Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 129

Le mardi 11 décembre 2012
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Le Sénat

Motion tendant à exprimer le soutien du Sénat à Malala Yusufzai et à sa famille—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Ataullahjan, appuyée par l’honorable sénateur Martin,

Que le Sénat du Canada exprime son appui à Malala Yusufzai pour le courage, la ténacité et le soutien remarquables dont elle a fait preuve à l’égard du droit des filles à l’éducation partout dans le monde, qu’il lui offre ses meilleurs vœux de rétablissement, qu’il salue le courage de sa famille et remercie le personnel de l’hôpital de Birmingham, au Royaume-Uni, pour les soins qu’il lui dispense, et qu’il manifeste sa solidarité aux jeunes filles et aux jeunes femmes de partout dans le monde dont le droit absolu à l’égalité des chances et à une éducation de qualité doit être reconnu et appliqué universellement.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion du sénateur Ataullahjan portant que le Sénat du Canada exprime son appui à Malala Yusufzai pour le courage, la ténacité et le soutien remarquables dont elle a fait preuve à l’égard du droit des filles à l’éducation partout dans le monde; qu’il lui offre ses meilleurs vœux de rétablissement; qu’il salue le courage de sa famille et remercie le personnel de l’hôpital de Birmingham, au Royaume-Uni, pour les soins qu’il lui dispense; et qu’il manifeste sa solidarité aux jeunes filles et aux jeunes femmes partout dans le monde, dont le droit absolu à l’égalité des chances et à une éducation de qualité doit être reconnu et appliqué universellement.

J’aimerais profiter de l’occasion pour remercier madame le sénateur Ataullahjan de son leadership dans le dossier des droits des filles. Je sais qu’elle a eu la chance de rendre visite aux parents de Malala à Londres pour leur transmettre nos pensées, nos prières et notre appui. Je veux aussi remercier le sénateur Segal de m’avoir encouragée à participer au débat sur cette motion.

La motion porte sur Malala, son incroyable courage et sa vision inébranlable pour que les jeunes filles jouissent d’un accès universel à l’éducation au même titre que les garçons.

Les changements les plus profonds naissent d’une vision, mais, pour que cette vision devienne réalité, elle doit être alimentée au moyen de ressources humaines et financières.

Honorables sénateurs, nous sommes tous reconnaissants envers les personnes qui nous ont éduqués et qui nous ont permis d’acquérir les aptitudes et l’autonomie voulues pour devenir sénateurs. Les sénateurs Seth, Ataullahjan et moi sommes très conscientes que nous avons reçu la meilleure des éducations grâce à la vision de nos pères et des ressources investies en notre nom.

Nous répétons souvent toutes les trois à quel point nous sommes chanceuses que nos pères aient eu la vision de nous fournir la meilleure éducation possible.

Nous serons tous les trois reconnaissantes à jamais envers nos mères et nos pères. L’investissement qu’ils ont fait dans notre avenir nous a sans contredit aidé à devenir sénateurs.

Honorables sénateurs, 170 millions d’enfants dans le monde ne fréquentent pas l’école. De ce nombre, 70 p. 100 sont des filles. On estime que, de toutes les filles inscrites à l’école, 100 millions décrocheront avant même d’avoir terminé leurs études primaires.

Les recherches montrent que les femmes qui ont reçu une éducation et qui gagnent un revenu réinvestissent 70 p. 100 de ce revenu dans leur famille, comparativement à entre 30 et 40 p. 100 chez les hommes.

Honorables sénateurs, j’aimerais raconter aujourd’hui l’histoire de Malala Yusufzai. À l’âge de 11 ans, Malala commence à bloguer pour la BBC sous un pseudonyme. Elle parle de sa vie sous le régime taliban, où elle se rend à l’école en cachette en dissimulant ses livres sous ses vêtements. Le 8 février 2009, elle écrit dans son journal, publié sur le site ourdou de la BBC :

J’ai eu de la peine en ouvrant mon placard et en voyant mon uniforme scolaire, mon sac d’école et ma boîte de géométrie. Les écoles pour garçons ouvrent demain, mais les talibans ont interdit l’éducation des filles.

Malheureusement, en octobre dernier, Malala a été attaquée par des talibans au Pakistan. Son acte de défiance a été de partager sa soif de connaissance et d’avoir poursuivi son plus grand désir, celui d’apprendre et de fréquenter l’école. Nous devons appuyer et encourager sa détermination inébranlable et sa vision profonde des choses. Malala a été une source d’inspiration. Elle nous a incités à réaffirmer notre engagement envers l’accès universel et égal à l’éducation.

Dans l’article 28 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, les États membres reconnaissent le droit de l’enfant à l’éducation, s’engagent à préserver la dignité humaine de l’enfant et prennent la résolution de favoriser la coopération internationale afin d’éliminer l’analphabétisme partout dans le monde.

Nous savons tous qu’améliorer l’accès des jeunes filles à l’éducation favorise la santé, ainsi que la prospérité des jeunes filles et de leurs communautés. L’éducation permet aux jeunes filles d’améliorer leur vie et celle des personnes de leur entourage.

L’éducation est un droit de la personne non négociable. Tous les enfants, peu importe où ils habitent, ont ce droit. Pourtant, 101 millions d’enfants ne fréquentent pas l’école primaire. Plus de la moitié sont des filles. Dans les pays les moins développés, l’alphabétisation chez les jeunes est 1,2 fois plus élevée chez les hommes que chez les femmes.

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Pour citer un rapport récemment produit par Plan Canada et la faculté de droit de l’Université de Toronto :

[…] 66 millions de filles ne reçoivent pas d’éducations en ces temps où elles ont non seulement le pouvoir de transformer leur propre vie, mais également le monde qui les entoure.

Le même rapport, intitulé Le droit d’une fille d’apprendre sans peur, souligne aussi le nombre inacceptable d’enfants d’âge scolaire qui subissent de la violence fondée sur le sexe : 150 millions de jeunes filles et 73 millions de garçons ont subi des actes de violence sexuelle. Les jeunes filles de moins de 16 ans sont victimes de près de la moitié des agressions sexuelles.

L’intimidation est également un phénomène pernicieux. Selon le pays, entre un cinquième et les deux tiers des enfants ont indiqué avoir été victimes d’intimidation verbale ou physique.

Enfin, dans les écoles de certains pays, plus de 80 p. 100 des élèves se font infliger des punitions corporelles sous prétexte de discipline, ce qui contrevient directement à l’article 28 de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies.

Honorables sénateurs, je me rappelle avoir entendu mes parents discuter des paroles de l’ancien Aga Khan, Sir Sultan Mohammed Shah, qui a dit ce qui suit :

Quand vous éduquez un garçon, vous n’éduquez que lui, mais quand vous éduquez une fille, c’est toute la famille que vous éduquez.

Si vous avez deux enfants, un garçon et une fille, mais que vous n’avez les moyens d’en éduquer qu’un seul, vous devriez toujours éduquer la fille, car toute la famille bénéficiera de son éducation et, par ricochet, toute la collectivité.

Mes parents et plusieurs autres personnes ont pris ces paroles à cœur et ont œuvré sans relâche à l’éducation des jeunes filles.

Honorables sénateurs, j’estime que garantir le droit à l’éducation relève d’une vision louable, mais cette vision ne suffit pas à elle seule. Il faut encore la concrétiser par l’apport de ressources humaines et financières.

L’ancien Aga Khan, Son Altesse Sir Sultan Mohamed Shah, et l’actuel Aga Khan cherchent depuis plus d’un siècle à améliorer l’accès à l’éducation et la qualité de l’éducation pour les jeunes filles. Au seul Pakistan, l’engagement à l’égard de l’éducation des jeunes filles s’est concrétisé notamment par les écoles Diamond Jubilee dans les régions septentrionales du Pakistan dans le Chitral pour commémorer, en 1946, les 60 ans que Sir Sultan Mohamed Shah avait passés en qualité de chef spirituel des musulmans chiites imamis ismaéliens.

Cette semaine à Paris, Son Altesse le prince Karim Aga Khan a félicité le président Zardari du Pakistan de la collaboration de son gouvernement avec l’UNESCO pour accueillir une manifestation pour la promotion de l’éducation au Pakistan. Le président Zardari a profité de l’occasion pour saluer les services de Son Altesse l’Aga Kan dans le monde et lui signifier son appréciation, soulignant notamment la promotion de l’éducation, l’éradication de la pauvreté, l’autonomisation des femmes et le développement socioéconomique du Pakistan.

L’accès à l’éducation pour les jeunes filles ne peut être garanti si on n’assure pas la qualité de l’enseignement. Le Réseau Aga Khan de développement a injecté beaucoup de capitaux dans des programmes de formation des enseignants sur le terrain qui préparent des enseignants qui n’ont pas fait d’études à l’obtention d’un certificat de l’État en enseignement.

Dans les années 1980, la fondation a également ouvert deux écoles secondaires modèles en milieu rural pour les filles au Pakistan : les écoles Aga Khan de Sherqilla et de Karimabad. Ces écoles ont été construites pour assurer aux filles de la région un accès égal à l’éducation. Le Réseau Aga Khan de développement a pris un engagement similaire à l’égard de l’éducation des jeunes filles en Afrique de l’Est.

En outre, l’Université Aga Khan a établi l’Institut pour le développement de l’éducation à Karachi, au Pakistan, et à Dar es Salaam, en Tanzanie, pour former des enseignants et des responsables des politiques afin de promouvoir la qualité de l’éducation des jeunes filles et de veiller à ce que les meilleures enseignantes aient des possibilités de perfectionnement.

Le souci de l’avancement professionnel des femmes a également amené l’Université Aga Khan en Asie du Sud, en Asie centrale et en Afrique de l’Est à établir des écoles pour former des infirmières et des sages-femmes, et à veiller à ce que les professions fortement dominées par les femmes aient une stature et des ressources professionnelles à la mesure de leur importance pour le développement national.

Honorables sénateurs, je suis née en Afrique de l’Est à une époque où il n’y avait pas beaucoup d’écoles. Son Altesse l’Aga Khan a bâti des écoles dans toute l’Afrique de l’Est, notamment à Kampala, en Ouganda, où je suis née. J’ai fréquenté le jardin d’enfants Aga Khan, l’école primaire Aga Khan et l’école secondaire Aga Khan. Cette dernière était une école modèle, et l’Aga Khan engageait lui- même des enseignants venus d’Angleterre pour nous offrir la meilleure éducation possible.

J’ai reçu la meilleure éducation possible parce que l’Aga Khan croit que les jeunes filles doivent étudier et qu’il a agi selon ses convictions en injectant dans l’éducation des ressources considérables. L’Aga Khan a reconnu que l’engagement à l’égard de l’éducation des jeunes filles exige des investissements soigneux et soutenus dans la capacité institutionnelle des établissements de l’État et de la société civile, ce qui peut ouvrir des possibilités intéressantes aux jeunes filles, en mettant un accent spécial sur la formation et le soutien des enseignants.

Honorables sénateurs, je crois que si Malala avait la possibilité de nous adresser la parole aujourd’hui, au Canada, elle voudrait d’abord nous remercier de l’avoir soutenue dans ses épreuves, mais elle demanderait aussitôt : quel est vraiment votre engagement à l’égard de l’éducation des jeunes filles? Elle comprendrait que nous avons à cet égard une vision très nette et de profondes convictions. Elle nous demanderait si nous avons un engagement soutenu à concrétiser cette vision au moyen de ressources humaines et financières.

Honorables sénateurs, je vous invite à vous joindre à moi pour appuyer la motion du sénateur Ataullahjan. Je nous exhorte tous à retirer de l’histoire incroyable de Malala Yusufzai non pas un mépris pour ses agresseurs, mais une inspiration pour soutenir sa cause. Que son courage soit l’élément déclencheur qui nous poussera à agir. Unissons-nous pour appuyer cette vision et veiller à ce qu’elle s’accompagne de l’engagement humain et financier nécessaire pour que l’éducation soit offerte aux jeunes filles.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion du sénateur Cools, le débat est ajourné.)