1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 150

Le mercredi 27 mars 2013
L’honorable Gerald J. Comeau, Président suppléant

La Charte canadienne des droits et libertés

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénateur Cowan, attirant l’attention du Sénat sur le 30eanniversaire de la Charte canadienne des droits et libertés qui a grandement contribué à la fierté de notre pays et à notre identité nationale.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, j’ai parlé à la sénatrice Andreychuk. Elle accepte que je prenne la parole avant elle et que le débat soit ajourné à son nom.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation du sénateur Cowan. Il attire ainsi notre attention sur le 30e anniversaire de la Charte canadienne des droits et libertés, qui a fortement contribué, depuis trois décennies, à promouvoir et à affirmer ces valeurs canadiennes que sont la dignité, la liberté, l’égalité, la diversité et la compassion.

Avant de commencer, j’aimerais remercier le sénateur Cowan, qui a reconnu qu’il fallait célébrer la Charte canadienne des droits et libertés et a su expliquer comment elle a façonné l’identité canadienne.

[Français]

Au cours des quelques derniers mois, nous avons eu l’occasion d’entendre ce que de nombreux sénateurs avaient à dire à propos de l’impact que la Charte a eu et continue d’avoir sur la vie des Canadiens.

L’identité canadienne est définie par une mosaïque de langues et de cultures.

Forts des valeurs communes inscrites dans la Charte, nous sommes un modèle de pluralisme et d’inclusion pour le monde entier.

Au Canada, la différence et la diversité sont des forces, et non des faiblesses.

Nous accueillons des gens de tous les horizons, peu importe leur race, leur religion ou leurs croyances.

Aujourd’hui, alors que nous continuons à célébrer l’anniversaire de la Charte des droits et libertés, j’aimerais attirer l’attention de mes honorables collègues sur les articles de la Charte qui définissent le Canada comme une nation pluraliste et qui renforcent l’importance du rôle que jouent l’égalité des chances, le bilinguisme et le multiculturalisme dans la société canadienne.

Je crois profondément que ces articles sont l’essence même de l’identité canadienne et aident à définir le Canada comme une nation tolérante, accueillante et progressiste.

Honorables sénateurs, le multiculturalisme au Canada a été établi il y a 41 ans dans le cadre de la politique sur le bilinguisme et le biculturalisme.

En 1982, l’adoption de la Charte des droits et libertés a marqué une autre étape importante et je suis extrêmement fière de dire que, en 1988, en adoptant la Loi sur le multiculturalisme, le Canada est devenu le premier pays au monde à adopter une loi touchant le multiculturalisme national.

Non seulement ces politiques contribuent à la préservation de la culture et de la langue, mais elles découragent la discrimination tout en aidant à promouvoir la compréhension interculturelle.

La Charte des droits et libertés reconnaît l’importance de préserver et d’enrichir le patrimoine multiculturel des Canadiens.

La Charte, à l’article 23, garantit la protection des droits des communautés de langue minoritaire. Je suis tout à fait d’accord. Je crois que cette vision se réalisera pleinement lorsque, par exemple, mon petit-fils qui vit à Vancouver, en Colombie-Britannique, pourra apprendre à parler couramment les deux langues officielles, ou que nous serons parvenus à créer une culture au sein de laquelle tous nos enfants pourront partager notre patrimoine bilingue.

[Traduction]

De plus, l’article 35 de la Charte protège les droits des peuples autochtones. Il y a encore fort à faire pour que ces peuples jouissent d’une véritable liberté et d’une véritable égalité. Tant que nous n’accorderons pas une réelle importance à la disparition de femmes autochtones, tant que nous ne nous pencherons pas sur les causes profondes de la violence, les droits énoncés dans la Charte continueront de sonner creux.

Par ailleurs, la Charte affirme que tous sont égaux devant la loi et ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination. Elle confirme également que chacun a la liberté de conscience, de religion, de pensée, de croyance, d’opinion, d’expression, de réunion pacifique et d’association, et elle garantit que ces droits et libertés s’appliquent de manière égale à tous les Canadiens.

L’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés garantit l’égalité des femmes. Je me souviens clairement des trois années qui ont suivi l’adoption de la Charte. Il a fallu modifier nombre de lois discriminatoires à l’égard des femmes. Je suis fière du travail que plusieurs d’entre nous ont accompli afin que nos lois ne soient plus discriminatoires envers les femmes.

Aujourd’hui, l’égalité des femmes n’est pas encore acquise au Canada, mais la Charte peut encore servir d’outil, d’engagement permanent à rechercher l’égalité. Le jour où nous serons vraiment égales, les femmes gagneront un salaire égal pour un travail de valeur égale. Nous vivrons alors dans un monde qui protège les femmes de façon proactive contre les sévices sexuels.

Afin de vraiment adopter les valeurs inscrites dans la Charte, nous devons tous travailler plus fort à créer une culture libre de toute violence envers les femmes et les enfants, où ma belle-fille, Shaleena, ma fille, Farzana, et toutes nos filles pourront marcher sans aucune crainte dans les rues de Vancouver.

La liberté, l’égalité et la paix font partie des principes fondamentaux qui encadrent les idéaux canadiens. Ce sont des droits garantis à chaque Canadien, peu importe sa race, son origine, la couleur de sa peau, sa religion, son sexe, son âge, son orientation sexuelle ou ses handicaps.

[Français]

Honorables sénateurs, lors d’un discours prononcé pendant une cérémonie qui marquait la proclamation de la Charte, l’ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau a décrit sa vision du Canada en ces termes :

Notre pays […] ne devrait jamais cesser d’être […] un Canada de la rencontre des ethnies où, par un choix délibéré, des hommes et des femmes d’ascendance amérindienne, française et britannique s’unissent à leurs compatriotes d’origines et de traditions culturelles les plus diverses pour partager un même pays dans la paix, la justice et le respect de leurs différences;

un Canada tirant force et fierté de sa vocation bilingue;

un Canada fondé sur l’entraide et le partage, plutôt que sur l’isolement des régions et la loi du chacun pour soi;

enfin, un Canada où chaque personne puisse vivre librement son destin, à l’abri des tracasseries et de l’arbitraire des pouvoirs publics.

Honorables sénateurs, c’est avec une grande joie que je dis aujourd’hui que la vision qu’avait du Canada le premier ministre Trudeau, il y a 30 ans, est maintenant devenue une réalité.

[Traduction]

Aujourd’hui, plus de 6,8 millions de Canadiens parlent une langue maternelle autre que le français ou l’anglais. Ces Canadiens représentent plus de 200 origines ethniques, et ce chiffre va en augmentant.

En fait, selon le recensement de 2006, la proportion des minorités visibles devrait passer de 16,2 p. 100 à 30 p. 100 en 2031. Le Canada est reconnu mondialement pour sa mosaïque culturelle, et les Canadiens peuvent en être fiers.

En 2010, j’ai eu le privilège de participer au 10e symposium annuel LaFontaine-Baldwin, institué par l’ancienne gouverneure générale, la très honorable Adrienne Clarkson. Son Altesse le prince Karim Aga Khan était un des invités présents.

Son Altesse le prince Karim Aga Khan a livré un discours inspirant sur le pluralisme. Il a parlé du Centre mondial du pluralisme, qui a été mis sur pied en partenariat avec le gouvernement du Canada. Il a expliqué que ce centre est l’une des premières institutions vouées aux questions de la diversité et du pluralisme dans notre monde.

L’Aga Khan a ajouté que le Canada est un endroit tout indiqué pour accueillir cette institution, compte tenu de l’importance que les Canadiens accordent à la diversité. Voici ce qu’il a dit :

L’expérience canadienne me fait comprendre que l’identité peut être plurielle. Célébrer une identité ne signifie pas qu’on rejette les autres. On peut tout aussi bien se reconnaître dans une tradition ethnique ou religieuse et éprouver de la fierté pour sa région ou son pays.

(1530)

[Français]

Le fait même qu’il ait été choisi comme siège d’une institution vouée à l’édification de sociétés pluralistes, accueillantes et tolérantes en dit long sur le Canada et ses valeurs.

Cela montre aussi que nous, Canadiens, avons la chance de vivre dans une société véritablement multiculturelle, où les gens de religions, d’origines ethniques et de milieux culturels différents peuvent coexister dans la paix et l’harmonie.

Ce sont là des valeurs qui ont été établies au départ par des doctrines comme la Charte des droits et libertés et qui ont servi de fondement à notre pays.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je suis une musulmane chiite ismaélienne d’ascendance indienne née en Afrique et scolarisée en Europe. Mon identité comporte de multiples facettes, mais c’est pour moi un honneur et un privilège de me considérer comme une Canadienne, d’abord et avant tout.

[Français]

Il y a 40 ans, lorsque ma famille et moi avons fui l’Ouganda d’Idi Amin pour chercher refuge ailleurs, nous avons eu l’immense chance d’être accueillis au Canada.

Ma famille et moi avons travaillé fort pour nous établir dans un nouveau pays, apprendre une nouvelle langue et nous adapter à un nouveau climat.

Cependant, il était très réconfortant pour nous de savoir qu’il importe peu qu’on soit Noir ou Blanc, qu’on parle l’anglais, le français, le swahili ou l’hindi ou qu’on pratique sa religion dans une église, une mosquée ou une synagogue.

Le fait d’être différent ne nuit en rien à la capacité de s’épanouir au Canada.

[Traduction]

En plus d’entretenir un profond sentiment d’appartenance au Canada, je me sens privilégiée d’être la doyenne des sénateurs de la Colombie-Britannique, une des provinces les plus multiethniques du pays.

Honorables sénateurs, nous avons tous une chance exceptionnelle de vivre au Canada, mais nous ne devons pas la tenir pour acquis. La Charte des droits et libertés nous garantit de nombreux droits fondamentaux, que nous avons le droit d’exercer, mais aussi le devoir de protéger. En ce 30e anniversaire de la Charte, n’oublions pas que, depuis le début, elle ne cesse de façonner l’identité canadienne, et rappelons-nous que si le Canada est reconnu en tant que pays parmi les plus tolérants, diversifiés et pluralistes du monde, c’est beaucoup grâce à elle.

Il y a quelques semaines, honorables sénateurs, la sénatrice Ataullahjan a tenu une cérémonie afin de décerner une médaille à Zarqa Nawaz, une journaliste réputée qui est aussi la scénariste de la populaire émission Little Mosque on the Prairie, diffusée à la CBC. Mme Nawaz a expliqué avec beaucoup d’éloquence qu’en tant que Canadienne, elle a pu écrire une comédie sur des musulmans en sachant que ses concitoyens ne riraient pas d’elle, mais bien avec elle. Les sénatrices Marshall, Poirier et Martin étaient aussi présentes, et je suis convaincue qu’elles seraient d’accord avec moi pour dire que Mme Nawaz a vraiment su nous remplir de fierté à l’idée de vivre dans un Canada multiculturel.

(Sur la motion de la sénatrice Jaffer, au nom de la sénatrice Andreychuk, le débat est ajourné.)