Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 122

Le mardi 27 novembre 2012
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

Permission ayant été accordée de revenir à l’article no 2, sous la rubrique Affaires du gouvernement, Projets de loi, Deuxième lecture :

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dagenais, appuyée par l’honorable sénateur MacDonald, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel (maltraitance des aînés).

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel (maltraitance des aînés). Le gouvernement a intitulé ce projet de loi « Loi sur la protection des personnes aînées au Canada ». Le projet de loi C-36 a été adopté à l’unanimité à l’autre endroit.

Comme nous partageons tous le même objectif, soit la sécurité et le bien-être de nos mères, nos pères, nos tantes, nos oncles, nos grands-parents, nos arrière-grands-parents, nos voisins et ceux qui nous ont conseillés dans la vie, nous convenons que, en unissant nos efforts, nous pouvons veiller à ce que les droits de la personne soient également et universellement respectés.

Comme mon collègue, le sénateur Dagenais, l’a indiqué dans son discours, la semaine dernière, ce projet de loi comprend, en substance, un seul article, et celui-ci aurait pour effet d’ajouter un septième facteur aggravant devant être considéré lors de la détermination de la peine, à savoir l’âge et la situation personnelle de la victime. Voilà qui me semble être une modification juste et raisonnable du Code criminel, et j’appuie la motion visant à renvoyer le projet de loi au comité pour que celui-ci l’étudie davantage.

Si seulement il était aussi simple que cela de protéger les personnes âgées du Canada, honorables sénateurs. En fait, les mauvais traitements infligés aux aînés constituent un problème complexe et sérieux, qui exige des mesures judicieuses et exhaustives en matière de politiques publiques.

Honorables sénateurs, je voudrais souligner le dévouement de l’une de nos collègues dans ce dossier. Comme les sénateurs le savent, le sénateur LeBreton a été ministre d’État responsable des aînés de 2007 à 2010. Au cours de ce mandat, le gouvernement du Canada a créé le Conseil national des aînés. En 2008, le gouvernement a lancé l’Initiative fédérale de lutte contre les mauvais traitements envers les aînés. D’une durée de trois ans, ce programme faisant appel à plusieurs ministères est doté d’un budget de 13 millions de dollars et vise à aider les personnes âgées et d’autres personnes à détecter les signes indiquant qu’une personne âgée est maltraitée et à diffuser de l’information au moyen de différents outils disponibles. Ce sont des efforts utiles pour résoudre un problème qui continue de s’aggraver au Canada. Je voudrais remercier le sénateur LeBreton pour son travail de ministre d’État et son appui constant à la cause des personnes âgées du Canada.

C’est la plupart du temps dans le contexte familial que des personnes âgées sont victimes de mauvais traitements : lorsqu’il s’agit de violence, c’est un membre de la famille ou un ami de la victime qui en est responsable dans 70 p. 100 des cas. La violence contre les aînés est une sorte de violence familiale. La violence dans le cadre de la famille peut prendre la forme d’une agression contre la femme, de sévices sexuels contre un enfant ou de mauvais traitements et de négligence envers une personne âgée. L’auteur de la violence peut être un partenaire conjugal, un enfant d’âge adulte, un autre membre de la famille, un soignant ou une autre personne en laquelle on aurait normalement confiance.

Quelle que soit la forme que prennent les mauvais traitements, quelle que soit la dynamique entre l’agresseur et la victime, une caractéristique centrale revient toujours. Tous les sénateurs conviendront avec moi pour dire que la violence familiale est un abus de pouvoir. Plus précisément, la maltraitance des aînés est un abus de pouvoir.

Chaque fois que nous discutons de la maltraitance des aînés, il est important de reconnaître que le phénomène n’est pas simplement fonction de l’âge. La maltraitance des aînés est un terme qui peut prêter à confusion. Le projet de loi C-36 reconnaît cela. Il tient également compte de « […] tout autre élément de sa situation personnelle, notamment sa santé et sa situation financière. »

Les aînés sont maltraités parce qu’ils sont malades, isolés ou fragiles, parce qu’ils comptent sur d’autres personnes pour s’occuper d’eux ou parce qu’ils sont pauvres. Jusqu’à présent, la politique du gouvernement consiste à cerner les risques et à sensibiliser la population. Honorables sénateurs, il faut en faire plus.

Il faut que le gouvernement mette un filet de sécurité à la disposition des aînés vulnérables. Il doit mettre des outils à la disposition des gens. Il ne suffit pas de parler du problème. Il ne suffit pas de sensibiliser le public à la question. Il ne suffit pas de punir plus sévèrement les agresseurs. Il faut mettre au point un filet de sécurité pour éviter que les aînés ne soient maltraités.

Pour ce faire, il faut cerner les facteurs concrets qui contribuent au problème, reconnaître que le sexisme, le racisme, la discrimination fondée sur l’âge ou le handicap, l’exclusion, la pauvreté et la négligence sont des catalyseurs de mauvais traitements. Le dossier est complexe, j’en conviens, mais le gouvernement a l’occasion d’y jouer un rôle très important.

Il faut que tout le monde puisse se sentir en sécurité au Canada. Personne ne peut être oublié ou laissé pour compte.

La semaine dernière, le sénateur Dagenais a parlé du financement fédéral récemment offert pour des campagnes de sensibilisation aux mauvais traitements envers les aînés. La ministre d’État responsable des aînés, Alice Wong, a aussi tenu des tables rondes sur la question des mauvais traitements envers les aînés en Colombie-Britannique, en Alberta et en Ontario, de novembre 2011 à mars 2012. Les campagnes de sensibilisation et les consultations publiques sont des outils essentiels. Lorsqu’ils auront été étudiés attentivement, des amendements motivés au Code criminel seront assurément adoptés. Cependant, ces politiques et ces pratiques ne constituent pas à elles seules la politique publique complète et judicieuse que les aînés canadiens méritent tant et dont ils ont tant besoin.

Pour mettre en contexte la nécessité d’adopter une politique publique en réponse au problème, j’aimerais faire valoir trois points. Premièrement, la maltraitance des aînés touche un nombre disproportionné de femmes, d’Autochtones et d’immigrants.

Deuxièmement, les différentes formes de maltraitance envers les personnes âgées ne sont pas toutes criminelles. La modification du Code criminel ne garantit pas la protection des aînés au Canada, contrairement à ce qu’on prétend dans le titre court du projet de loi.

Troisièmement, étant donné les deux points qui précèdent, le gouvernement fédéral doit élaborer et mettre en œuvre une stratégie de prévention, de détection et d’intervention en matière de maltraitance des aînés. Cette stratégie devrait aussi comprendre des services offerts par des instances locales et provinciales. La coordination et l’accessibilité des services constituent l’un des plus importants enjeux en matière de politique. Le gouvernement devrait montrer l’exemple et faire sienne la responsabilité qui consiste à assurer des droits égaux et universels. Il ne suffit pas que le gouvernement fédéral contribue; celui-ci doit montrer la voie.

Honorables sénateurs, à propos de mon premier point concernant les taux disproportionnellement élevés de maltraitance des aînés chez les femmes, les Autochtones et les immigrants, j’aimerais revenir sur quelque chose que le sénateur Dagenais a dit la semaine dernière.. Le sénateur a affirmé avec raison que, puisque la population vieillit, nous allons assister à une hausse de la maltraitance des aînés. Toutefois, le taux de maltraitance envers les aînés augmente lui aussi, et le problème est particulièrement grave chez les femmes, les Autochtones et les immigrants.

Il y a plus de 20 ans, le gouvernement créditiste de la Colombie- Britannique m’avait nommée présidente du groupe de travail de la province sur la violence familiale, qui a publié en février 1992 un rapport intitulé Is Anyone Listening?

En 1992, on comptait environ 40 cas de maltraitance pour 1 000 personnes âgées, soit une incidence de 4 p. 100. En 2007, le Conseil national des aînés estimait que l’incidence de la maltraitance des aînés se situait entre 4 et 10 p. 100. Comme l’a affirmé le conseil : « Il est néanmoins difficile d’estimer la prévalence et l’incidence de la maltraitance des aînés au Canada. »

Nous savons que, de 2004 à 2009, le nombre de cas de violence familiale envers les aînés qui ont été rapportés à la police a augmenté de 14 p. 100. Ce petit échantillon et l’estimation du Conseil national des aînés nous portent à croire que le problème s’aggrave.

Pourquoi les taux d’incidence continuent-ils d’augmenter alors que le gouvernement consacre des millions de dollars à des campagnes de sensibilisation? Malgré les efforts déployés, le contexte social sous-jacent propice à la maltraitance des aînés demeure. Comme le groupe de travail de la Colombie-Britannique l’a signalé il y a 20 ans : « Au fur et à mesure que les gens vieillissent, on considère qu’ils perdent leur pouvoir, leur statut et leur valeur, et cela est tout particulièrement vrai dans le cas des femmes. » Le groupe de travail a constaté que cette perception peut faire en sorte qu’on traite les aînés comme des enfant ou des personnes à qui il faut prodiguer des soins, et non comme des adultes.

En août 1991, le gouvernement progressiste-conservateur du premier ministre Mulroney a créé le Comité canadien sur la violence faite aux femmes, dont j’étais membre. Dans le rapport qu’il a présenté en 1993, le comité a exposé trois facteurs : l’acceptation générale du fait que les femmes sont subordonnées aux hommes et que certaines femmes sont subordonnées à d’autres femmes, la dépendance des femmes à l’égard des hommes et de la hiérarchie masculine, de même que l’isolement physique, psychologique et social.

Ces réalités restent fondamentalement inchangées. Le Senior Women Against Abuse Collective a cité le témoignage d’une femme de 71 ans :

Lorsqu’il a sorti son arme à feu, j’ai pris le téléphone et j’ai appelé la police. Je n’avais jamais fait cela auparavant. Lorsqu’ils sont entrés dans notre chambre, je me suis sauvée. Le policier a tenté de me convaincre d’entrer dans la maison pour discuter, mais j’ai refusé. Lorsque je suis montée dans la voiture, j’ai dit : « Je ne rentrerai jamais à la maison. Il me tuera. »

Malheureusement, honorables sénateurs, la violence familiale est très répandue dans la société, et la maltraitance des aînés ne sévit pas en vase clos. Dans le cas que je viens d’évoquer, il est question de violence familiale, de violence faite aux femmes, de violence armée et de mauvais traitements infligés aux personnes âgées. Pour éliminer l’un de ces comportements, il faut tous les éliminer.

Voici ce que souligne à propos des femmes le Réseau canadien pour la prévention des mauvais traitements envers les aîné(e)s :

[…] leurs ressources financières sont déjà plus faibles, une plus grande proportion de femmes âgées vivent déjà sous le seuil de la pauvreté et les femmes âgées vivent plus longtemps que les hommes âgés, de sorte que toute perte de revenu ou d’actif résultant de l’exploitation financière les [touchera] davantage et plus longtemps

Il ajoute ceci :

[…] les femmes sont en moyenne plus petites et généralement moins capables de se défendre que les hommes, et les femmes âgées sont plus susceptibles que les hommes âgés d’être atteintes d’une affection incapacitante.

Selon ce qu’a rapporté Statistique Canada en 2011, les femmes sont surtout victimes d’actes de violence familiale commis par leurs enfants adultes, leur conjoint, leur ex-conjoint ou d’autres proches.

Ne nous leurrons pas, honorables sénateurs : de toute évidence, les observations relatives au patriarcat et à son rôle dans la promotion de la maltraitance des personnes âgées sont aussi pertinentes aujourd’hui qu’en 1992.

Dans son rapport de 1992, le groupe de travail de la Colombie- Britannique admet qu’il y a des lacunes dans les données sur la maltraitance des aînés chez les Autochtones, mais il précise ceci :

[…] les Autochtones âgés qui sont victimes de mauvais traitements peuvent aussi avoir de la difficulté à obtenir des services s’ils se trouvent en région isolée ou si ceux-ci ne sont pas offerts dans une langue qu’ils comprennent.

Le groupe de travail avait raison de s’inquiéter. De nos jours, un nombre proportionnellement plus grand d’Autochtones âgés continuent à vivre dans les réserves, où le risque de violence est plus élevé. De plus, les femmes risquent à peu près trois fois plus d’être victimes de violence si elles sont autochtones.

En ce qui concerne la violence contre les immigrants âgés, le groupe de travail a fait remarquer que les familles multigénérationnelles d’immigrants sont aux prises avec une pression intense, notamment à cause du choc des anciennes et des nouvelles valeurs, du manque de compréhension des lois, des coutumes ou des attentes ainsi que des connaissances linguistiques qui font parfois défaut. Ce sont autant de facteurs qui peuvent empêcher les immigrants âgés d’avoir recours aux services dont ils ont besoin s’ils sont maltraités.

Cette situation n’a pas changé depuis la publication du rapport du groupe de travail, en 1992, et ce, malgré la surreprésentation des immigrantes parmi les Canadiennes de 65 ans et plus.

Pour établir une politique sur les mauvais traitements envers les aînés, les gouvernements devront reconnaître que les femmes, les Autochtones et les immigrantes sont touchées de manière disproportionnée.

Cette politique devra aussi tenir compte des diverses formes que prennent les mauvais traitements envers les aînées.

Voilà qui m’amène à mon deuxième point. Ce ne sont pas toutes les formes de violence contre les aînés qui sont d’ordre criminel. Le groupe de travail sur la violence familiale de la Colombie- Britannique créé en 1992 a défini la maltraitance des aînés comme étant « toute action ou inaction qui menace la santé ou le bien-être d’un aîné ». Cette définition vise plusieurs formes de maltraitance des aînés, notamment la violence physique, soit tout acte de violence ou traitement brutal qui cause des blessures ou un inconfort physique; la violence psychologique ou émotionnelle, soit tout acte, y compris le confinement, l’isolement, l’agression verbale, l’humiliation, l’intimidation ou l’infantilisation, ou tout traitement susceptible de porter atteinte à l’identité, à la dignité et à l’estime de soi d’un aîné; l’exploitation financière, soit la mauvaise utilisation de fonds ou de biens d’un aîné ou l’obtention de biens immobiliers ou de fonds sans que l’aîné le sache et y consente expressément; la violence sexuelle, soit tout acte sexuel visant un aîné sans que celui- ci le sache et y consente expressément, y compris l’agression sexuelle, le harcèlement sexuel ou le recours à la pornographie; l’usage préjudiciable de médicaments, soit la mauvaise utilisation des médicaments et des ordonnances d’un aîné, y compris la non- administration de médicament et l’administration d’une trop grande dose de sédatifs; les violations des droits civils et des droits de la personne, soit l’inobservation des droits fondamentaux des aînés prévus notamment dans les lois, dans la Charte des droits et libertés et dans la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies, y compris la dissimulation de renseignements, l’atteinte à la vie privée ou à la liberté ainsi que le refus de l’accès à des visiteurs ou au courrier; et, enfin, la négligence intentionnelle, qui consiste à omettre sciemment de répondre aux besoins primaires des aînés ou de leur donner des soins de base.

Honorables sénateurs, certains de ces actes sont criminels, mais la plupart ne le sont pas. La protection de nos aînés doit aller au-delà de la modification du Code criminel. J’ai parlé plus tôt du fait que les mauvais traitements dont les personnes âgées sont victimes ne sont pas toujours signalés. Ce projet de loi modifiant le Code criminel ne peut rien faire contre les mauvais traitements constituant des actes criminels s’ils ne sont pas signalés.

J’évoquerai la théorie des connus connus, des connus inconnus et des inconnus inconnus. Autrement dit, honorables, il y a des choses que nous savons que nous connaissons, des choses que nous savons que nous ignorons et des choses que nous ignorons que nous ne connaissons pas. La loi sur la protection des personnes âgées ne porte que sur une petite partie des connus connus.

Nous savons que les taux de mauvais traitements sont élevés dans certains segments de la population. J’attire encore une fois votre attention sur les femmes, les Autochtones et les immigrantes. Nous savons que nous ne connaissons pas le taux exact de mauvais traitements dont sont victimes les aînées, en partie parce que le problème demeure mal défini et peu compris, et que les cas sont si rarement signalés.

Qu’est-ce que nous ignorons que nous ne connaissons pas? La nature de la question favorise les suppositions, honorables sénateurs, mais je n’émettrai pas d’hypothèses. Je vais réfléchir et tirer des conclusions à la lumière de mon expérience comme présidente du groupe de travail de la Colombie-Britannique sur la violence familiale et membre du Comité canadien sur la violence faite aux femmes. Notre compréhension et notre conception des mauvais traitements à l’égard des aînés sont sérieusement limitées parce que notre réponse jusqu’ici a été sérieusement limitée. Des études ont été réalisées et des campagnes de sensibilisation ont été menées, c’est vrai, mais jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu de réponse coordonnée ni de filet de sécurité approprié pour protéger les aînés.

Voilà qui m’amène à mon troisième point. En ce qui concerne les mauvais traitements à l’endroit des personnes âgées, le gouvernement doit élaborer une stratégie de prévention, de détection et d’intervention. La demande n’est pas nouvelle, et les recommandations ne le sont pas non plus. Je citerai une fois de plus le groupe de travail de la Colombie-Britannique sur la violence familiale :

Au sujet de la prévention :

Les services de prévention offerts aux personnes âgées ou handicapées sont insuffisants.

Les programmes d’évaluation pour l’obtention de services de relève, de places dans les centres d’hébergement permanent et de courts séjours ont des listes d’attente, et la charge de travail du personnel des soins continus est lourde.

En outre, il y a un manque de services pour aider les aînés à veiller à leurs propres affaires.

La maltraitance des aînés est aggravée par le manque de services.

Les prestations d’aide sociale peu élevées, le manque de logements permettant aux aînés de vivre de façon autonome ou semi-autonome, l’accès limité aux moyens de transport ainsi que les services de santé et les services sociaux limités font en sorte que les aînés perdent leur autonomie et finissent par avoir une faible estime de soi et être isolés.

Cette situation touche particulièrement les aînés vivant dans la pauvreté, dont la plupart sont des femmes.

Voici ce qu’on dit à propos de la détection :

La détection des cas de maltraitance des aînés est entravée par le caractère sacro-saint de la famille et le principe du respect de la vie privée, et par l’idée fausse et persistante qui veut que les membres de la famille prennent soin de leurs proches et respectent leurs aînés.

Certaines victimes sont incapables de communiquer parce qu’elles ne parlent pas anglais, ou parce qu’elles ont un handicap physique ou psychologique qui nuit à la communication.

Je cite un extrait sur l’intervention :

Il faut avoir des outils efficaces pour détecter les cas d’abus, pour savoir comment intervenir de la façon la plus efficace et la plus respectueuse, et pour déterminer si l’aîné est capable de prendre des décisions et des mesures en fonction de l’information qu’on lui fournit.

La violence familiale et la maltraitance des aînés sont souvent décrites comme une guerre. Alors que le nombre de victimes augmente, nous ne pouvons offrir que des services de triage et des mesures comme ce projet de loi. Nous devons répondre à des questions complexes semblables à celles posées en situation de guerre. Comment porter le deuil des disparus, comment sauver les blessés et, surtout, comment protéger les jeunes, les aînés et les plus vulnérables?

Je crois que le Canada est un grand pays, mais nous devons être à la hauteur de cette réputation. Il est urgent que nous mettions en place un réseau de sécurité complet pour empêcher que des gens soient tués ou blessés, et pour que la violence ne cause pas de séquelles permanentes aux enfants.

La maltraitance des aînés est un problème urgent auquel doivent répondre tous les fournisseurs de services, qu’ils soient policiers, préposés aux bénéficiaires d’un établissement ou éducateurs publics.

Honorables sénateurs, j’ai lu, comme vous, les articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Je comprends le principe des champs de compétence, mais je m’impatiente lorsqu’on invoque ce principe pour se dérober à ses responsabilités, pour légitimer le manquement au devoir. Ce n’est pas digne d’un leader. Le gouvernement fédéral a la responsabilité morale et juridique de protéger les droits de la personne de tous les Canadiens, y compris les aînés. Comme je l’ai mentionné plus tôt, la coordination et l’accessibilité des services demeurent un grave problème. L’Initiative fédérale de lutte contre les mauvais traitements envers les aînés, qui a pris fin en 2011, comprenait des campagnes de sensibilisation nationales, des sondages d’opinion publique et des mises à jour de la politique de la GRC, mais elle n’a pas établi de relations de travail entre les provinces et les fournisseurs de services et n’a pas intégré nombre de mesures essentielles à la prévention, à la détection et à l’intervention.

Honorables sénateurs, voilà plus de 40 ans que j’écoute les témoignages d’aînés qui ont été victimes de maltraitance. J’aurais des centaines et des centaines d’histoires à vous raconter. Dans bien des cas, il s’agit de parents qui ont pris soin de leurs enfants et ont subvenu à leurs besoins, mais qui, malheureusement, lorsque leur tour est venu de se faire soigner une fois âgés, ont été maltraités par leur époux ou leurs enfants. Avant de conclure mon discours d’aujourd’hui, j’aimerais vous faire part d’une de ces histoires.

J’étais une très jeune avocate la première fois que j’ai rencontré Bill et Marjory. Bill et Marjory ont toujours tiré une grande fierté des ressources qu’ils mettaient à la disposition de leurs deux enfants, Lisa et Tom. Marjory est restée à la maison pour prendre soin de ses enfants à plein temps tandis que Bill, un homme d’affaires prospère, fournissait amplement de ressources à ses enfants. Lisa et Tom ne manquaient de rien. Pendant toutes ces années où Lisa et Tom ont fréquenté la maternelle, puis l’école primaire, puis l’école secondaire, puis l’université, leurs parents ont subvenu à tous leurs besoins et ont pris soin d’eux. Bill et Marjory ont payé pour les études universitaires de leurs enfants, leurs mariages et la mise de fonds pour leurs premières maisons. Ils ont même assumé les frais de divorce de Tom.

Tout allait bien dans cette famille jusqu’à ce que la santé de Marjory commence à se dégrader. Marjory souffrait de démence, mais Bill était résolu à ce qu’elle vive à la maison. Il a demandé à ses enfants de l’aider à prendre soin d’elle pour avoir un peu de répit. Pourtant, ils trouvaient souvent des excuses pour ne pas l’aider. Un jour, quand Bill est revenu à la maison, il a été consterné de découvrir que Tom avait attaché Marjory. Tom a expliqué qu’il l’avait attachée parce qu’elle était sur le point de se faire mal. Bill l’a cru, mais il a ensuite constaté que, chaque fois que Tom venait à la maison pour donner un coup de main, il attachait toujours Marjory alors que Bill avait à peine quitté la maison, et ce, malgré les protestations vigoureuses de Marjory. Un jour, alors que leur fille Lisa prenait soin de Marjory, Bill est rentré à la maison plus tôt que prévu et a vu Lisa gifler sa mère; il n’en croyait pas ses yeux.

Quand j’ai parlé à Bill, il était complètement atterré. Il me répétait encore et encore comment lui et Marjory avaient pris soin de Tom et de Lisa. Bill et Marjory avaient consacré leur vie à prendre soin de leurs enfants. C’était leur plus grande source de bonheur. Cela n’a rien d’étonnant, puisque le plus cher désir des parents, c’est que leurs enfants puissent avoir une vie plus heureuse, plus saine et plus prospère que la leur. Pourtant, quand Marjory et Bill ont eu besoin de l’aide de leurs enfants, Tom et Lisa les ont vus comme des boulets. En plus de ne pas s’occuper de leurs parents et de ne pas répondre à leurs besoins, ils les ont maltraités. Bill éprouvait une honte terrible. Il ne savait pas où trouver de l’aide et des services.

Honorables sénateurs, plusieurs Canadiens se trouvent dans la même situation que Marjory et Bill. Nous devons faire davantage pour les aider. Nous devons fournir des services pour mettre fin aux mauvais traitements.

Honorables sénateurs, comme je l’ai promis au début de mon discours d’aujourd’hui, j’appuierai une étude plus approfondie du projet de loi C-36. Cette mesure législative requiert un débat plus poussé; elle exigera aussi des gestes concrets dans les nombreux volets des politiques publiques liés à la maltraitance des aînés. Comme je l’ai expliqué aujourd’hui, ce problème touche particulièrement les femmes, les Autochtones et les immigrants, et la maltraitance des aînés ne comprend pas que des infractions criminelles. Il ne suffit donc pas de modifier le Code criminel pour protéger les aînés canadiens.

Enfin, j’ai souligné la nécessité de dresser une stratégie pancanadienne exhaustive faisant intervenir tous les ordres de gouvernement. Honorables sénateurs, je vous exhorte tous à réclamer une stratégie nationale exhaustive. Ce n’est pas pour rien que le rapport de 1992 du groupe de travail sur la violence familiale de la Colombie-Britannique s’intitule Is anyone Listening?. Vingt ans plus tard, la question est toujours pertinente.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : L’honorable sénateur Dagenais, avec l’appui de l’honorable sénateur MacDonald, propose que le projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel (maltraitance des aînés) soit lu pour la deuxième fois.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons- nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Carignan, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)