1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 161

Le mercredi 8 mai 2013
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Plett, appuyée par l’honorable sénateur Tannas, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-309, Loi modifiant le Code criminel (dissimulation d’identité).

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-309, Loi modifiant le Code criminel (dissimulation d’identité). Le projet de loi C-309 modifie les articles 65 et 66 du Code criminel en créant deux nouvelles infractions en matière de « dissimulation d’identité ».

En vertu du paragraphe 65(2), il sera interdit de prendre part à une émeute en « portant un masque ou autre déguisement dans le but de dissimuler son identité sans excuse légitime ». Cette infraction sera punissable par voie de mise en accusation et son auteur sera passible d’une peine maximale de 10 ans d’emprisonnement.

En vertu du paragraphe 66(2), il sera interdit de participer à un attroupement illégal en « portant un masque ou autre déguisement dans le but de dissimuler son identité sans excuse légitime ». Cette infraction sera considérée comme hybride, et son auteur sera passible d’une peine de cinq ans d’emprisonnement s’il fait l’objet d’une mise en accusation.

Si l’auteur fait l’objet d’une déclaration sommaire de culpabilité, il sera passible d’une amende maximale de 5 000 $, d’une peine maximale de six mois d’emprisonnement ou des deux.

Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a entendu des témoignages convaincants de la part d’experts juridiques sur le projet de loi C- 309. Par exemple, la Criminal Lawyers’ Association a déclaré qu’elle ne pouvait appuyer le projet de loi C-309 parce qu’elle estime :

« […] qu’il n’est pas nécessaire, qu’il n’est pas modéré ou restreint, qu’il soulève des problèmes constitutionnels et qu’il risque de se prêter à des abus ».

Honorables sénateurs, je vais aborder aujourd’hui les trois principales préoccupations soulevées par les témoins entendus par le comité. Premièrement, le projet de loi C-309 est inconstitutionnel; deuxièmement, le projet de loi C-309 est redondant; troisièmement, le projet de loi C-309 est inefficace pour assurer la sécurité publique et promouvoir la justice.

Honorables sénateurs, plusieurs témoins ont présenté des arguments solides selon lesquels le projet de loi C-309 pourrait compromettre certaines libertés fondamentales garanties par l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés, c’est-à- dire la liberté de religion, la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique. Dans son énoncé d’arguments de droit, un représentant de la Criminal Lawyers’ Association, M. Michael Spratt, a déclaré ce qui suit :

[…] que ce texte risque d’avoir des effets secondaires délétères et potentiellement dangereux sur les gens qui n’ont pas de mens rea et qui ont une excuse légitime. Ils risquent en effet, avec ce projet de loi, d’être arrêtés, poursuivis et privés des libertés garanties par la Charte, alors que ce n’était pas le cas avant.

M. Ryan Clements, qui représente le Conseil canadien des avocats de la défense, a parlé au comité des inquiétudes suscitées par les effets que ce texte aura sur la liberté. Voici ce qu’il a déclaré :

Je pars du principe qu’il vaut toujours mieux que la loi soit claire. Je pars du principe qu’il vaut mieux éviter d’avoir des lois qui risquent d’ouvrir la porte à des contestations constitutionnelles. J’estime que ce texte suscite déjà assez d’inquiétudes quant aux effets qu’il aura sur le droit d’expression et la liberté de réunion, et quant à la façon dont il sera appliqué sur le terrain.

Dans une lettre qu’il a adressée aux membres de notre comité et datée du 6 février 2013, le président de la Section nationale du droit pénal de l’Association du Barreau canadien, Dan MacRury, a écrit ceci :

Il existe un risque que les infractions proposées par le projet de loi C-309 soient invoquées à mauvais escient à l’encontre d’un groupe de personnes (une réunion de trois individus ou plus) de telle sorte à entraver des manifestants légitimes qui souhaitent rester anonymes.

Honorables sénateurs, certaines préoccupations soulevées par les témoins découlent d’un aspect que j’ai abordé à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi. Comme je l’ai dit au début de mon intervention aujourd’hui, le projet de loi, qui propose deux infractions, comprend le qualificatif « sans excuse légitime ». Or, une question demeure toujours sans réponse : qu’est-ce qui constitue une excuse légitime?

Le professeur Stribopoulos, de la faculté de droit Osgoode Hall, qui représente l’Association canadienne des libertés civiles, a présenté quelques idées au comité :

Par exemple, un manifestant pourrait vouloir porter un masque ou un costume qui couvre son visage afin d’exprimer une forme de satire politique. De plus, une personne qui participe à une manifestation qui se déroule au Canada, mais qui porte sur des événements qui se produisent dans son pays d’origine — par exemple, une manifestation contre le gouvernement de ce pays devant son ambassade ou son consulat au Canada —, pourrait avoir l’excuse légitime de vouloir dissimuler son identité parce qu’il craint les représailles contre sa famille et ses amis qui vivent toujours à l’étranger. D’autres personnes pourraient vouloir couvrir leur visage pour des raisons religieuses. Chacun de ces exemples est tout à fait légitime, et aucun d’entre eux ne soulève de préoccupation en matière de sécurité publique. Chaque exemple est également protégé, sur le plan constitutionnel, par la Charte canadienne des droits et libertés. Dans les deux premiers exemples, je fais évidemment référence à la liberté d’expression, et dans le dernier exemple, je parle de liberté de religion.

Parmi les exemples fournis par M. Stribopoulos et les autres témoins, aucun ne donne une définition juridique de ce qui constitue une excuse légitime.

Pour ce qui est de déterminer si ce projet de loi limiterait injustement les libertés de religion, d’expression ou de réunion, nous ne disposons que d’une interprétation subjective, que ni la mesure législative ni les dispositions actuelles du Code criminel ne viennent éclairer. C’est particulièrement troublant, honorables sénateurs, parce que ce ne sont pas les juges et les avocats qui interpréteront cette expression dangereusement ambiguë en fonction d’un contexte précis. Comme M. Stribopoulos l’a expliqué au comité, il reviendra généralement aux policiers sur le terrain de décider ce qui constitue une excuse légitime. Il a souligné ceci :

De plus, comme on l’a vu lors du Sommet du G20 à Toronto, au bout du compte, les cas des personnes arrêtées sans motif valable ne se rendent pas devant les tribunaux.

Par exemple, les policiers ont arrêté 1 105 personnes pendant le sommet du G20 à Toronto. Pourtant, seulement 321 de ces personnes ont été accusées devant les tribunaux et, parmi celles-ci, les accusations de 204 personnes ont été suspendues, retirées ou abandonnées.

Autrement dit, dans la plupart des cas, ce sont les policiers sur le terrain qui décideront ce qui constitue une « excuse légitime ». Étant donné les droits constitutionnels qui sont en jeu dans ce contexte, et l’effet potentiellement dissuasif en ce qui concerne certains droits démocratiques précieux tels la liberté d’expression et la liberté de religion, ce ne sont pas des décisions qui devraient être laissées à la discrétion des policiers.

Pourquoi est-ce si important, honorables sénateurs? Comme l’a écrit M. MacRury, de l’Association du Barreau canadien, dans un courriel au comité :

Les droits de manifester et de participer à des rassemblements légaux sont des aspects fondamentaux de nos droits constitutionnels et démocratiques.

Nous nous inquiétons de ce que [le] projet de loi [C-309] risque de créer l’impression que certaines formes de manifestation pacifique ou de rassemblement légal sont criminalisées.

Paul Champ, un représentant de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, a exprimé des préoccupations semblables lorsqu’il a dit :

[…] le projet de loi C-309 porte atteinte à l’une de nos libertés les plus fondamentales : la liberté de réunion. Ce projet de loi est disproportionné et inutile pour apaiser les craintes exprimées. Toute personne qui commet un crime peut et doit être poursuivie, je suis totalement d’accord. Ce projet de loi n’y changera rien du tout. Il jettera plutôt un froid sur la libre expression […]

Je tiens à ajouter, honorables sénateurs, que l’ambiguïté de l’expression « excuse légitime » risque de faire basculer le fardeau de la preuve sur l’accusé, ce qui contreviendrait à l’alinéa 11c) de la Charte, qui dispose que tout inculpé a le droit « de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même dans toute poursuite intentée contre lui pour l’infraction qu’on lui reproche ».

Les experts juridiques qui se sont adressés au comité ont rendu des témoignages qui contestent très sérieusement la validité constitutionnelle du projet de loi.

Nous avons le devoir, honorables sénateurs, de veiller à ce que les lois que nous approuvons ne portent pas atteinte aux droits suprêmes garantis à tous les Canadiens.

Cependant, les questions d’ordre juridique que soulève le projet de loi C-309 dépassent celle du respect de la Charte canadienne des droits et libertés.

Le professeur Stribopoulos l’a résumé dans son témoignage devant le comité :

La validité constitutionnelle ne doit pas être l’alpha et l’oméga de cette discussion.

C’en est le point de départ.

Du point de vue de la réforme du droit pénal, nous devrions aspirer à plus que d’obtenir que ce projet de loi soit constitutionnel.

Il s’agit de savoir si c’est une bonne politique gouvernementale et, selon moi, pour les raisons que M. Champ et moi-même avons exprimées, ce n’est pas le cas.

Il ne résout de problème réel, et c’est ce dont il faut se souvenir.

Qu’un projet de loi soit constitutionnel n’en fait pas une bonne loi, et, compte tenu de son effet paralysant potentiel, même si cela ne va pas jusqu’à l’infirmité constitutionnelle, c’est quelque chose qui doit vous inquiéter, parce que nous ne voulons pas paralyser la dissension politique dans ce pays.

Nous sommes au Canada, que diable!

Nous voulons encourager la discussion politique et la contestation.

Honorables sénateurs, je retiens trois idées maîtresses du témoignage de M. Stribopoulos. Premièrement, le terme « excuse légitime » est ambigu et pourrait renverser le fardeau de la preuve. Le projet de loi C-309 servirait donc à restreindre indûment des libertés fondamentales, ce qui contreviendrait à notre Constitution.

Voilà la première base de référence définie par M. Stribopoulos et d’autres témoins pour une mesure législative.

En second lieu, le projet de loi pourrait jeter un froid — une notion qui est revenue dans plusieurs témoignages —, ce qui est contraire à l’esprit de la Constitution. La Charte des droits et libertés ne vise pas uniquement à protéger la liberté, mais aussi à la promouvoir. Le projet de loi C-309 ne favorise pas la contestation politique et la dissidence légitimes.

Troisièmement. M. Stribopoulos demande si le projet de loi C-309 va dans le sens de l’intérêt public, s’il résout des problèmes réels et s’il atteint l’objectif ciblé.

Honorables sénateurs, dans la présentation de mes deux prochains arguments — à savoir que, premièrement, le projet de loi C-309 est superflu et, deuxièmement, il est inefficace —, je tâcherai de répondre à ces questions.

Pour ce qui est du caractère superflu, voici ce qu’a dit M. Spratt, de la Criminal Lawyers’ Association :

Les manifestations dont vous parlez — Vancouver, Toronto et Montréal — ont tourné à l’émeute, ce qui constitue un acte criminel. Le fait de participer, avec le visage masqué, à ce genre de manifestation constitue un acte criminel qui relève du paragraphe 351(2). Le projet de loi n’ajoute rien à ça. Rien, absolument rien. L’article du Code criminel est suffisant. Le fait de dire deux fois la même chose ne facilite aucunement la solution du problème.

À l’étape de la troisième lecture, le sénateur Plett a indiqué que la police n’avait pas le pouvoir d’arrêter des personnes prenant part à un attroupement illégal tout en dissimulant leur identité. Il a qualifié ce problème de « lacune que comble ce projet de loi ». Honorables sénateurs, voici ce que dit l’article 66 du Code criminel :

Est coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque participe à un attroupement illégal.

Les policiers ont le pouvoir d’arrêter les personnes qui prennent part à un attroupement illégal, peu importe qu’elles dissimulent leur identité ou non.

Le sénateur Plett a également indiqué ceci :

Le projet de loi C-309 permettra aux policiers de prévenir plutôt que de réagir en cas d’émeutes ou d’attroupements illégaux.

Honorables sénateurs, en tout respect, il s’agit d’une fausse représentation des modifications que l’on nous propose d’apporter au Code criminel. Pour qu’il y ait infraction en vertu des dispositions envisagées, il faudrait que la personne dissimule son identité pendant qu’elle participe à une émeute ou un attroupement illégal, et non avant. Comme le sénateur Plett l’a souligné à l’étape de la troisième lecture, le sénateur Baker et le sénateur Joyal ont examiné cette question au cours des audiences du comité.

Cependant, en tout respect, honorables sénateurs, les sénateurs Baker et Joyal n’ont pas souligné « que, en vertu de la nouvelle loi, les policiers auront le pouvoir d’effectuer des arrestations préventives », pour reprendre les mots du sénateur Plett. Le sénateur Baker a souligné que le projet de loi permettrait à la police d’inculper une personne qui participe à une manifestation illégale d’une infraction hybride, plutôt que d’une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité. Comme l’a indiqué le sénateur Baker, toute personne arrêtée pour avoir commis une infraction hybride se verra automatiquement photographiée, on prélèvera ses empreintes digitales et divers autres renseignements à son sujet seront consignés. Cependant, le sénateur Baker a souligné que, si la personne n’est déclarée coupable d’aucune infraction punissable par mise en accusation, elle pourra demander que soient effacées ses empreintes digitales et ses photographies.

Le sénateur Joyal a souligné que le projet de loi renversait le fardeau de la preuve, ce qui pose problème, et qu’une personne qui porte un masque pendant un attroupement légal qui devient par la suite illégal devra, simplement parce qu’elle se trouve là, expliquer pourquoi elle devrait avoir le droit de porter son masque. Le projet de loi ne change pas de façon fondamentale les pouvoirs d’arrestation que les policiers ont avant qu’une émeute commence.

Selon l’article 63 du Code criminel, un attroupement illégal est la réunion de trois individus ou plus qui s’assemblent ou se conduisent de manière à faire craindre à des personnes se trouvant dans le voisinage de l’attroupement qu’ils ne troublent la paix tumultueusement. Autrement dit, honorables sénateurs, l’attroupement illégal précède l’émeute. Selon l’article 64, une « émeute est un attroupement illégal qui a commencé à troubler la paix tumultueusement ».

L’article 63 du Code criminel prévoit donc, honorables sénateurs, qu’un individu peut être accusé de participer à un attroupement illégal avant que l’attroupement se change en émeute. Il n’est pas nécessaire d’adopter le projet de loi C-309 pour donner ce pouvoir à la police; il le possède déjà.

L’effet qu’aurait l’adoption d’une mesure législative redondante pourrait en fait empirer les choses, selon le professeur Stribopoulos. Voici ce qu’il a dit dans son témoignage :

[…] le fait d’avoir deux dispositions du Code criminel qui se chevauchent n’aide pas à régler le problème des émeutiers qui portent un masque pour dissimuler leur identité. En même temps, cela crée des problèmes. Par exemple, les agents de la paix sur le terrain se demanderont quelle infraction est en jeu. Si l’on peut se fier aux précédents, ils choisiront les deux infractions, et ce type de confusion pose des problèmes à l’ensemble du système judiciaire, c’est-à-dire aux services de police, aux services de poursuites judiciaires et aux tribunaux. La suraccusation est directement liée aux retards qui ralentissent déjà notre système de justice pénale, et cela n’améliorera pas la situation, bien au contraire.

Honorables sénateurs, j’en viens à mon propos final : le projet de loi C-309 est inefficace. Je cite M. Spratt :

La raison évidente pour laquelle si peu de gens ont été identifiés aux manifestations du G20 à Toronto et dans les émeutes de Vancouver est que certains d’entre eux portaient des masques, ce qui compliquait la tâche de les identifier. Le problème c’est que le projet de loi ne règle pas ce problème.

Ce projet de loi rend doublement illégal ce qui est déjà illégal et qui n’a pas dissuadé les intéressés. Ce projet de loi ne donnera pas aux caméras le super pouvoir de voir à travers les masques, et ne règle pas le problème de l’identification.

M. Spratt a rappelé, une fois de plus, qu’une loi redondante ne permettra pas d’identifier qui que ce soit ni d’empêcher le comportement incriminé.

M. Clements, du Conseil canadien des avocats de la défense, a fait écho à ce propos. Je le cite :

Il n’y a aucune chance que ce projet de loi ait un effet sur ceux qui décident de participer à une émeute dans ces circonstances exceptionnelles en dissimulant leur identité.

M. Champ, de l’Association des libertés civiles de la Colombie- Britannique, s’est également exprimé au sujet du pouvoir dissuasif du projet de loi. Il a dit ce qui suit :

La question de savoir si ceux qui participent par ailleurs à des activités illicites seraient dissuadés se pose effectivement. La réponse est, selon moi, que non. Ceux qui prévoient de descendre dans la rue et de participer à une émeute en portant un masque — ce qui semble avoir été le cas dans les émeutes de Vancouver et du petit nombre de Black Blocs décidés à briser des vitrines et à brûler des voitures de police au cours du G20 — ne seront pas dissuadés par ces dispositions.

Cela ne changera strictement rien. C’est précisément la raison du port du masque. Ils descendent dans la rue dans l’intention de commettre un crime. Notre inquiétude concerne ceux qui ont l’intention de descendre dans la rue pour y manifester pacifiquement.

Honorables sénateurs, ce projet de loi laisse à désirer à plusieurs égards : il menace les libertés fondamentales; il reprend des dispositions du Code criminel; enfin, il ne porte pas sur l’objectif de politique publique réel, qui est de promouvoir les manifestations pacifiques tout en protégeant le public des émeutiers et des autres personnes qui se réunissent illégalement.

Notre volonté désespérée de résoudre les problèmes nous amène trop souvent à avoir recours aux lois. Nous vivons malheureusement à une époque où on abuse des lois. On risque d’en adopter qui ont pour objectif de remédier à un problème, mais qui, en réalité, contribuent bien peu à le régler. On risque encore davantage d’adopter des mesures qui n’atteignent pas l’objectif visé et engendrent plutôt de nouveaux problèmes.

De plus, la mesure qui interdit de dissimuler son identité pour commettre un acte criminel existe déjà dans le Code criminel.

Honorables sénateurs, les réflexions des experts juridiques qui se sont adressés au comité montrent bien que le projet de loi C-309 fait partie de cette deuxième catégorie. Non seulement il est parfaitement inutile, mais il est extrêmement nocif. Il se peut que ce projet de loi soit contraire à la Charte, qu’il soit redondant et qu’il décourage les manifestations pacifiques, et non les émeutes.

Le projet de loi C-309, comme son titre subsidiaire l’explicite ambitieusement, n’empêchera pas des émeutiers de dissimuler leur identité, mais il portera gravement atteinte à notre culture démocratique tout en alourdissant un système de justice déjà encombré. Au lieu de régler un problème, il en crée d’autres.

J’invite instamment tous les sénateurs à examiner attentivement les répercussions préjudiciables que le projet de loi C-309 aura, s’il est adopté, sur la liberté, la justice et la sécurité au Canada.

L’honorable Donald Neil Plett : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Jaffer : Oui.

Le sénateur Plett : Merci. La sénatrice Jaffer a tiré certaines citations du discours que j’ai prononcé, et je ne suis pas sûr qu’elle en a déduit que je laissais entendre que le sénateur Joyal ou le sénateur Baker appuyait ce projet de loi; ce n’est certainement pas le cas, et cela n’a jamais été mon intention.

Les sénateurs se souviendront que, lors des audiences du comité, ce sont les avocats de la défense qui semblaient s’opposer au projet de loi, alors que les forces de l’ordre l’appuyaient. D’ailleurs, le chef Chu a dit très clairement qu’on aurait prévenu bon nombre des actes criminels commis lors des émeutes de Vancouver si la loi avait été en place.

J’aimerais citer le sénateur Baker et demander à la sénatrice Jaffer ce qu’elle en pense. Je sais qu’elle en a parlé dans son discours, mais je tiens à ce que ce soit consigné au compte rendu.

Le 18 avril, le sénateur Baker, qui interrogeait le chef Chu, un témoin de Vancouver, a dit ceci :

S’il y a une chose que vous avez voulu nous faire comprendre aujourd’hui, c’est que le projet de loi n’est pas totalement inutile du fait de sa redondance.

Cela vient d’un sénateur du côté de la sénatrice Jaffer.

Ainsi, vous nous avez signalé très judicieusement que l’on pourrait peut-être désormais prendre les empreintes digitales et la photo d’un individu qui ne serait éventuellement accusé que par voie sommaire. Comme vous nous l’avez bien dit…

— je rappelle qu’il s’agit du chef Chu —

… il devra automatiquement se prêter à la prise des empreintes digitales, à la photographie et à différentes autres mesures, parce qu’on considérera qu’il ne s’agit plus d’un délit mineur, mais bien d’une infraction criminelle.

Comme je l’ai dit, le sénateur Baker soutient que ce n’est pas complètement redondant. Qu’en pense la sénatrice?

La sénatrice Jaffer : Je remercie le sénateur Plett de sa question. Je tiens également à le remercier de s’être joint au comité. Je l’invite à revenir au Comité des affaires juridiques, où sa présence a été appréciée. Je remercie le sénateur de son travail à l’égard de ce projet de loi.

Le sénateur a déclaré que les sénateurs Baker et Joyal n’appuient pas ce projet de loi et je n’ai jamais dit le contraire. Je suis très bien placée pour savoir qu’ils ne l’appuient pas.

Dans son discours, le sénateur a déclaré que les avocats de la défense et le législateur adoptent des positions divergentes. J’avoue, en toute honnêteté, que j’ai passé toute la nuit à me demander si je devrais ou non interpeller le sénateur à ce sujet. Je l’apprécie beaucoup et, par conséquent, j’avais décidé de m’abstenir. Or, je n’ai maintenant plus d’autre choix que de lui répondre.

Honorables sénateurs, j’exerce le métier d’avocate depuis 40 ans, et je suis très fière d’être avocate de la défense. Durant ma carrière, j’ai rencontré beaucoup de gens inculpés à tort et j’ai fièrement défendu bon nombre d’accusés parce que l’État n’a pas toujours raison. Les avocats de la défense qui sont venus témoigner au comité sont confrontés à cette réalité au quotidien et, à mon avis, ces avocats, qui acceptent de venir témoigner de leur plein gré, rendent un grand service à l’État lorsqu’ils attirent notre attention sur les erreurs que nous risquons de commettre. Je suis fière du travail qu’accomplissent les avocats de la défense au nom des Canadiens lorsqu’ils viennent témoigner au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Pour ce qui est des législateurs, je n’en connais pas un qui refuserait d’ajouter à sa boîte à outils un nouvel outil afin d’être mieux équipé. Toutefois, le sénateur sait, car il est plombier de profession, que ce n’est pas parce qu’on a plus d’outils qu’on fera du bon travail. On risque plutôt de ne plus savoir quel outil utiliser. C’est ce que le projet de loi fera.

Honorables sénateurs, ce n’est pas le nombre d’outils qui importe. Je suis convaincue que si le sénateur Plett m’apprenait la plomberie, il utiliserait les outils qu’il utilise depuis 30 ans, parce qu’ils ont fait leurs preuves. À mon humble avis, ce n’est pas le nombre d’outils qui importe. Je félicite d’ailleurs les avocats de la défense qui viennent témoigner sur une base volontaire et qui font régulièrement valoir le point de vue des personnes les plus marginalisées de notre pays.

Le sénateur Baker a dit cela, j’en conviens. Dans mon discours, j’ai dit que le sénateur Baker — qui est notre collègue à tous — considère que le projet de loi n’est pas inutile. Avec tout le respect que je lui dois, je ne suis pas de son avis. Il est membre du Comité des affaires juridiques. S’il veut nous donner des précisions, je suis persuadée qu’il le fera.

Je tiens à dire au sénateur Plett que j’ai bien aimé travailler avec lui sur ce projet de loi.

Le sénateur Plett : Je sais que si je prends la parole, je suis censé poser une question à un moment donné. Je vais tenter de le faire dans mon intervention, mais tout d’abord, j’aimerais également remercier la sénatrice Jaffer. J’ai aimé le temps que j’ai passé au comité. Il me tarde de parrainer une autre mesure législative qui, je l’espère, sera renvoyée au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, ce qui me permettra de participer de nouveau aux travaux du comité.

Je la remercie de son compliment : elle reconnaît que je suis plombier professionnel. J’ai une clé à molette, une pince-étau, une clé à tuyau, mais j’ai aussi besoin d’une clé anglaise pour faire mon travail convenablement. Je peux donc faire un meilleur travail lorsque je dispose d’un plus grand nombre d’outils. Honorables sénateurs, je vais en rester là, sans poser d’autres questions, et je remercie sincèrement la sénatrice.

(Sur la motion de la sénatrice Tardif, au nom du sénateur Joyal, le débat est ajourné.)