1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 134
Le mercredi 6 février 2013
L’honorable Noël A. Kinsella, Président
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur White, appuyée par l’honorable sénateur McInnis, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-299, Loi modifiant le Code criminel (enlèvement d’une jeune personne).
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole, à l’étape de la deuxième lecture, sur le projet de loi C-299, Loi modifiant le Code criminel (enlèvement d’une jeune personne).
Le projet de loi C-299 imposerait une peine minimale obligatoire de cinq ans dans le cas d’un enlèvement d’un enfant de 16 ans et moins, à moins que le délinquant soit le père, la mère, le tuteur ou une personne ayant la garde ou la charge légale de l’enfant.
Autrement dit, honorables sénateurs, ce projet de loi traite des inconnus qui kidnappent des enfants de moins de 16 ans.
Après les événements tragiques de Newtown, au Connecticut, le président Obama a énoncé une vérité toute simple :
Notre principale responsabilité est de prendre soin des enfants. C’est notre tâche principale. Si nous n’y parvenons pas, nous n’arriverons à rien. C’est sur cet aspect que notre société sera jugée.
Comme je suis mère et grand-mère, je trouve que ces mots reflètent bien ma principale tâche en tant que sénateur. Je suis d’abord et avant tout grand-mère; c’est ma vocation première. Les enfants sont les personnes les plus vulnérables de notre société. Cela ne veut pas dire que ce ne sont pas des personnes à part entière dotées de talents et de capacités qui leur sont propres. Quoi qu’il en soit, l’État a explicitement le devoir de protéger les enfants.
L’article 19 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant oblige les États à prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toutes les formes de violence.
L’article 36 stipule que les États doivent protéger l’enfant contre toutes les formes d’exploitation préjudiciable à tout aspect de son bien-être.
La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant est probablement la loi internationale qui fait l’objet du plus vaste consensus. Il est décevant et honteux que les droits définis dans la convention soient loin d’être garantis, y compris chez nous, au Canada.
Le débat entourant ce projet de loi devrait porter sur ces aspects : le droit inaliénable de l’enfant de vivre en sécurité, et les obligations juridiques dont les États doivent s’acquitter pour protéger les enfants ainsi que leurs droits. J’ai la ferme conviction que c’est cet objectif idéal que visait le parrain de ce projet de loi d’initiative parlementaire lorsqu’il l’a rédigé et proposé à l’autre endroit.
Honorables sénateurs, je voulais commencer mon discours en parlant de notre priorité commune : prendre soin des enfants. Dans le feu du débat parlementaire, nous oublions parfois que nous sommes plus souvent en accord qu’en désaccord. Dans un débat, nous établissons des distinctions et soulignons les points de désaccord pour persuader et convaincre. Cependant, il faut aussi, de temps à autre, recentrer le débat et la discussion sur nos valeurs communes.
Prendre soin de nos enfants et les protéger devraient constituer notre priorité absolue. Nous sommes tous du même avis là-dessus. Cependant, nous pouvons ne pas être d’accord sur les meilleurs moyens à prendre pour s’occuper de cette priorité, et nous pouvons l’exprimer fermement, poliment et, à tout le moins, respectueusement.
Permettez-moi de préciser que, bien que ma critique de ce projet de loi s’inscrive dans le contexte plus large du droit de l’enfant de vivre sans violence ni exploitation, je suis consciente que le cadre dont il s’agit est plus vaste que le domaine particulier de la politique juridique sur lequel porte ce projet de loi. Néanmoins, je pense que les projets de loi d’initiative parlementaire nous donnent souvent l’occasion de nous exprimer sur des questions d’orientation complexes et d’en débattre. À l’étape de la deuxième lecture, lorsque nous débattons des principes qui sous-tendent un projet de loi, il est particulièrement important de s’intéresser aux réponses qui peuvent être apportées à des questions plus vastes et qui, ce faisant, nous permettraient d’adopter une position éclairée sur le projet de loi.
La question que je vous proposerais est la suivante : quel est le meilleur moyen, pour le gouvernement fédéral, de protéger les enfants contre la violence et l’exploitation? Je répète la question, car elle me paraît essentielle. Quel est le meilleur moyen, pour le gouvernement fédéral, de protéger les enfants contre la violence et l’exploitation?
Le gouvernement fédéral devrait promouvoir l’éducation et la sensibilisation et appuyer les organismes qui effectuent ce travail, comme le Centre canadien de protection de l’enfance.
Le gouvernement devrait collaborer avec les provinces et les municipalités afin de lutter de façon proactive contre les facteurs sociaux qui encouragent la criminalité. Autrement dit, il doit prévoir un filet de sécurité sociale. Il devrait également veiller à ce que les hommes et les femmes purgeant une peine dans une prison fédérale reçoivent les services, surtout le traitement des maladies mentales, dont ils ont besoin pour réussir leur réhabilitation et leur réinsertion.
Pour répondre à ma question dans le contexte de l’étude du projet de loi C-299, il est important d’indiquer que les peines minimales obligatoires ne protègent pas les enfants contre la violence et l’exploitation. Pour rendre à César ce qui est à César, précisons tout de même que d’autres mesures gouvernementales sont utiles afin de protéger les enfants. Le sénateur White a mentionné le mécanisme de l’alerte Amber, et le gouvernement fournit de l’aide au Centre canadien de protection de l’enfance. Cependant, le gouvernement fédéral devrait jouer son rôle de chef de file à d’autres égards aussi, notamment en protégeant le filet de sécurité sociale, en s’occupant du dossier de la santé mentale ainsi qu’en promouvant l’éducation et la sensibilisation. Au lieu de cela, le Parlement est appelé à débattre d’un projet de loi qui porte sur les enlèvements d’enfant et qui ne protège pas les enfants contre la violence et l’exploitation.
Si on adopte des lois qui sont censées protéger les enfants contre la violence et l’exploitation mais qui, dans les faits, nuisent aux efforts faits en ce sens, on fait plus de mal que de bien. C’est un fait connu, bien sûr. En 1987, la Commission canadienne sur la détermination de la peine a publié un rapport dans lequel elle classe l’élément suivant dans une liste de problèmes :
Les peines minimales obligatoires qui entraînent des injustices parce qu’elles limitent inutilement le pouvoir discrétionnaire des juges sans atteindre les objectifs visés.
Au lieu de décourager les comportements criminels, les peines minimales obligatoires favorisent le récidivisme. Au lieu d’assurer un traitement équitable, elles transforment la justice en jeu de hasard. Au lieu de régler un problème de sécurité publique d’une manière responsable, elles font croire à une solution miracle.
Plus récemment, le juge James Bahen, qui siège à une cour provinciale, a statué qu’une peine minimale obligatoire adoptée en 2008 avait pour effet de rendre le processus de détermination de la peine « arbitraire et fondamentalement injuste, ce qui contrevient à l’article 7 [de la Charte canadienne des droits et libertés] ». Autrement dit, honorables sénateurs, les peines minimales portent atteinte aux principes de justice fondamentale inscrits dans la Constitution.
De plus, la nature même des peines minimales obligatoires va à l’encontre de l’objectif et des principes de la détermination de la peine tels qu’ils sont décrits dans le Code criminel depuis 1995, aux articles 718 et 718.2. Voici ce que dit l’article 718 :
Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :
a) dénoncer le comportement illégal;
b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;
c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;
d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;
e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;
f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.
En outre, aux termes de l’article 718.1, les peines doivent être proportionnelles à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. L’article 718.2 du Code criminel énonce les principes de détermination de la peine et énumère plusieurs facteurs aggravants dont les tribunaux peuvent également tenir compte. Parmi ces principes, citons le pouvoir discrétionnaire des juges, les circonstances atténuantes, l’imposition de sanctions moins contraignantes et l’imposition de peines fondées sur le principe de la justice réparatrice. Ces principes portent sur l’équité et la justice, mais également sur l’intérêt public, et favorisent la protection proactive, par opposition à réactive, des Canadiens contre la violence et la criminalité.
Dans l’affaire R. c. Wust, madame le juge Arbour a commenté le lien entre les principes de détermination de la peine du Canada et les peines minimales obligatoires. Voici ce qu’elle a écrit, au nom de la cour :
Les peines minimales ne constituent pas la norme au Canada, et elles dérogent aux principes généraux applicables en matière de détermination de la peine énoncés dans le Code, la jurisprudence et la littérature sur le sujet. En particulier, elles dérogent souvent au principe énoncé à l’art. 718.1 du Code, que le législateur a déclaré être le principe fondamental en matière de détermination de la peine : le principe de la proportionnalité.
La Commission canadienne sur la détermination de la peine a donné son avis sur le principe de la proportionnalité avant même que les circonstances et les principes de détermination de la peine soient codifiés. Voici ce que l’on peut lire dans le rapport de 1987 de la commission :
[…] chaque infraction criminelle est définie de manière unique par ses circonstances particulières, et penser qu’un magistrat puisse déterminer à l’avance la sentence sans prendre connaissance des faits semble radicalement contraire à l’idée que nous nous faisons de la justice. Si l’on veut que la sentence corresponde au crime, il ne saurait y avoir aucune sentence déterminée à l’avance puisqu’on ne peut pas prévoir dans quelles circonstances une infraction sera commise.
Dans un article paru dans l’Oxford Journal of Legal Studies en 2008, le juge Fish, de la Cour suprême, a déclaré que, lorsqu’un juge considère qu’il serait injuste, étant donné les circonstances, d’imposer une peine minimale obligatoire, cette dernière va tout simplement à l’encontre du principe de proportionnalité.
Honorables sénateurs, M. Irwin Cotler, député de Mont-Royal, ancien ministre de la Justice et procureur général du Canada, est un expert reconnu en matière de droit international et de droits de la personne. Il possède également une expertise considérable dans le domaine de la détermination de la peine et, comme les sénateurs le savent, il est également le porte-parole libéral en matière de justice et de droits de la personne. Le professeur Cotler n’a pas toujours été aussi critique à l’endroit des peines minimales obligatoires. Il ne s’en cache pas et affirme que son opinion a évolué. Par conséquent, il présente un point de vue très convaincant, celui d’un expert juridique qui comprend à fond les arguments pour et contre l’application des peines minimales obligatoires.
Lors d’une séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, le professeur Cotler a formulé les 12 critiques suivantes au sujet des peines minimales obligatoires. Je souhaite vous les citer, car je considère qu’elles sont particulièrement pertinentes dans le cadre du débat sur le projet de loi C-299. Il a dit ceci :
Premièrement, j’estime que les peines minimales obligatoires ne permettent pas d’avancer vers l’objectif visé — la prévention du crime et la dissuasion — comme je pensais qu’elles le feraient. Pour le dire, je me base en partie sur mon examen de la documentation et des recherches internationales en sciences sociales. Je me base aussi sur ma propre expérience comme ministre de la Justice. Je suis tombé sur un document […] publié en décembre 1990. Il porte le titre Vers une réforme : Détermination de la peine, affaires correctionnelles, mise en liberté sous condition, Justice Canada, 1990. On trouve ceci à la page 9 de ce rapport :
[…] les preuves démontrent que des longs séjours en prison augmentent la probabilité que le criminel récidive […] En fin de compte, cela compromet davantage la sécurité publique, plutôt que de la renforcer, si « on jette la clé ».
[…] Je […] mentionne aussi [ce document] parce que les études produites par le ministère de la Justice ont certes influencé ma réflexion pendant que j’étais ministre, surtout quand elles correspondaient à ce que j’observais moi-même, aussi bien au Canada qu’à l’étranger.
Je parlerai dans quelques instants d’un rapport de la Commission américaine de détermination de la peine, qui vient d’être publié le 12 novembre [1990] et qui est lié d’assez près à notre discussion de ce soir. C’est mon premier point.
M. Cotler poursuit ainsi :
Mon deuxième point est que les peines minimales obligatoires ne ciblent pas nécessairement les délinquants les plus dangereux qui feraient de toute façon l’objet de sentences très sévères à cause de la gravité de leurs crimes. Malheureusement, […] ce sont souvent les délinquants les moins coupables qui sont pris au piège de ces peines obligatoires et qui sont condamnés à des peines d’emprisonnement extrêmement longues.
Permettez-moi de citer à cet égard un extrait du rapport qui, comme je l’ai dit, a été publié dans la deuxième semaine de novembre. C’est un rapport de 645 pages de la Commission américaine de détermination de la peine. J’ai bien pris note de ce qui a été dit au sujet des différences entre le Canada et les États-Unis et je ne prendrai pas aveuglément les déclarations faites au Texas sans tenir compte des distinctions à faire. Je dis simplement que, sur le double plan des principes et de la politique, on a constaté, au sujet des peines minimales obligatoires, certaines choses dont je voudrais vous faire part.
La Commission américaine de détermination de la peine a noté que les [peines minimales] obligatoires [fédérales] sont souvent « excessivement sévères » et ne sont ni « assez étroitement ciblés pour ne s’appliquer qu’aux délinquants qui méritent une telle punition » ni « appliqués d’une manière cohérente » […]
Cela m’amène à ma troisième considération ou critique, à savoir que les [peines] minimums obligatoires — nous avons déjà entendu parler de cela — ont des effets disproportionnés sur des groupes minoritaires déjà pauvres et défavorisés. [Ils] touche[ent] en particulier les collectivités autochtones. Encore une fois, c’est une chose dont j’ai pu me rendre compte, non seulement en prenant connaissance de différentes études, mais aussi en exerçant mes fonctions de ministre de la Justice. C’est la raison pour laquelle j’avais alors considéré comme prioritaire la justice pour les Autochtones. J’ai constaté que, dans le système de justice pénale, les Autochtones sont surreprésentés parmi les détenus et sous-représentés parmi les juges, les agents d’exécution de la loi et les autres groupes semblables.
[…] cela a une signification particulière en fonction des principes de détermination de la peine et de l’approche globale des conséquences des peines minimales obligatoires pour les Autochtones. Cela explique […] que l’alinéa 718.2e) du Code criminel impose au juge de tenir compte de la situation des délinquants autochtones avant de prononcer la sentence. Si une sanction moins contraignante permet de protéger adéquatement la société ou si la situation particulière du délinquant autochtone doit être reconnue, des sentences plus sévères et des peines minimales obligatoires entreraient en conflit avec ce principe.
Dans l’arrêt Gladue, la Cour suprême du Canada a également reconnu que l’incarcération devrait en général constituer une sanction pénale de dernier recours et qu’elle pourrait bien ne pas convenir ou ne pas être utile dans le cas des délinquants autochtones.
J’ajoute [cela] pour en finir avec ce troisième point, [à savoir] que les [peines] minimums obligatoires ont des effets préjudiciables disproportionnés sur les groupes vulnérables, et particulièrement les Autochtones.
J’en viens maintenant à ma quatrième critique : les peines minimales obligatoires pourraient compromettre d’importants aspects du régime canadien de détermination de la peine. La question ayant déjà été mentionnée, je ne vais pas m’appesantir là-dessus, mais je dois dire que ces peines peuvent compromettre des principes tels que la proportionnalité et l’individualisation ainsi que la possibilité correspondante de compter sur les juges pour imposer une sentence juste après avoir pris connaissance de tous les faits d’une affaire particulière.
Cela m’amène à ma cinquième critique. Permettez-moi de revenir […] à la Commission américaine sur la détermination de la peine, que j’ai déjà mentionné, et au fait qu’elle a noté que les peines minimales obligatoires fédérales peuvent être excessivement sévères et avoir des effets différents sur ceux qui ne les méritent pas, et ainsi de suite. […]
Cela est particulièrement vrai […] dans le cas des infractions liées aux drogues, qui forment quelque 75 p. 100 des infractions visées par des minimums obligatoires. Il y a donc des retombées particulières qui dépendent du genre d’infractions. Comme je l’ai dit, celles-ci ne sont pas toujours liées au crime organisé.
Sixièmement […] les peines minimales obligatoires pourraient ajouter inutilement à la complexité du cadre actuel des principes de détermination de la peine et augmenter le temps consacré par les tribunaux à l’audience de détermination de la peine.
Autrement dit, […] nous avons ici une sorte de double paradoxe, presque une dialectique. Il est probable que moins d’accusés voudront plaider coupable, ce qui ajoutera aux pressions qui s’exercent sur les ressources judiciaires. Par ailleurs, les procureurs pourraient profiter de l’existence de [peines] minimums obligatoires pour inciter les accusés à plaider coupable. Les accusés seront donc pris entre deux feux justement à cause de l’hypothèse de base sur laquelle reposent les peines minimales obligatoires. Par conséquent, le projet de loi entrerait souvent en conflit avec les principes existants du droit et de la common law en matière de détermination de la peine, de sorte qu’on pourrait finir par avoir — peut-être sans le vouloir — des sentences excessives, sévères et souvent injustes, ce qui pourrait donner lieu à des contestations en vertu de l’article 12 de la Charte. Cela m’amène à ma huitième considération.
Pour des raisons qui ont déjà été mentionnées et que je n’ai donc pas à reprendre, les minimums obligatoires pourraient donner lieu à toute une gamme de contestations constitutionnelles qui encombreront encore plus les tribunaux et nous écarteront davantage des principes de justice et d’équité.
J’en viens à ma neuvième critique. Comme l’ont signalé les commissions américaine et canadienne de détermination de la peine, des politiques inéquitables et incohérentes dans ce domaine — qui découlent très souvent des peines minimales obligatoires — peuvent favoriser un manque de respect et de confiance à l’égard du système de justice pénale. C’est une considération que je partage. Cela m’amène à ma dixième critique […]
En fin de compte, comme la preuve l’établit, nous pourrions nous retrouver dans une situation dans laquelle nous jetterions en prison de plus en plus de gens pendant des périodes de plus en plus longues, aggravant ainsi le problème de la surpopulation carcérale que nous avions déjà avant le dépôt du projet de loi et qui pourrait en soi susciter des préoccupations constitutionnelles touchant les peines cruelles et inhabituelles, comme cela a été le cas aux États-Unis dans le récent arrêt de la Cour suprême américaine relatif à la Californie.
La onzième critique a déjà été mentionnée. Je n’en parlerai donc pas. Il s’agit de la question des coûts.
Nous risquons non seulement de voir les coûts augmenter ou grimper vertigineusement, mais aussi de voir se détériorer les relations fédérales-provinciales si les provinces doivent supporter le fardeau des coûts accrus par suite des peines minimales obligatoires, peut-être sans avoir été suffisamment consultées à ce sujet par le gouvernement fédéral.
Enfin, […] la Commission américaine de détermination de la peine a confirmé ceci, de même que les indices recueillis au Canada et dans les autres pays que j’ai examinés. Voici ce qu’elle a dit à ce sujet :
La multiplication des peines minimales obligatoires a nui à l’intégrité du système de justice, a réduit le rôle des juges dans la détermination de la peine et a accru le pouvoir des procureurs au-delà de ce que justifie leur propre rôle.
Permettez-moi de poursuivre dans cette voie […] parce que je voudrais citer un éditorial commentant le rapport de la Commission américaine de détermination de la peine. L’éditorial a paru avant la publication du rapport à cause d’une autre étude réalisée à New York sur la question des minimums obligatoires. Je ne veux pas prolonger ce débat, mais je voudrais simplement dire que le New York Times a dit ce qui suit dans un éditorial daté du 28 septembre 2011 :
[…] les procureurs peuvent souvent obliger les suspects à plaider coupable plutôt que de risquer un procès en les menaçant d’accusations plus graves pouvant les rendre passibles de longues peines obligatoires d’emprisonnement. Dans de tels cas, les procureurs déterminent eux-mêmes la peine dans le cadre d’un processus caché et non susceptible de révision, faisant ainsi ce que les juges sont censés faire d’une façon ouverte et susceptible de révision.
Je répète que je porte simplement cet article à votre attention, il ne s’agit pas d’un constat final, mais selon l’article, « [c]ette façon de faire est une autre bonne raison »
d’abroger les lois prévoyant des peines minimales obligatoires, qui se sont avérées désastreuses pour le pays, car elles ont permis de remplir les prisons, et ce, à un coût exorbitant. Ces lois ont été conçues pour infliger uniformément des peines sévères à tous les délinquants qui commettent le même crime. Mais elles n’ont fait qu’aggraver le problème. Le système de justice ne cherche plus à établir la culpabilité ou l’innocence. En donnant plus de pouvoir aux procureurs, ces lois entraînent souvent des peines différentes, même si les contrevenants ont commis des crimes semblables.
[…]
Ainsi, si l’on consulte toutes les études réalisées par des organismes de justice pénale qui ont examiné cette question au Canada et aux États-Unis et qui se sont plus particulièrement penchées sur les peines minimales obligatoires, on en vient à la conclusion qu’il faut, à défaut de s’y opposer, se montrer critique à l’égard des peines obligatoires minimales.
Honorables sénateurs, je ne cite pas le professeur Cotler parce que je crois que les peines minimales obligatoires modifient la façon dont nous punissons les gens. Voilà pourquoi je voulais vous faire part de la totalité de son analyse. À mon avis, il est important que le milieu de la justice pénale au Canada et la population en général constatent l’existence d’une opposition de principe à l’égard du concept des peines minimales obligatoires, mais il est aussi important pour nous de tenir compte des 12 critiques soulevées par le professeur Cotler dans le contexte de la question que j’ai posée au début de mon discours : quelle est la meilleure manière, pour le gouvernement fédéral, de protéger les enfants contre la violence et l’exploitation? Voilà ce sur quoi est censé porter le projet de loi : la protection des enfants. Au lieu, nous parlons d’adopter une mesure législative qui retirera aux juges leur pouvoir discrétionnaire.
En fait, la conséquence la plus directe pour les enfants serait que ce comportement criminel serait puni par une peine d’emprisonnement de cinq ans, ce qui favoriserait la récidive. Or, si l’on veut agir de façon responsable, il faudrait un système qui tienne compte des circonstances particulières du crime. Comme le souligne le professeur Cotler, l’une des conséquences indirectes du projet de loi, c’est que les ressources seront détournées : moins pour la prévention de la criminalité, moins pour la réduction de la pauvreté et moins pour les programmes sociaux. Moins d’argent pour protéger les enfants, plus d’argent pour… j’avoue, honorables sénateurs, que je ne sais plus très bien quel est l’objectif visé.
Il n’y a aucun honneur dans le fait de faire adopter un projet de loi qui est censé traiter de l’enlèvement des enfants mais qui ne le fait pas. Nous manquons ainsi à notre devoir de faire respecter les droits des enfants.
Lors de son intervention, le sénateur White a fait allusion à un amendement proposé au comité de la Chambre des communes par un député libéral, qui visait à ordonner aux juges de tenir compte de l’âge de la victime aux fins de la détermination de la peine.
Dans le cadre de la détermination de la peine, il faut donner aux juges les outils nécessaires pour faire en sorte que les sentences soient proportionnelles au crime commis.
D’ordinaire, les auteurs d’enlèvements sont condamnés à une peine allant de 10 à 15 ans d’emprisonnement. L’alinéa 279(1.1)b) du Code criminel prévoit déjà une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité pour les enlèvements commis par des étrangers, mais le projet de loi C-299 supprime le pouvoir discrétionnaire des juges pour déterminer la peine minimale.
Lorsque le délinquant a des problèmes de santé mentale, par exemple, l’imposition d’une peine minimale obligatoire n’aide pas la sécurité publique.
Si nous convenons que les peines imposées doivent correspondre au crime commis et favoriser la réhabilitation, la réinsertion sociale et la sécurité communautaire, une peine minimale obligatoire n’est pas une solution.
Notre mission première est de prendre soin de nos enfants. Si nous échouons dans cette tâche, tout est gâché. C’est sur cette base que nous, en tant que société, serons jugés. Comme je l’ai déclaré au début de mon discours, honorables sénateurs, nous sommes d’accord plus souvent qu’autrement, et à mon avis, le président Obama, dans le discours émouvant qu’il a prononcé à Newton, a parlé d’une responsabilité que nous ressentons et partageons tous.
La discussion et le débat concernant ce projet de loi se poursuivra indubitablement à l’étape de l’examen au comité. Au cours des débats futurs, je vous demande de vous poser la question clé suivante : quelle est la meilleure manière, pour le gouvernement fédéral, de protéger les enfants contre la violence et l’exploitation? Répondre à cette question de la manière la plus responsable et prospective possible pourrait être la chose la plus importante que nous fassions en tant que sénateurs.
Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Des voix : Avec dissidence.
Son Honneur le Président : Adoptée, avec dissidence.
(La motion est adoptée avec dissidence et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons- nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion du sénateur Comeau, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)