1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 156

Le jeudi 25 avril 2013
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

La Loi réglementant certaines drogues et autres substances
Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L’honorable Mobina S. B. Jaffer propose que le projet de loi S- 216, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et le Code criminel (traitement en santé mentale), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, au cours du dernier mois, j’ai eu le plaisir de correspondre par courriel avec des centaines de Canadiens au sujet des traitements en santé mentale pour les délinquants. Je voulais en apprendre davantage sur leurs préoccupations, leurs expériences et leurs idées quant aux façons de promouvoir les droits de la personne et de protéger tous les Canadiens.

J’ai reçu un courriel de Sheila Pratt, une résidante de Maple Ridge, en Colombie-Britannique. Sheila a été enseignante à l’école primaire pendant 30 ans. Voici ce qu’elle a écrit :

À un certain moment au cours de l’année, je demandais à mes élèves ce qu’ils voulaient faire quand ils seraient grands. Il y avait de futurs agriculteurs, infirmiers, astronautes, médecins, chauffeurs d’autobus, enseignants et bien d’autres encore.

Sheila a ajouté ceci :

Je n’ai jamais rencontré un seul enfant qui voulait devenir toxicomane ou narcotrafiquant. Quelque chose ou quelqu’un leur a nui en cours de route.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-216 prévoit l’application des mêmes dispositions en matière de traitement en santé mentale que celles qui existent déjà dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et le Code criminel à l’égard du traitement pour toxicomanie.

En présentant le projet de loi S-216, je propose que le système de justice pénale considère l’accès à un traitement en santé mentale de la même manière que l’accès à un traitement pour toxicomanie.

Aux termes des dispositions actuelles à l’égard du traitement pour toxicomanie, lesquelles se trouvent aux paragraphes 10(4) et 10(5) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, et au paragraphe 720(2) Code criminel, on peut reporter la détermination de la peine aux fins d’un traitement pour toxicomanie, et si le procureur général y consent, le tribunal n’est pas tenu d’infliger une peine minimale à la personne qui termine avec succès le traitement pour toxicomanie.

Il est tout à fait sensé que le droit criminel adopte à l’égard du traitement en santé mentale la même formule que pour le traitement de la toxicomanie, car les critères et les objectifs des tribunaux de la santé mentale et des tribunaux du traitement de la toxicomanie se rejoignent. En effet, dans les deux cas, l’accent est porté sur la source du comportement criminel plutôt que sur le châtiment des symptômes par l’incarcération. En outre, les deux types de tribunal se fondent sur la reconnaissance du fait que, si l’accusé souffre de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, l’emprisonnement ne réglera pas le problème.

Les sénateurs Runciman, Fraser, White et moi avons tous pris la parole au sujet de l’interpellation du sénateur Runciman sur les soins de santé mentale prodigués aux délinquants, et nous avons tous abordé le même thème. Dans nos interventions relatives à l’interpellation du sénateur Runciman, nous avons fait clairement ressortir la nécessité de considérer les besoins en santé mentale au même titre que les autres besoins en matière de santé.

Comme l’a écrit le sénateur Runciman dans une lettre d’opinion parue récemment dans le Toronto Sun :

En négligeant de fournir un traitement adéquat aux contrevenants atteints de troubles mentaux, nous rendons nos prisons plus dangereuses qu’elles ne devraient l’être, tant pour le personnel que pour les détenus, et compromettons la sécurité publique, car relâcher des détenus ayant des troubles mentaux mène à d’autres crimes et, tragiquement, fait d’autres victimes.

Pour citer l’enquêteur correctionnel du Canada, M. Howard Sapers :

Les prisons ne sont pas des hôpitaux, mais certains détenus sont en fait des patients.

Les dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et du Code criminel qui traitent de la toxicomanie des contrevenants devraient également s’appliquer aux besoins en santé mentale de ceux-ci.

Honorables sénateurs, le paragraphe 43(2) du projet de loi C-10, que le Parlement a adopté tout récemment, modifie la Loi réglementant certaines drogues et autres substances afin de permettre au contrevenant de participer à un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie approuvé par le procureur général. Cette modification visait à mettre à profit les tribunaux et services existants spécialisés dans le traitement de la toxicomanie.

L’article 1 du projet de loi S-216 modifierait la même loi pour permettre au délinquant de participer au programme de traitement prévu par un tribunal de la santé mentale et approuvé par le procureur général. La modification proposée permettrait aussi de tirer parti des services spécialisés de traitement des troubles mentaux et des tribunaux de la santé mentale.

Des tribunaux de la santé mentale ont commencé à voir le jour dans diverses villes du Canada après que les tribunaux de traitement de la toxicomanie eurent fait la preuve que les tribunaux qui s’attaquent à des problèmes concrets avaient un rôle à jouer dans notre système de justice. Le premier tribunal de la santé mentale du Canada a été créé à Toronto et d’autres ont été créés dans d’autres villes au cours des dernières années.

Les tribunaux de la santé mentale s’occupent des personnes dont la maladie mentale a beaucoup contribué à leurs démêlés avec la justice. Ces tribunaux peuvent, lorsqu’il s’agit de crimes peu graves, offrir une déjudiciarisation avant le procès ou reporter la détermination de la peine pour permettre à la personne de suivre un traitement et, dans le cas des crimes plus graves, infliger des peines tenant compte des besoins en santé mentale, comme un traitement dans un établissement psychiatrique plutôt qu’une peine d’emprisonnement.

Les tribunaux de la santé mentale ont été créés au fil de diverses interventions informelles des intéressés locaux qui ont voulu répondre à ce besoin. Comme l’administration et la prestation des services de santé relèvent des provinces et territoires, il existe plusieurs modèles de tribunal de la santé mentale.

Selon le modèle de Toronto, le délinquant comparaît plusieurs fois pour un cautionnement, comme cela se fait dans les tribunaux de traitement de la toxicomanie, devant lesquels l’accusé comparaît très fréquemment devant le juge, et le tribunal profite de l’aide d’employés de soutien rattachés au palais de justice.

Le tribunal de la santé mentale d’Ottawa a démarré sans financement supplémentaire, ses partenaires ayant mis leurs ressources en commun pour sa création. L’Association canadienne pour la santé mentale a fourni les travailleurs des services d’approche et le procureur de la Couronne a affecté un procureur de la Couronne adjoint particulier aux affaires dont est saisi le tribunal de la santé mentale.

Le Nouveau-Brunswick a un modèle dans le cadre duquel l’accusé doit s’inscrire à un programme et le suivre pour bénéficier d’un résultat prédéterminé.

Le Yukon, quant à lui, a un tribunal communautaire du mieux- être, qui s’occupe des cas de personnes ayant des problèmes d’alcoolisme ou de toxicomanie, des problèmes de santé mentale ou un déficit cognitif, y compris le syndrome d’alcoolisation fœtale.

Dans les tribunaux de la santé mentale, les procureurs de la Couronne travaillent avec des employés des organismes participants afin de déterminer les peines qui seront imposées, par exemple un engagement de ne pas troubler l’ordre public tel qu’il est prévu à l’article 810 du Code criminel, une ordonnance de probation ou des ordonnances de sursis et de probation. Généralement, cela donne lieu à des peines plus clémentes pour les personnes reconnues coupables. Ce processus permet d’assurer un traitement et une surveillance supplémentaires.

Les programmes des tribunaux de la santé mentale permettent à des gens qui ne sont pas admissibles à la déjudiciarisation en raison de la gravité de leur crime de tenter d’améliorer leur condition grâce à des soins de santé mentale.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-10, qui a été adopté durant la deuxième session de la 39e législature, a créé une disposition visant à reporter la détermination de la peine afin de permettre à une personne reconnue coupable de participer à un programme de traitement conformément au paragraphe 720(2) du Code criminel.

Le projet de loi S-216 contient une référence explicite aux programmes de traitement en santé mentale, qui s’ajoutent aux programmes de traitement de la toxicomanie et aux programmes d’aide en matière de violence conjugale déjà mentionnés au paragraphe 720(2). Tout comme les programmes de traitement de la toxicomanie, les programmes de traitement en santé mentale doivent être approuvés par les provinces. Cette référence explicite à un programme de traitement en santé mentale pourrait encourager la mise en place d’autres programmes de traitement en santé mentale dans les systèmes de traitement des provinces.

Le projet de loi S-216 souligne le lien fréquent qui existe entre la toxicomanie et les troubles de la santé mentale, et la nécessité d’adapter le traitement à la situation particulière de la personne. Par exemple, les contrevenants souffrant de troubles de la santé mentale pourraient être incapables de suivre un programme de traitement de la toxicomanie, et un programme de traitement en santé mentale répondrait peut-être mieux à leurs besoins.

Le projet de loi S-216 autoriserait également, avec le consentement du tribunal et l’aval du procureur général, un traitement en santé mentale qui ne fait pas partie des programmes pré-approuvés. Il viserait les cas où il n’existe pas de tribunaux de santé mentale ou de programmes de traitement approuvés, afin que les résultats améliorés ne dépendent pas plus de la situation géographique que de la nature de l’infraction ou de la personne reconnue coupable. Cette disposition assure également une certaine souplesse à l’ensemble, car il tiendrait compte des cas où un traitement est déjà administré par un professionnel de la santé mentale et où il est préférable que ce traitement soit poursuivi.

Le fait d’exiger que le procureur général autorise un traitement particulier tient compte des pratiques courantes et permettrait de rassurer les gens quant au fait qu’il ne s’agit pas simplement d’un moyen d’échapper à une peine minimale d’emprisonnement. Cette modification proposée offre des options supervisées par la cour et, donc, plus de souplesse.

Enfin, honorables sénateurs, l’alinéa 43(2)(5) du projet de loi C-10 présentait la disposition suivante concernant la peine minimale :

Le tribunal n’est pas tenu d’infliger une peine minimale d’emprisonnement à la personne qui termine avec succès un programme visé au paragraphe (4).

Autrement dit, un programme de traitement de la toxicomanie.

Le projet de loi S-216 prévoit exactement la même chose pour les contrevenants qui complètent un programme de traitement en santé mentale. Comme c’est le cas en ce qui concerne les dispositions actuelles de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances portant sur le traitement de la toxicomanie, en permettant l’exemption de la peine minimale obligatoire, le projet de loi encourage les personnes reconnues coupables à s’engager sur la voie de la guérison tout en pénalisant les comportements criminels, comme le veut la société.

En outre, les tribunaux conservent le pouvoir d’ordonner l’emprisonnement d’une personne reconnue coupable, mais auraient la latitude de lever la peine d’emprisonnement obligatoire, tout comme le projet de loi C-10 le faisait dans le cas des délinquants qui suivent un traitement contre la toxicomanie. Cette souplesse permettrait à la cour de lever la peine minimale obligatoire afin de permettre un traitement.

Tout comme c’est le cas pour les traitements contre la toxicomanie en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la cour ne pourrait lever la peine d’emprisonnement minimal obligatoire que si le traitement en santé mentale est complété avec succès. Les dispositions n’exigent pas que la personne reconnue coupable soit guérie; elles laissent plutôt cette décision à la discrétion de la cour.

Honorables sénateurs, ce projet de loi n’est pas révolutionnaire. Il fait simplement fond sur une importante disposition du projet de loi C-10 qui porte sur le traitement contre la toxicomanie. Il existe des tribunaux de traitement de la toxicomanie, des programmes de traitement de la toxicomanie, et des dispositions juridiques permettant de mieux incorporer ces outils au système de justice pénale. Il existe également des tribunaux de traitement de la santé mentale et des programmes de traitement en santé mentale. Nous devons maintenant faire en sorte que la loi en facilite aussi l’utilisation dans le cadre du système de justice pénale.

Les sénateurs Runciman, Fraser, White and moi avons tous dit à quel point il est important que les contrevenants puissent recevoir les soins de santé mentale dont ils ont besoin, car cela ne peut que contribuer à assurer la sécurité des Canadiens. Ce projet de loi porte sur un sujet que les Canadiens ont à cœur, les sénateurs le savent. C’est une suite logique.

(Sur la motion du sénateur Carignan, le débat est ajourné.)