1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 139

Le mardi 26 février 2013
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

L’amélioration des soins de santé mentale dispensés aux détenus

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénateur Runciman, attirant l’attention du Sénat sur la nécessité d’améliorer les soins de santé mentale dispensés aux détenus, en particulier aux femmes, dans les établissements correctionnels fédéraux, et sur la viabilité de modes de prestation des soins différents.

Son Honneur le Président intérimaire : Je signale que cette question est inscrite au nom du sénateur Carignan mais que la sénatrice Jaffer prononcera un discours.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, le sénateur Carignan, a gracieusement accepté que j’intervienne aujourd’hui au sujet de son interpellation.

Je suis heureuse d’ajouter ma voix à celle du sénateur Runciman, qui réclame de meilleurs traitements de santé mentale pour les délinquantes sous responsabilité fédérale. La détermination du sénateur Runciman à éliminer les obstacles auxquels sont confrontés les délinquants atteints de troubles de la santé mentale remonte à longtemps, et je tiens à le remercier d’avoir soulevé cette question au Sénat.

Fondamentalement, offrir des soins de santé mentale aux délinquantes sous responsabilité fédérale revient à protéger les droits des citoyens, des mères, des épouses, des filles et des êtres humains.

Dans son livre Souvenirs de la maison des morts, l’auteur russe Fiodor Dostoïevski a écrit ce qui suit :

On peut juger du degré de civilisation d’une société en entrant dans ses prisons.

Il a écrit cela en 1862, honorables sénateurs. Plus de 150 ans plus tard, nous ressentons le besoin de juger du degré de civilisation de notre société. L’affaire Ashley Smith à elle seule nous donne de bonnes raisons de poser la question, mais ce n’est là que la pointe de l’iceberg.

[Français]

Honorables sénateurs, en 2009, 29 p. 100 des délinquantes sous responsabilité fédérale présentaient des problèmes de santé mentale à l’admission. Cette proportion a plus que doublé au cours des 10 dernières années.

Au moment de leur admission, 33 p. 100 des délinquantes avaient reçu un diagnostic précédent de problème de santé mentale, ce qui représente une augmentation de 63 p. 100 pour les 10 dernières années. De plus, 48 p. 100 des délinquantes devaient prendre des médicaments sur ordonnance lors de leur admission.

Depuis 2003, à leur admission, environ 77 p. 100 des délinquantes indiquent qu’elles se livrent à une consommation abusive d’alcool et de drogue. Un peu moins de la moitié des délinquantes indiquent avoir eu des comportements autodestructeurs.

[Traduction]

Elizabeth Bingham et Rebecca Sutton, du Programme des droits internationaux de la personne de l’Université de Toronto, ont affirmé ce qui suit dans leur rapport de 2012 intitulé Cruel, Inhuman and Degrading? Canada’s treatment of federally-sentenced women with mental health issues : « […] les problèmes de Mme Smith étaient extrêmes, mais pas uniques ».

(1600)

Le Bureau de l’enquêteur correctionnel a déclaré, il y a quatre ans et demi, que la mort de Mme Smith « est le résultat de manquements individuels combinés à des problèmes systémiques importants au sein des systèmes correctionnels et de soins de santé mentale, qui manquent de ressources et sont inefficaces ».

Il y a à peine quelques semaines, Kinew James, une femme d’origine autochtone de 35 ans purgeant une peine de ressort fédéral, est décédée au centre psychiatrique régional de Saskatoon. Les enquêtes se poursuivent, et l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry et la Société John Howard ont posé des questions au sujet des soins reçus par Mme James.

Lorsqu’on lui a demandé de faire un lien entre les décès de Mme Smith et de Mme James, l’enquêteur correctionnel, M. Howard Sapers, a dit ceci :

D’après moi, ces situations mettent en lumière la difficulté constante avec laquelle les services correctionnels doivent composer, c’est-à-dire de demeurer vigilant tout en assurant la garde et les soins de certaines personnes qui sont très, très difficiles à gérer.

M. Sapers s’est exprimé de façon plus concise lors de son témoignage devant le Comité sénatorial permanent affaires juridiques et constitutionnelles l’an dernier, où il a déclaré : « Les prisons ne sont pas des hôpitaux malgré le fait que certains délinquants sont des patients. »

Honorables sénateurs, je souhaite employer mon temps de parole aujourd’hui pour décrire deux catégories de femmes purgeant des peines de ressort fédéral — les femmes autochtones et les femmes noires — qui sont très mal servies par les systèmes de santé mentale en milieu correctionnel dont M. Sapers parle, lesquels sont déficients et sous-financés.

Au cours des 10 dernières années, le nombre de femmes autochtones purgeant une peine de ressort fédéral a augmenté de 80 p. 100. Bien qu’elles ne représentent que 4 p. 100 des femmes canadiennes, les femmes autochtones représentent plus de 32 p. 100 des femmes purgeant une peine de ressort fédéral. Les femmes sont aussi surreprésentées parmi les femmes purgeant une peine de ressort fédéral aux prises avec des problèmes de santé mentale.

Les délinquantes autochtones sous responsabilité fédérale sont plus susceptibles d’être des mères seules, d’être incarcérées à un plus jeune âge, d’être moins instruites, de récidiver et d’être jugées comme présentant un « risque élevé ». Par conséquent, elles sont placées dans un établissement à sécurité maximale ou en isolement plus souvent que les autres délinquants et pour des périodes plus longues.

En 2003, la Commission canadienne des droits de la personne a signalé qu’une délinquante autochtone avait été placée en isolement pendant 567 jours. En 2006, une autre délinquante autochtone avait passé la majorité de sa peine en isolement, soit plus de 1 500 jours.

Dans le cas des délinquantes autochtones qui ont des problèmes de santé mentale, l’isolement et l’attribution d’une cote de sécurité maximale sont susceptibles d’aggraver leur état et de nuire à leur accès aux services dont elles ont besoin pour se réadapter.

[Français]

Au lieu d’avoir accès à un plan exhaustif de traitement des troubles de santé mentale, trop de délinquantes autochtones sous responsabilité fédérale sont placées en isolement, ce qui prouve l’incapacité du régime actuel à considérer les délinquantes autochtones qui ont des besoins particuliers en santé mentale comme des patientes qui ont besoin de traitement.

[Traduction]

L’enquêteur correctionnel a dénoncé le recours à l’isolement. Voici ce qu’il a déclaré dans son rapport annuel de 2011-2012 :

Je recommande encore une fois, conformément aux engagements pris par le Canada, aux lois et aux normes nationales et internationales dans le domaine des droits de la personne, qu’il soit absolument interdit de placer en isolement prolongé les délinquants souffrant de troubles mentaux ou à risque de suicide ou d’automutilation grave.

Honorables sénateurs, au Canada, les Autochtones doivent faire face à une oppression systémique. En outre, ils présentent des taux inquiétants de sévices mentaux, physiques et sexuels à long terme, ainsi que des taux extrêmement élevés de pauvreté.

Selon l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, 91 p. 100 des délinquantes autochtones sous responsabilité fédérale ont signalé avoir déjà été victimes de violence physique ou sexuelle, ce qui est une statistique alarmante. En raison de la pénurie des services de santé mentale, les délinquantes autochtones qui sont admises dans un établissement correctionnel fédéral voient souvent se perpétuer à l’intérieur des murs de la prison la situation qu’elles vivaient dans la société — où leur voix est ignorée.

Honorables sénateurs, j’aimerais vous raconter l’histoire de Bobby Lee Worm, une Autochtone de 25 ans originaire de la Saskatchewan, qui a été admise dans un établissement correctionnel fédéral en 2006.

Mme Worm a été victime d’agressions physiques, émotionnelles et sexuelles tout au long de son enfance et de son adolescence. Beaucoup de membres de sa famille ont été envoyés à des pensionnats indiens. En raison de ces agressions, Mme Worm souffre du syndrome de stress post-traumatique et de dépression. Pour diverses raisons, Mme Worm a passé la plus grande partie de son incarcération en isolement cellulaire, soit plus de trois ans. Comme c’est le cas avec beaucoup d’autres femmes autochtones purgeant une peine fédérale, l’état de santé de Mme Worm s’est énormément détérioré en isolement cellulaire, en partie à cause du fait qu’elle n’a pas eu accès à des soins ou à des services spirituels.

[Français]

Plusieurs des femmes autochtones purgeant une peine fédérale sont des mères de famille monoparentale. Lorsque ces femmes sont incarcérées, leurs enfants, par ricochet, sont punis en étant séparés de leur mère. Nombre d’entre eux sont placés en famille d’accueil, dans des centres de détention pour jeunes ou trimbalés parmi les membres de leur famille, et certains ne retourneront jamais à la maison de leur mère une fois celle-ci libéré.

[Traduction]

Une femme a déclaré ceci :

[…] le plus difficile, comme mère en prison, c’est de ne pas pouvoir m’occuper de mes enfants. On peut leur écrire, et parfois leur parler au téléphone, mais on ne peut pas prendre de décisions en ce qui les concerne; nous sommes dépossédées de cette fonction. Vous n’êtes plus une mère quand vous êtes en prison.

[Français]

Les délinquantes autochtones qui ont des enfants sont d’autant plus pénalisées lorsque cette séparation entraîne de l’anxiété et la dépression, et qu’elles n’ont qu’un accès limité aux soins de santé dont elles ont besoin et auxquels elles ont droit à juste titre.

[Traduction]

Le fait de purger une peine ne veut pas dire qu’on est une mauvaise mère. L’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry fait valoir que de tels stéréotypes discriminatoires et punitifs nuisent à la capacité des femmes d’entretenir des relations avec leurs enfants pendant qu’elles sont en prison et font qu’il leur est de plus en plus difficile d’obtenir de nouveau la garde de leurs enfants des services de protection de l’enfance après leur libération.

Service correctionnel Canada a créé le Programme mère-enfant pour que les enfants aient la possibilité de vivre avec leur mère dans un établissement correctionnel fédéral. Toutefois, les femmes autochtones purgeant une peine fédérale ne sont pas visées par ce programme.

Premièrement, celles qui sont reconnues de crimes graves — ce qui correspond au cas de plusieurs femmes autochtones ayant des besoins en santé mentale — ne sont pas admissibles au programme.

Deuxièmement, depuis 2008, une documentation considérable est exigée des services d’aide à l’enfance et à la famille pour que la participation au programme soit possible.

Troisièmement, la participation au programme repose sur la considération de l’« intérêt supérieur de l’enfant », critère dont on abuse souvent pour restreindre l’accès au programme en guise de punition.

Enfin, les femmes autochtones qui purgent une peine dans un établissement fédéral sont souvent incarcérées loin de chez elles et n’ont pas les moyens financiers voulus pour assurer le transport de leur enfant jusqu’à l’endroit où elles se trouvent, ce qui les empêche de prendre part au programme.

Selon un rapport publié en 2011, aucune femme autochtone ne participait à ce programme. Nous continuons à traiter les femmes autochtones purgeant une peine dans un établissement fédéral comme de simples criminelles qui ne méritent ni compassion ni respect, au lieu de les considérer comme des personnes qui ont des droits et des victimes d’un système conçu pour qu’elles échouent.

Nous devons concevoir les programmes et services de santé mentale en collaboration avec les communautés autochtones et nous assurer qu’ils sont adaptés aux besoins particuliers des femmes de ces communautés. Des pavillons de ressourcement comme l’Okimaw Ohci pour les femmes ont réussi à offrir des services et des programmes qui s’appuient sur une vision holistique de la guérison. Les plans de guérison comprennent des services en établissement, le perfectionnement des compétences, un traitement ainsi que des programmes culturels et incorporent l’équilibre, l’autonomie individuelle, la non-coercition, le collectivisme, l’interdépendance et la guérison.

Malheureusement, près de la moitié des femmes autochtones incarcérées dans un établissement fédéral ne peuvent pas avoir accès aux pavillons de ressourcement parce qu’elles sont classées comme des détenues à sécurité maximale. Cependant, comme les pavillons de ressourcement réussissent à abaisser le taux de récidive, nombreux sont ceux qui demandent instamment au Service correctionnel du Canada d’y donner accès à ces femmes, surtout à celles qui sont aux prises avec un problème de santé mentale et qui sont souvent placées à tort dans des établissements à sécurité maximale.

Il ne suffit toutefois pas d’accroître l’accès aux pavillons de ressourcement; il importe également d’augmenter les services dans les prisons. Chaque établissement devrait permettre à ses détenues d’avoir accès à du personnel autochtone, aux formes autochtones de guérison et aux aînés autochtones, leur offrir des programmes adaptés à leur culture et assurer à tous ses employés une formation tenant compte de cette culture. Nous avons le devoir et l’obligation morale et juridique de faire en sorte que les femmes comme Bobby Lee Worm ne restent plus dans l’ombre.

(1610)

D’après le Programme international des droits de l’homme de l’Université de Toronto, les femmes sont désavantagées dans le système correctionnel fédéral par suite de leur petit nombre et du fait qu’on ne reconnaît pas leurs besoins particuliers en matière de sécurité. Cela donne lieu à des problèmes dans différents domaines, y compris l’isolement, la classification de sécurité, la réaction aux incidents de sécurité et la dotation mixte.

Ce désavantage se manifeste particulièrement dans le cas des détenues de race noire purgeant une peine dans un établissement fédéral. Les femmes de race noire constituent 2,6 p. 100 des Canadiennes. Toutefois, elles forment 10 p. 100 de la population carcérale féminine dans les établissements fédéraux. En fait, dans les dix dernières années, le nombre de Canadiens de race noire purgeant une peine dans un établissement fédéral a augmenté de 50 p. 100.

[Français]

Un rapport publié en 1994 par la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario révèle que les délinquants canadiens de race noire ont indiqué avoir été victimes d’inégalité raciale au titre de la prestation des services et de l’accès à ces derniers.

De plus, des détenus ont déclaré être victimes de stéréotypes raciaux de la part d’agents des services correctionnels, ce qui limite leur possibilité d’utiliser des installations auxquelles ils avaient demandé l’accès.

Honorables sénateurs, permettez-moi de vous faire part d’un cas évoqué par l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, qui montre bien le tort que peuvent causer les stéréotypes raciaux et sexuels aux délinquantes de race noire qui purgent une peine fédérale.

Jane est une délinquante de race noire sous responsabilité fédérale qui entretient une relation avec une autre femme dans son unité carcérale. Après avoir été mis au courant de la relation, un membre du personnel croit que Jane est une proxénète qui recrute des jeunes femmes. Jane dépose un grief, mais est prévenue par d’autres employés que ce genre de comportement pourrait lui valoir un transfert dans un établissement à sécurité maximale. Dans ce cas-ci, ce sont les stéréotypes raciaux en présence qui entraînaient un risque de transfert dans un pénitencier à sécurité maximale.

[Traduction]

Au Royaume-Uni, le Bureau national de la statistique évalue les besoins des détenus hommes et femmes d’origine afro-antillaise en matière de santé mentale. Les études britanniques ont révélé que les détenues de race noire sont plus susceptibles d’avoir besoin de soins de santé mentale que les autres femmes. Par conséquent, des pressions ont été exercées pour l’amélioration des services de santé mentale dispensés à ce segment important de la population carcérale britannique.

Au Canada, nous devons également reconnaître qu’une femme appartenant à une minorité visible peut avoir des besoins particuliers nécessitant des services particuliers car, pour être absolument claire, honorables sénateurs, je dirai que l’intérêt public n’est pas servi quand on fait abstraction des besoins de santé mentale des détenues sous juridiction fédérale.

Au Royaume-Uni, la NACRO, ou National Association for the Care and Resettlement of Offenders, a publié en 2007 un rapport mettant en évidence une forme révolutionnaire de traitement des maladies mentales de la population d’origine afro-antillaise. Cette forme de traitement permet de placer les intéressés dans un milieu communautaire plutôt que dans des hôpitaux psychiatriques aussitôt après l’évaluation de leur état de santé mentale.

La NACRO signale que cette initiative a sensiblement réduit le nombre des Afro-Antillais admis dans des hôpitaux psychiatriques.

[Français]

En s’assurant le concours des communautés noires et autochtones…

Son Honneur le Président intérimaire : Le temps de parole de la sénatrice Jaffer est écoulé.

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, peut-on m’accorder cinq minutes de plus?

Son Honneur le Président intérimaire : Les sénateurs s’entendent- ils sur une prolongation de cinq minutes?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Jaffer : Merci, honorables sénateurs.

En s’assurant le concours des communautés noires et autochtones, les services correctionnels et les fournisseurs de soins de santé mentale pourront s’assurer de fournir des services appropriés qui sont adaptés à la fois aux réalités culturelles et raciales.

Ces services pourraient offrir diverses avenues, comme le recours à des groupes d’entraide, qui permettraient aux délinquantes de race noire d’établir des relations entre elles et leur donneraient la capacité de revendiquer un meilleur accès aux centres de soins de santé mentale.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je voudrais vous faire part d’une expérience que j’ai vécue à l’Hôpital général de Vancouver, il y a quelques semaines. J’ai été là pendant près de 10 heures pour prendre soin d’une parente malade. Pendant que j’attendais, j’ai pu voir un agent de police amener une femme menottée au service des urgences. Elle était très calme, mais il était évident qu’elle était confuse. Après quelque temps, une infirmière de triage est venue lui parler et a proposé de lui enlever ses menottes pourvu qu’elle s’engage à ne pas s’enfuir. La femme a accepté, et on lui a donc retiré ses menottes. L’agent de police l’a ensuite laissée à l’entrée de la salle.

Pendant ce temps, trois autres agents de police sont arrivés en compagnie d’un homme très agité qui saignait. Je ne sais pas s’il s’était blessé lui-même ou s’il avait été impliqué dans une bagarre, mais il était dans tous ses états, et les policiers faisaient tout leur possible pour le calmer.

Entre-temps, un psychiatre interrogeait la femme en public, à haute et intelligible voix. Elle a donné les raisons de son anxiété. Le médecin lui a alors administré un médicament et l’a laissée partir.

Pendant tout le temps où j’étais là, j’ai vu de nombreux agents arriver et repartir en laissant des patients dans la salle. Après le départ des policiers, chaque fois qu’une patiente se comportait mal, quatre agents de sécurité bâtis en armoire à glace intervenaient en force et lui criaient des ordres pour la mettre au pas.

Tandis que la soirée avançait et que je m’efforçais d’encourager ma parente qui venait d’avoir un accident cardio-vasculaire, j’entendais de temps à autre du tapage, qui était suivi par l’intervention des quatre agents de sécurité.

Chaque fois, je les imaginais en train de s’en prendre à une patiente en agitant leur matraque. En réalité, ils n’en avaient pas. Lorsque j’ai quitté l’hôpital, je les ai vus ramasser une jeune femme, comme si c’était un poulet, pour l’emmener ailleurs.

Je ne faisais qu’observer ce qui se passait dans la salle des urgences. Je n’avais pas une connaissance particulière des besoins médicaux des autres patients. Néanmoins, il m’a semblé clair que beaucoup de personnes qui arrivaient dans la salle ce soir-là souffraient d’une forme ou d’une autre de maladie mentale.

Pour être claire, j’ajouterai que les infirmières, les agents de police et le personnel de sécurité faisaient de leur mieux dans une situation difficile. Toutefois, j’étais témoin de l’échec d’un système qui n’avait pas été conçu pour répondre aux besoins de détenus ayant des problèmes mentaux, et je dirais même des besoins de tous les Canadiens qui souffrent de tels problèmes.

Je ne sais pas grand-chose des maladies mentales, mais je peux vous dire que je suis maintenant persuadée que nous devons trouver des moyens d’aider les patients ont, de toute évidence,e un besoin désespéré de soins médicaux spécialisés.

Honorables sénateurs, je voudrais vous encourager tous à transformer cette interpellation en étude sur la façon de traiter les personnes qui ont des troubles mentaux, et particulièrement les femmes purgeant une peine dans un établissement fédéral.

En attendant, honorables sénateurs, je déposerai dans les prochaines semaines un projet de loi au Sénat, comme suite naturelle de la conversation amorcée par le sénateur Runciman, afin de veiller à ce que les femmes purgeant une peine dans un établissement fédéral obtiennent les soins de santé mentale dont elles ont besoin.

À titre de parlementaires, nous avons l’obligation de travailler ensemble pour trouver des solutions et offrir des traitements et des soins avec dignité. Je ne mets pas en doute notre compassion, notre générosité ou notre droiture morale. Je voudrais simplement évaluer notre niveau de civilisation car, comme Dostoïevski l’a dit quelques années avant l’avènement de notre Confédération, nous pouvons juger du degré de civilisation d’une nation en visitant ses prisons.

(Sur la motion du sénateur Carignan, le débat est ajourné.)