapidement connu le sort qu’on leur réservait. Les trafiquants exerçaient leur emprise sur leurs victimes, notamment en déterminant à qui elles parlaient, l’endroit où elles vivaient et ce qu’elles mangeaient. En général, les victimes étaient logées dans le sous-sol du domicile des trafiquants et étaient parfois nourries de restes et de déchets, souvent seulement une fois par jour. Les victimes ont aussi déclaré que, chaque jour, elles étaient conduites sur des chantiers de construction et forcées à travailler pendant de longues heures sans recevoir de salaire.
Malheureusement, selon la loi canadienne en vigueur, un citoyen canadien ou un résident permanent pourrait s’établir à l’étranger, dans un pays comme la Hongrie, et se livrer à la traite des personnes au Canada sans réelle menace de poursuite. Le projet de loi C-310 fera en sorte que ce ne soit plus le cas.
Lorsqu’il a comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, le président de Walk With Me, M. Robert Hooper, a présenté aux membres du comité le témoignage qu’a livré un policier dans une affaire de mise en liberté sous caution liée à la traite de personnes d’origine hongroise à des fins d’exploitation. Il a déclaré ceci :
Eh bien […], il faut se mettre dans leur peau. Ils arrivent dans un pays […] dont ils ne parlent pas la langue. Ils ont perdu tout contact avec leur famille. Quelqu’un leur a promis une vie meilleure. Ils ont sauté sur l’occasion. Ils espèrent trouver de meilleures conditions de vie ici. […] Et quelqu’un leur paie le voyage […], mais ils s’aperçoivent à l’arrivée qu’ils vont être utilisés […], qu’ils vont devoir commettre des actes plus ou moins répréhensibles […] et qu’ils n’auront jamais l’argent promis. Ils arrivent d’un pays où les relations avec la police ne sont pas particulièrement bonnes, et, en fait, ils ont très peur de la police en Hongrie. Et ils arrivent ici, ils ne parlent pas la langue du pays, et les voilà embarqués dans un terrible drame.
Honorables sénateurs, ce n’est là que l’un des nombreux exemples de la dure réalité à laquelle se heurtent plusieurs personnes ici même, dans notre pays. C’est avec regret que je souligne que, dans ma propre province, de nombreux Mexicains travaillent dans des conditions très difficiles. Chaque été, je passe du temps avec eux et je leur parle afin de déterminer ce qui pourrait être fait pour rendre leurs conditions de travail moins difficiles. Lorsque je me rends dans la vallée du Fraser et que, je m’entretiens avec ces travailleurs étrangers, j’ai très honte de constater que dans ma province, la Colombie-Britannique, qui est une province riche, on traite les travailleurs avec autant de mépris. Ces derniers travaillent durement pour récolter des fruits et légumes frais pour les Britanno- Colombiens, mais leurs conditions de travail sont extrêmement difficiles. Des Canadiens d’origine mexicaine, comme Raúl Gatica, les centres de soutien à l’agriculture et l’Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, tentent de mettre fin à ces pratiques honteuses. À mon avis, c’est aussi une forme de traite des personnes. Une telle situation ne devrait jamais se produire en sol canadien.
Même si, en principe, j’appuie tout à fait cette mesure législative, je crois aussi qu’elle vise à nous donner bonne conscience. Je félicite Joy Smith d’avoir présenté ce projet de loi. Cela dit, je tiens à rappeler à tous les parlementaires que si les ressources nécessaires ne sont pas allouées à l’application des dispositions de la mesure législative, il ne sera pas possible d’atteindre les objectifs visés par celle-ci.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, plusieurs pays ont adopté des lois sévères contre la traite des personnes, et les États-Unis sont l’un des pays dont j’admire le plus le travail à cet égard. Contrairement aux lois canadiennes, les lois américaines prennent en considération les droits des victimes. Même si le projet de loi C-310 est adopté, les victimes de la traite des personnes continueront d’être laissées pour compte, étant donné que notre approche est axée sur les auteurs de ces crimes. En comparaison, la législation américaine exige que les victimes de la traite des personnes soient logées et qu’elles reçoivent une aide juridique ainsi que des soins médicaux adéquats. De plus, elle permet aux victimes de la traite des personnes provenant de l’étranger de demeurer légalement aux États-Unis et de bénéficier de leur protection. C’est le genre de changements qu’il faudrait apporter à la législation canadienne pour protéger les victimes au lieu de les déporter et de les obliger à quitter notre beau pays.
Le professeur Amir Attaran, qui a témoigné devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, a bien illustré le problème au moyen de l’exemple suivant :
Mettez-vous dans la peau des personnes que l’on oblige à se prostituer. Lorsque vous êtes sur le dos en train d’être exploitée sexuellement, vous souhaitez probablement qu’une personne en uniforme fracasse la porte et passe les menottes à votre trafiquant. Imaginez maintenant comment ce que vous souhaitiez peut facilement devenir un cauchemar lorsque cela se produit, parce que les hommes et les femmes en uniforme qui entrent dans la pièce vous passent les menottes à vous. Pourquoi? Parce que le trafiquant a détruit votre passeport et que vous n’avez plus de visa valide vous permettant de vous trouver au Canada.
Honorables sénateurs, je crois que nous convenons tous que le projet de loi est important et qu’il permettre de s’attaquer au problème très urgent et très répandu de la traite des personnes. Il faudrait cependant qu’il vaille plus que le papier sur lequel il est imprimé. Si l’on veut vraiment s’attaquer à ce problème et protéger les hommes, les femmes et les enfants vulnérables au Canada et à l’étranger contre ce crime grave, il faut que des ressources soient prévues afin de pouvoir appliquer adéquatement les lois.
(1500)
Chaque année, plus d’un million d’enfants sont victimes d’exploitation sexuelle dans le contexte du commerce mondial du sexe. Malheureusement, chaque année un grand nombre de Canadiens vont à l’étranger et participent à des actes sexuels avec des enfants. Face à cette situation, en 1996, les deux Chambres ont adopté le projet de loi C-27, qui porte sur le tourisme sexuel impliquant des enfants. En vertu de cette mesure législative — qui était semblable à celle dont nous sommes saisis aujourd’hui —, tous les actes sexuels commis avec des enfants à l’étranger étaient considérés comme des crimes. Même si le projet de loi C-27 jouissait d’un appui solide et que le principe qui le sous-tendait était lui aussi solide, cette mesure n’a pas été efficace.
En 15 ans, au Canada, seulement cinq poursuites liées au tourisme sexuel impliquant des enfants ont mené à une condamnation. Dans la plupart des cas, ces poursuites étaient le fruit du hasard et non pas le résultat d’une enquête. L’une des cinq poursuites fructueuses visait M. Kenneth Klassen, qui est un marchand d’œuvres d’art à Burnaby, en Colombie-Britannique. À peine 48 heures après avoir atterri au Cambodge, M. Klassen avait agressé et filmé près d’une douzaine de jeunes filles, la plus jeune étant âgée de huit ans. Après avoir vainement soutenu que les dispositions canadiennes sur le tourisme sexuel étaient inconstitutionnelles, M. Klassen a plaidé coupable et il s’est vu imposer la même peine que s’il avait agressé et exploité une jeune Canadienne.
Malheureusement, il y a beaucoup d’hommes comme M. Klassen qui ne sont pas tenus responsables de leurs actes. Le fait que seulement cinq poursuites aient été intentées sur une période de 15 ans confirme cette situation. Celle-ci est en grande partie attribuable au fait que les ressources nécessaires n’ont pas été mises en place pour appliquer la mesure législative.
Honorables sénateurs, si nous voulons vraiment nous opposer à la traite des personnes, nous devons faire un effort honnête afin que ce projet de loi soit assorti des ressources nécessaires.
Un autre exemple de mesure législative dont le principe était louable, mais qui n’était pas assorti des ressources nécessaires pour être efficace, est celui qui criminalisait les mutilations génitales féminines. En 1995, pendant la deuxième session de la trente- cinquième législature, le projet de loi C-27 a été adopté et a fait des mutilations génitales féminines un acte criminel. Cette pratique est donc considérée comme une infraction criminelle au Canada. Ceux qui se livrent à cette procédure peuvent être accusés en vertu du Code criminel du Canada. Malheureusement, il n’y a pas eu une seule condamnation au cours des 17 dernières années, même s’il est établi que cette pratique a toujours cours au Canada.
La législation sur le tourisme sexuel impliquant des enfants et sur les mutilations génitales féminines nous a enseigné qu’il faut être prêt à affecter des ressources afin de s’assurer que la loi est appliquée et que les hommes, les femmes et les enfants vulnérables ne soient plus privés de leur dignité et de leurs droits fondamentaux. Tant que des ressources ne seront pas affectées, la mesure législative ne sera qu’un texte couché sur une feuille de papier.
Le projet de loi C-310 vise à faire en sorte que les Canadiens ne puissent pas s’adonner à la traite des enfants dans le monde. C’est un très bon premier pas, mais il faut maintenant avoir la volonté de fournir les ressources nécessaires pour vraiment mettre fin à la traite des personnes et pour qu’une petite Grace de 12 ans ne soit pas privée de son enfance par des ressortissants canadiens.
Je sais que la majorité des sénateurs vont appuyer cette mesure législative. Je les invite à appuyer le sénateur Boisvenu, qui parraine le projet de loi au Sénat. Cette mesure est le premier pas visant à mettre fin à la traite des personnes. Nous devons fournir les ressources nécessaires afin que les victimes puissent trouver refuge après avoir dénoncé cette activité.
Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)
Renvoi au comité
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons- nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion du sénateur Carignan, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)