1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 134

Le mercredi 6 février 2013
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Plett, appuyée par l’honorable sénateur Patterson, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-309, Loi modifiant le Code criminel (dissimulation d’identité).

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-309, Loi modifiant le Code criminel (dissimulation d’identité).

Le projet de loi C-309 modifie les articles 65 et 66 du Code criminel afin d’ériger en infraction le fait de porter un masque ou autre déguisement dans le but de dissimuler son identité lors de la participation à une émeute ou à un attroupement illégal.

En tant que parlementaires, nous devons veiller à ce que les policiers aient les outils nécessaires pour assurer la sécurité de la population et protéger les droits des manifestants pacifiques. Nous devons également consulter et écouter ceux qui ne partagent pas notre avis. Autrement dit, honorables sénateurs, il faut assurer la paix, l’ordre et le bon gouvernement. C’est en se fondant sur ces principes que l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 autorise le Parlement à faire des lois. Malheureusement, le projet de loi C- 309 ne respecte pas ces principes.

J’aimerais aujourd’hui formuler trois critiques à l’endroit de ce projet de loi. Premièrement, le projet de loi C-309 est redondant. Deuxièmement, sa formulation ambiguë entraînera probablement des atteintes aux droits protégés par la Charte. Troisièmement, les peines excessivement dures qu’il prévoit limiteront sa pertinence pour les agents d’exécution de la loi.

Je reviens donc à mon premier point : le projet de loi C-309 est redondant. Les sanctions pénales prévues en cas de participation à une émeute ou à un attroupement illégal ont pour but de prévenir la destruction de biens, l’intimidation du public et les activités qui troubleraient la paix.

Ces sanctions pénales sont déjà prévues dans le Code criminel. Les émeutes et les attroupements illégaux sont considérés comme des crimes en vertu des articles 63, 64, 65 et 66 du Code criminel; le projet de loi C-309 cherche d’ailleurs à modifier les articles 65 et 66.

Qu’en est-il du fait de cacher son identité pendant une émeute? Honorables sénateurs, cela aussi constitue déjà un acte criminel, comme l’indique le paragraphe 351(2) du Code criminel :

Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, dans l’intention de commettre un acte criminel, a la figure couverte d’un masque ou enduite de couleur ou est autrement déguisé.

Comparons ce paragraphe à la nouvelle disposition que propose le projet de loi C-309 :

Quiconque commet l’infraction prévue au paragraphe (1)…

— autrement dit, honorables sénateurs, quiconque commet cette infraction qu’est la participation à une émeute —

… en portant un masque ou autre déguisement dans le but de dissimuler son identité sans excuse légitime est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.

Honorables sénateurs, le projet de loi laisse entendre que le Parlement devrait utiliser la fonction copier-coller pour modifier le Code criminel.

Lors de l’étude en comité à l’autre endroit, des témoins ont souligné que le plus grand défi que posaient les émeutes ne provenait pas d’un manque de mesures législatives. Le défi, c’est plutôt de faire respecter les règles qui existent déjà. Toujours au comité, des agents d’exécution de la loi ont affirmé qu’il aurait été utile — lors des émeutes récentes à Vancouver, Montréal et Toronto — de pouvoir compter sur des techniques policières non conventionnelles ou des effectifs supplémentaires.

Pour reprendre une idée exprimée par James Stribopoulos, professeur à la Osgoode Hall Law School, quand il a témoigné devant le comité de la Chambre des communes, le projet de loi C- 309 est une solution législative en quête d’un problème législatif qu’elle pourrait résoudre.

Cependant, le problème qui se pose n’est pas de nature législative, honorables sénateurs. Ce sont plutôt les ressources, la formation, la mise en commun de pratiques exemplaires et, surtout, la cause première des émeutes et des attroupements illégaux qui représentent le véritable enjeu.

(1530)

Ma deuxième critique à l’égard du projet de loi C-309 est que son libellé est ambigu et qu’il entraînera donc probablement des violations des droits garantis par la Charte. Selon le projet de loi C-309, une musulmane qui porte un niqab pourrait être arrêtée si elle se trouve au mauvais endroit au mauvais moment. Selon le projet de loi C-309, un partisan d’une équipe sportive qui s’est maquillé pourrait être arrêté s’il se trouve au mauvais endroit au mauvais moment. Selon le projet de loi C-309, une personne qui porte un masque pour des raisons de santé pourrait être arrêtée à tort si elle se trouve au mauvais endroit au mauvais moment.

Le troisième article du projet de loi C-309 ne règle pas la question, bien qu’il prévoie une exception pour les personnes qui dissimulent leur identité si elles ont une « excuse légitime ». Cependant, qu’entend-on par excuse légitime? Le projet de loi ne définit pas la notion. Si nous demandions à 10 avocats de définir cette notion, nous aurions vraisemblablement 10 réponses différentes.

Les amendements que les libéraux ont présentés dans l’autre endroit pour préciser cette notion n’ont pas été acceptés. Le gouvernement a délégué aux policiers la tâche d’interpréter une mesure législative vague plutôt que de leur demander d’appliquer des règles claires. La paix, l’ordre et le bon gouvernement devraient être les principes qui nous guident dans l’adoption de lois. Comme je l’ai dit précédemment, l’ambiguïté ne fera rien pour améliorer le respect de ces principes.

Ma troisième critique à l’égard du projet de loi est que les sanctions très sévères qu’il prévoit vont nuire aux responsables de l’application de la loi qui veulent faire respecter cette mesure législative. Parmi les lacunes du projet de loi, les témoins entendus par le comité de l’autre endroit ont affirmé que les dispositions en vigueur sont trop strictes et difficiles à appliquer lors des émeutes.

Le chef du service de police de Victoria, Jamie Graham, a affirmé dans son témoignage que la disposition actuellement en vigueur, soit le paragraphe 351(2) du Code criminel, lequel vise le port d’un masque lors de la perpétration d’un acte criminel, fait en sorte qu’il est très difficile de convaincre un procureur de porter des accusations contre un individu qui porte un déguisement parce que la preuve d’intention dont il a besoin est, selon M. Graham, exagérément élevée. Les modifications apportées au Code criminel devraient rendre plus efficace le système canadien de justice pénale, et non l’affaiblir.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-309 est inutile et mettra fort probablement en péril les droits des Canadiens. Les peines excessives qui y sont prévues nuiront à l’équité et à l’efficacité de notre système de justice pénale. Pour prévenir le crime et lutter contre la criminalité, il ne s’agit pas de reprendre les dispositions du Code criminel, de renoncer à des droits enchâssés dans la Constitution ou d’alourdir exagérément la tâche des agents de police. Il s’agit plutôt de soutenir les responsables de l’application de la loi, de conférer des pouvoirs aux citoyens et de s’attaquer aux causes profondes de la délinquance.

Honorables sénateurs, voici ce que prévoit le paragraphe 65(2) proposé dans le projet de loi :

Quiconque commet l’infraction prévue au paragraphe (1) en portant un masque ou autre déguisement dans le but de dissimuler son identité sans excuse légitime est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.

Honorables sénateurs, nous étudions une mesure qui n’est pas claire. Qu’est-ce qu’on entend par « autre déguisement »? Nous établissons des lois qui ne sont pas claires et qui, par conséquent, causeront des problèmes aux forces policières. Je recommande donc l’étude très attentive du projet de loi par un comité.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Avec dissidence.

(La motion est adoptée avec dissidence et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons- nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Comeau, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)

[Français]