1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 157

Le mardi 30 avril 2013
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Boisvenu, appuyée par l’honorable sénateur Meredith, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-37, Loi modifiant le Code criminel.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-37, Loi modifiant le Code criminel.

Ce projet de loi modifie le Code criminel pour changer les règles concernant la suramende compensatoire. Il vise à doubler le montant des suramendes compensatoires et à les rendre obligatoires pour toutes les personnes reconnues coupables d’une infraction criminelle.

Le projet de loi modifie le paragraphe 737(5) du Code criminel afin d’éliminer le pouvoir discrétionnaire du juge ainsi que le paragraphe 737(2) pour faire passer la suramende compensatoire de 15 à 30 p. 100 de l’amende infligée par le tribunal ou, si aucune amende n’est infligée par le tribunal, de 50 $ à 100 $ pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et de 100 $ à 200 $ pour une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par mise en accusation.

Je veux maintenant partager avec vous ce que Ian Carter, avocat en exercice à Ottawa, a dit au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

M. Carter a très éloquemment décrit les répercussions qu’aura ce projet de loi sur les personnes marginalisées. Il a dit ce qui suit :

Je suis au palais de justice d’Ottawa, au 161 de la rue Elgin, presque tous les jours. Pour bien expliquer la position de l’Association du Barreau canadien au sujet de ce projet de loi, je pensais vous donner deux exemples contrastés qui montrent les avantages qu’offre ce projet de loi ainsi que les aspects qui risquent de faire problème.

M. Carter continue ainsi :

Pour vous présenter cet exemple, je me suis inspiré librement de personnes que j’ai rencontrées au sein du système de justice pénale.

Premièrement, prenons le cas de la personne qui plaide coupable à une accusation de conduite avec facultés affaiblies. C’est un cas fréquent qui se voit tous les jours devant tous les tribunaux canadiens. Dans ce scénario, nous allons l’appeler Richard. Richard est un directeur de banque et il n’a jamais eu de démêlé avec la justice auparavant. Il regrette ce qu’il a fait, il est disposé à accepter sa peine et il souhaite que la vie reprenne son cours. Il se rend dans la cour des plaidoyers de culpabilité qui se trouve au sous-sol du palais de justice de la rue Elgin et il attend son tour pour recevoir sa peine, avec les quelque 30 ou 40 personnes qui se trouvent dans les couloirs ou en détention dans les locaux du palais de justice qui attendent également de recevoir leur peine. Le procureur de la Couronne et les avocats de la défense se sont entendus à l’avance sur la peine à demander, comme c’est souvent le cas. Ce sera une amende de 1 200 $ et une interdiction de conduire pendant 12 mois.

Étant donné qu’il s’agit d’une position conjointe des avocats et que la liste des personnes qui attendent de plaider coupable est très longue et que les ressources judiciaires sont limitées, le tribunal ne disposera que de très peu de renseignements au sujet de Richard. Le juge disposera de suffisamment de renseignements pour savoir que Richard peut payer la suramende compensatoire, de sorte qu’elle lui sera imposée, même si cela se fait très discrètement.

Compte tenu de la rapidité avec laquelle les dossiers doivent être expédiés et de la longue file de personnes qui attendent de plaider coupable ce jour-là, Richard ne comprendra pas grand-chose à ce qu’est la suramende compensatoire ni à quoi sera utilisé cet argent. C’est tout simplement sa condamnation, la forte amende imposée et l’interdiction de conduire qui auront le plus d’impact sur son comportement futur.

Quoi qu’il en soit, Richard a les moyens de payer l’amende et l’argent est utilisé pour une bonne cause. Il va aider les victimes, même si elles ne sont pas directement concernées par son dossier. C’est la raison pour laquelle l’ABC appuie le principe de la suramende compensatoire. Dans ce scénario, elle est tout à fait logique.

Ici, M. Carter a fait une pause avant de poursuivre son récit. Voici ce qu’il a dit :

Prenons, par contre, le cas de la femme qui attend son tour au fond de la salle d’audience. Nous allons l’appeler Joanne. Elle va plaider coupable à l’accusation de communiquer avec quelqu’un à des fins de prostitution, parce qu’elle a été ramassée au cours de la dernière descente de police dans le marché. C’est une jeune autochtone qui a été élevée dans une pauvreté extrême et qui a été régulièrement agressée par son père. Elle a perdu sa dent de devant parce que son père lui a donné un coup de pied dans le visage alors qu’elle était encore une petite fille. Elle est assise avec ses deux jeunes enfants, 2 et 4 ans, au fond de la salle d’audience parce qu’elle n’a personne à qui les confier lorsqu’elle vient au tribunal. Le père a disparu. Elle se livre à la prostitution pour subvenir à ses besoins. Elle n’a pas les moyens de se payer un avocat et n’a pas droit à l’aide juridique parce qu’elle ne risque pas une peine d’emprisonnement. Elle sera par contre représentée au palais de justice par un avocat de service, surchargé de travail.

Ce matin, la juge est gentille. Elle va lui donner une absolution sous conditions pour qu’elle n’ait pas un casier judiciaire pour le reste de sa vie. La juge a vu des centaines, sinon des milliers de Joanne depuis qu’elle est juge. Elle sait par expérience qu’une amende obligatoire causerait des difficultés à Joanne. Elle serait punitive et inutile parce qu’il s’agit d’un crime sans victime. En fait, Joanne a elle-même été victime de nombreux crimes. La juge sait également que Joanne va sans doute se prostituer pour payer l’amende. Dans d’autres affaires de ce genre, elle a déjà renoncé à imposer la suramende compensatoire. Avec le nouveau projet de loi, elle n’aura pas le choix; elle devra l’imposer.

Il faut être très clair au sujet de cette suramende désormais obligatoire. C’est une taxe fixe imposée à un membre de la société qui n’a pas les moyens de la payer. Les ressources qui seront désormais affectées au recouvrement de la suramende vont être beaucoup plus importantes que les bénéfices susceptibles d’être retirés de l’imposition de cette amende. Joanne ne conduit pas, il n’est donc pas possible de lui supprimer son permis et il n’y a pas de programme de travaux compensatoires ici en Ontario. La seule solution pour recouvrer l’amende est un mandat de dépôt. Nos ressources judiciaires limitées seraient gaspillées si l’on ramenait Joanne devant les tribunaux pour qu’elle explique ce qui était évident dès le départ au moment où elle a reçu sa peine, à savoir qu’elle n’a pas les moyens de payer l’amende. Elle doit pourtant le faire pour éviter d’être envoyée en prison. Tout ceci aurait pu être évité si la juge qui a fixé la peine, connaissant la situation de Joanne, avait le pouvoir discrétionnaire de renoncer à imposer la suramende.

La réalité de notre système de justice pénale est qu’on y retrouve beaucoup plus de Joanne que de Richard. C’est pour cette raison que l’ABC appuie la suramende compensatoire, mais s’oppose à ce qu’elle soit obligatoire dans tous les cas, quelle que soit la situation personnelle de l’accusé.

Honorables sénateurs, cette suramende obligatoire me préoccupe grandement pour diverses raisons.

(1530)

Raison numéro 1 : elle impose une approche universelle en vertu de laquelle tous les contrevenants devront payer une amende pécuniaire, peu importe leurs moyens financiers. Voilà qui va à l’encontre des principes de détermination de la peine énoncés dans le Code criminel, mais surtout, des principes que nous considérons tous comme les fondements de notre système de justice pénale, à savoir la dissuasion, la séparation, le désistement, la réparation et le sens des responsabilités.

[Français]

Raison numéro 2 : le certificat d’incarcération. Les tribunaux ont clairement fait valoir qu’un certificat d’incarcération ne devrait pas être émis dans les cas de défaut de paiement d’amende, à moins de refus du délinquant de payer l’amende sans motif raisonnable.

En 2003, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt R. c. Wu, a déclaré qu’une incapacité bien réelle de payer était une raison valable.

[Traduction]

Aucun contrevenant ne devrait se retrouver en prison parce qu’il n’a pas les moyens d’acquitter une amende.

Raison numéro 3 : toutes les provinces ne se sont pas dotées d’un mode facultatif de paiement des amendes, qui permet aux contrevenants incapables d’acquitter la suramende qui leur est imposée d’obtenir l’argent dont elles ont besoin pour payer ce qu’elles doivent. Malheureusement, seulement sept provinces disposent d’un tel programme.

[Français]

Raison numéro 4 : le projet de loi élimine le pouvoir discrétionnaire des juges, qui est une garantie essentielle pour faire régner la justice, car les peines sont conçues pour chaque contrevenant et délinquant. On a tort de vouloir enlever le pouvoir discrétionnaire au juge.

[Traduction]

Ce projet de loi ôte aux juges le droit de tenir compte des préjudices injustifiés. C’est inacceptable.

Voici ce qu’en disait Catherine Latimer, de la Société John Howard du Canada :

[…] retirer aux juges le pouvoir discrétionnaire d’exempter le contrevenant du paiement d’une suramende compensatoire s’ils considèrent qu’il en découlerait un préjudice financier […] pourrait vraiment avoir des conséquences dramatiques pour les démunis, les personnes atteintes de maladie mentale et les marginalisés. Même si ces personnes pourraient participer à des programmes de substitution d’amende, ces programmes ne sont pas offerts universellement et bien des gens, parce qu’ils sont atteints de sénilité […] ou de maladie mentale, ne peuvent s’en prévaloir.

Je signale également que, quand un juge doit déterminer s’il y a lieu d’imposer une amende à une personne, les principes fondamentaux de justice exigent qu’il tienne compte de la capacité de payer de cette personne et de la possibilité qu’elle puisse, ou non, se prévaloir d’un mode facultatif de paiement des amendes. Or, la suramende compensatoire passe outre à ces mesures de protection et autorise l’imposition d’amendes à des personnes qui seront incapables de les acquitter, ce que le juge peut souvent constater au premier coup d’œil.

Tout défaut de paiement de la part de la personne à laquelle la suramende serait imposée pourrait entraîner son emprisonnement. Elle serait alors obligée de comparaître de nouveau devant un juge et d’invoquer la décision R. c. Wu de la Cour suprême du Canada pour le convaincre qu’elle ne devrait pas être emprisonnée. Donc, une personne pauvre aurait à comparaître deux fois, en dépit de l’engorgement du système judiciaire, alors qu’une seule fois aurait suffi. Elle risquerait en outre d’être mise en détention préventive.

Raison numéro 5 : l’engorgement du système judiciaire. L’imposition d’une contrainte excessive à une personne incapable de payer la suramende exigera de cette personne qu’elle revienne devant un juge lorsqu’elle fera l’objet d’un mandat de dépôt pour pouvoir demander d’être dispensée de payer l’amende. Or, cette audience additionnelle ne serait pas nécessaire si le juge avait le droit au départ d’exercer son pouvoir discrétionnaire. On éviterait de surcharger davantage le système judiciaire. Si les dispositions sur les suramendes compensatoires entrent en vigueur, les juges se verront interdire l’usage de leur pouvoir discrétionnaire.

Raison numéro 6 : le projet de loi C-37 n’est pas conforme à l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cet article établit un principe fondamental de la justice, à savoir que toute peine doit être infligée en tenant compte des particularités du délinquant et de l’infraction commise.

Voici ce qu’a déclaré le sénateur Joyal lors des travaux du comité :

Le ministère de la Justice donnait les mêmes réponses au cours des années, et les projets de loi sont encore contestés devant les tribunaux. De plus, une personne de votre propre ministère, qui était le responsable de ce genre d’évaluation, est devant les tribunaux pour demander des explications au ministère pour cette raison précise […] Prendre quelque chose avec des pincettes est une expression qui veut dire qu’il faut prendre les choses avec certaines réserves. Comment pouvons-nous savoir que ces études ont été menées avec rigueur et que, en tant que législateurs, vos amendements proposés sont conformes au niveau d’examen exigé en vertu de la Charte?

[Français]

Raison numéro 7 : le projet de loi continuera de violer l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, caril va contribuer à créer une peine cruelle et inusitée. M. Carter a déclaré ce qui suit dans son témoignage :

Si un demandeur peut prouver, en tenant compte des circonstances particulières d’une affaire, que cela crée une peine cruelle et inhabituelle dans le sens où cela est au-delà de ce à quoi la personne pourrait initialement être condamnée et crée une limite bien sévère ou des difficultés, alors oui, cela pourrait aller à l’encontre de l’article 12.

[Traduction]

Raison numéro 8 : le projet de loi fait fi du besoin de proportionnalité. Le principe fondamental de la détermination de la peine tel qu’énoncé à l’article 718.1 du Code criminel est que la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant. Si l’on retire aux juges leur pouvoir discrétionnaire et on les empêche de tenir compte d’un éventuel préjudice injustifié, il est impossible de respecter le principe de la proportionnalité.

Comme l’a affirmé Catherine Latimer, de la Société John Howard du Canada :

Le deuxième point qui nous préoccupe beaucoup est la nature disproportionnée de certaines sanctions. La peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. Les suramendes compensatoires sont considérées comme des sanctions supplémentaires infligées aux contrevenants jugés coupables, et ces sanctions supplémentaires pourraient bien rendre la sanction initiale disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction. Les suramendes étant fixes, elles ne peuvent être adaptées à la gravité de l’infraction ou à la capacité du contrevenant de payer, et elles auront un effet particulièrement dévastateur sur les démunis et les marginalisés.

[Français]

Raison numéro 9 : le projet de loi ne rendra pas les délinquants responsables envers les victimes. Il ne fait pas la promotion de programmes comme celui de la justice réparatrice. Catherine Latimer, de la Société John Howard du Canada, a déclaré ce qui suit :

De nombreux programmes, comme celui de justice réparatrice, réussissent à sensibiliser les contrevenants aux répercussions de leurs crimes sur les victimes, à aider ces dernières et à réduire les cas de récidive. Il est peu probable qu’une suramende réussisse en soi à responsabiliser les contrevenants à l’égard de leurs victimes. Elle n’a aucun lien avec l’importance du tort subi par la victime. En fait, ces suramendes sont appliquées dans le cas de crimes qui ne font pas de victime, quand un contrevenant se cause du tort à lui- même en consommant de la drogue, par exemple.

S’il n’y a pas de lien entre la suramende et la situation de la victime, le contrevenant ne sera pas davantage responsabilisé à l’égard de sa victime. Il pourrait n’en être que plus cynique, ce qui est contraire à l’intention établie de la politique.

[Traduction]

Raison numéro 10 : Le projet de loi ne respecte pas le principe Gladue qui, selon la Cour suprême du Canada…

Son Honneur le Président : La sénatrice est arrivée à la fin de ses 15 minutes. Demande-t-elle plus de temps?

La sénatrice Jaffer : Puis-je avoir cinq minutes de plus?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Jaffer : Le projet de loi ne respecte pas le principe Gladue qui, selon la Cour suprême du Canada, doit absolument être pris en compte lorsqu’on détermine la peine à imposer à une personne autochtone. Comme l’a affirmé le ministre Nicholson : « Le projet de loi vise toute personne condamnée d’un acte criminel au Canada. »

Honorables sénateurs, la semaine dernière, j’ai rencontré un être remarquable, M. William Sundhu. M. Sundhu a pratiqué le droit en Colombie-Britannique pendant 30 ans. Il est juge à la retraite et membre du Kellogg College à l’Université d’Oxford. Il s’est distingué tout au long de sa carrière dans les domaines du droit criminel, des droits de l’homme et du leadership communautaire en Colombie-Britannique. Il a principalement travaillé en droit criminel dans les tribunaux de première instance, et a notamment passé 11 ans à la magistrature, au centre et au Nord de la Colombie- Britannique. Il a exprimé son opinion sur l’incidence qu’aurait le projet de loi C-37 sur certains Autochtones au Canada. Il a écrit ceci :

Bon nombre de ceux qui font l’objet de poursuites pénales vivent dans la pauvreté, sont toxicomanes ou handicapés. Il leur arrive d’avoir des besoins en matière de santé mentale, d’être atteints du syndrome d’alcoolisation fœtale, mais en grande partie, ce sont des Autochtones, groupe très surreprésenté au sein de la population carcérale au Canada.

(1540)

Certains groupes raciaux sont également surreprésentés dans notre système de justice pénale.

Le projet de loi C-37 ne fait qu’exacerber la criminalisation et les importants défis que doivent relever ces groupes parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer la suramende obligatoire.

Certaines provinces n’offrent pas de mode facultatif de paiement des amendes.

Par conséquent, le mandat de dépôt est en général la seule solution.

Dans les collectivités distantes et isolées, il faut parfois attendre des semaines avant que le tribunal siège ou parcourir des centaines de kilomètres et se rendre dans une plus grande ville.

En cas d’arrestation pour non-paiement, une personne peut être détenue pendant plusieurs jours avant de pouvoir comparaître devant un juge et demander une remise en liberté sous caution.

M. Sundhu a ajouté ce qui suit :

Non seulement ce genre de situation coûte très cher et paralyse la bureaucratie, mais elle peut entraîner d’importantes conséquences pour les personnes touchées — comme perturber la vie des enfants ou entraîner leur placement dans le cas de parents vivant seuls, car leur unique gardien a été arrêté, a perdu sa maison, a perdu son travail et n’est plus en mesure d’aller chasser et pêcher pour nourrir sa famille.

Si, par exemple, une personne est arrêtée à Haida Gwaii, le shérif prendra l’avion à Prince Rupert, sur le continent, pour venir la chercher, la ramener par avion à Prince Rupert et la transporter ensuite 800 kilomètres jusqu’à Prince George, où se trouve la prison provinciale la plus proche, si la personne s’est vue refuser la liberté sous caution ou doit être emprisonnée.

Une fois libérée, la personne doit retourner à Prince Rupert et prendre le traversier qui dessert Haida Gwaii deux fois par semaine.

Cette personne, souvent une femme, doit emprunter la « route des pleurs », sur laquelle beaucoup de femmes autochtones ont disparu au fil des ans, pour retourner dans sa réserve.

Les mandats de dépôt peuvent avoir des conséquences désastreuses.

« Faites-nous confiance » ne sont pas des paroles qui inspirent les Autochtones du Canada, et l’histoire leur donne raison.

Certains experts en matière de justice pénale pourraient aussi remettre en question la sagesse du mode facultatif de paiement des amendes.

Même lorsqu’il existe, il peut être trop difficile, pour une personne atteinte d’une maladie mentale ou pour un chef de famille monoparentale autochtone qui a du mal à se maintenir à flot, de se prévaloir d’un tel programme. Par exemple, il se peut que cette personne soit handicapée, qu’elle soit aux prises avec une dépendance, qu’elle tente de trouver un logement convenable, qu’elle soit analphabète, qu’elle ait des difficultés linguistiques ou qu’elle suive des programmes de counselling et de traitement.

Pour plusieurs personnes se trouvant dans cette situation, la vie quotidienne est déjà tout un défi.

Il se peut que l’élimination du pouvoir discrétionnaire de dispenser la personne de la suramende compensatoire aux victimes force certains à choisir entre l’achat d’aliments et le versement de l’amende — s’il y va de leur propre survie ou de celle de leur famille.

Ces personnes veilleront-elles à ce que leurs enfants puissent manger ou paieront-elles la suramende obligatoire afin d’éviter de faire l’objet de sanctions supplémentaires ou d’être arrêtées?

Par exemple, dans l’archipel Haida Gwaii, situé dans le nord-ouest de la Colombie-Britannique, certains Autochtones doivent se débrouiller avec une aide gouvernementale au revenu de seulement 265 $ par mois, après avoir touché une maigre allocation de logement.

Comme il s’agit d’un chapelet d’îles isolées sur le plan géographique, les aliments coûtent très cher en raison des coûts de transport.

Par exemple, un carton de deux litres de jus d’orange coûte 7,59 $.

La plupart des gens vivent de la chasse et de la pêche.

La pauvreté et la pénurie d’emplois sont des problèmes bien réels.

En obligeant le chef d’une famille monoparentale — ou même d’une famille ayant deux parents, si elle vit dans la pauvreté — à payer une suramende, on plongera cette famille dans la faim et dans une situation encore plus terrible.

Ce projet de loi entraînera de nombreux problèmes et de multiples coûts pour les personnes et les familles autochtones, pauvres et vulnérables.

Il va causer des torts extrêmement graves et il est injuste.

Il faudra choisir entre des denrées alimentaires ou une amende, une paire de bottes pour un enfant ou une amende, et ainsi de suite. Une somme de 100 $ ne signifie peut-être pas grand-chose pour certains Canadiens ou les législateurs, mais c’est un montant énorme pour une personne pauvre ou un parent autochtone qui vit dans l’archipel Haida Gwaii.

Honorables sénateurs, l’objectif du projet de loi C-37 n’est pas de rendre justice. Il vise à distribuer de façon arbitraire des sanctions disproportionnées. L’équité et l’uniformité ne sont pas des concepts interchangeables. Si nous adoptons ce projet de loi, nous repoussons les notions de compassion, de proportionnalité, de justice réparatrice, de bon sens et d’équité.

Ce projet de loi est vraiment mauvais et je demande aux sénateurs de s’y opposer.

Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : L’honorable sénateur Boisvenu, avec l’appui de l’honorable sénateur Meredith, propose que le projet de loi C-37, Loi modifiant le Code criminel, soit lu pour la troisième fois.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Des voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée avec dissidence et le projet de loi est lu pour la troisième fois.)