1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 178

Le jeudi 20 juin 2013
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Le chômage chez les jeunes

Interpellation—Suite du débat

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je souhaite aujourd’hui porter à votre attention le problème du chômage chez les jeunes, qui touche l’ensemble du pays. Mon discours portera surtout sur les Canadiens victimes de discrimination raciale. Tout d’abord, je tiens à remercier la sénatrice Callbeck d’avoir attiré l’attention du Sénat sur la nécessité de s’attaquer au taux élevé de chômage chez les jeunes du Canada, taux qui est systématiquement élevé depuis plus de deux ans.

Les sénateurs savent que, depuis deux ans, le taux de chômage chez les jeunes se maintient à 14 p. 100, soit le double de la moyenne nationale. Selon un rapport rédigé par le Wellesley Institute, intitulé Canada’s Colour Coded Labour Market, les Canadiens victimes de discrimination raciale ne gagnent que 81,4 cents pour chaque dollar payé aux autres Canadiens. Cette donnée varie selon les différents groupes de personnes victimes de discrimination raciale.

Ceux qui s’identifient comme Noirs gagnent 75,6 cents pour chaque dollar que gagne un travailleur non touché par la discrimination raciale, ce qui représente un écart de 9 101 $ au chapitre des gains annuels. Ceux qui s’identifient comme Chinois gagnent 89 cents pour chaque dollar. Le taux de pauvreté chez les familles victimes de discrimination raciale est trois fois plus élevé que chez les autres familles. Pour les Canadiens les plus démunis, cette situation a une grave incidence sur les risques liés à la santé.

En fait, de plus en plus d’études établissent un lien entre le chômage, le sous-emploi, l’insécurité et les problèmes de santé. Je cite Yogendra Shakya, un chercheur chevronné de l’Access Alliance :

Bien que les immigrants et l’immigration soient le cœur et l’âme du pays, on constate que, outre le sexe, les principaux facteurs d’inégalité au Canada sont la race et le statut d’immigrant.

Statistique Canada a révélé que, l’année dernière, le taux de chômage était 2,4 fois plus élevé chez les jeunes que chez les travailleurs âgés entre 25 et 54 ans, ce qui représente un écart sans précédent depuis 1977. Encore une fois, les données varient selon certains groupes victimes de discrimination raciale. À Toronto, le taux de chômage chez l’ensemble des jeunes était de 19,6 p. 100, comparativement à un taux de 38 p. 100 chez les jeunes d’origine africaine et de race noire. Il faut combattre ce grave problème, puisque le chômage chez les jeunes fait partie d’une foule de facteurs ayant des conséquences négatives.

On peut établir un lien entre le taux élevé de chômage chez les jeunes et le taux d’homicide parmi les jeunes hommes noirs de Toronto. D’après la Revue canadienne de santé publique, il existe un lien entre la criminalité et l’isolement social, les taux de chômage perpétuellement élevés et la concentration de la pauvreté. Par ailleurs, le Centre national de prévention du crime note, à propos de la composition des gangs de rue au Canada, que 48 p. 100 des membres ont moins de 18 ans.

Le taux d’homicides élevé que connaît la population noire de Toronto peut avoir été causé et perpétué par la présence simultanée de plusieurs déterminants de la santé, parmi lesquels l’appartenance à une minorité raciale, le stress lié au racisme et la pauvreté profonde. Quand on regarde la composition ethnique des gangs du Canada, on constate que les Canadiens d’origine africaine représentent 38 p. 100 des membres, alors que les Premières Nations arrivent en deuxième place avec 22 p. 100.

Plusieurs raisons amènent les jeunes Canadiens à devenir membres d’un gang. Ceux qui viennent d’un milieu défavorisé peuvent être séduits par la promesse de richesse matérielle. Le chômage, l’appartenance aux gangs et les homicides contribuent au taux d’emprisonnement des jeunes Noirs. D’après un article publié en 2011 dans le Toronto Star, les jeunes hommes noirs représentent 5 p. 100 de tous les jeunes hommes de l’Ontario mais 24 p. 100 de ceux qui sont emprisonnés. Ils sont donc près de cinq fois plus représentés dans les prisons que dans la population générale.

Ces taux élevés de participation à des gangs et d’emprisonnement résultent d’une myriade de problèmes sociaux : chômage, pauvreté, situations familiales difficiles, faible scolarité, problèmes de santé mentale non traités, et ainsi de suite. Un jeune aux prises avec plusieurs difficultés de ce genre peut se retrouver marginalisé et croire que la criminalité est la seule voie de réussite qui s’offre à lui.

Toronto a connu, l’été dernier, la pire fusillade de son histoire. À la suite de cette tragédie, le gouvernement de l’Ontario a revu son plan d’action visant à régler les causes de la violence chez les jeunes. Le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse a publié un rapport intitulé Examen des causes de la violence chez les jeunes, qui explique que les jeunes des milieux défavorisés sont aux prises avec une diversité d’obstacles, qui vont de la difficulté à trouver un moyen de transport pour se rendre à une entrevue jusqu’au racisme institutionnalisé et à d’autres obstacles complexes.

Le rapport intitulé Examen des causes de la violence chez les jeunes souligne aussi que de nombreux jeunes se sentent frustrés et en colère parce qu’ils n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Ces facteurs, entre autres, combinés à l’importance qu’accorde notre société au succès financier et aux biens matériels, peuvent entraîner de graves conséquences sur l’estime de soi, ainsi que sur les sentiments d’appartenance et d’espoir quant à l’avenir.

(1750)

Honorables sénateurs, les investissements dans les familles, l’éducation, des collectivités saines et des débouchés pour les jeunes Canadiens susciteront un changement positif à l’échelle du pays. Ces investissements coûtent moins cher que les soins de santé, les services policiers et les services correctionnels. Les jeunes du Canada représentent l’avenir et nous devons leur rendre justice en leur donnant des occasions d’apprendre, de réussir et de travailler où ils pourront s’épanouir.

(Sur la motion de la sénatrice Fraser, le débat est ajourné.)