2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 34

Le mardi 11 février 2014
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

La Loi réglementant certaines drogues et autres substances
Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Jaffer, appuyée par l’honorable sénatrice Ringuette, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-203, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et le Code criminel (traitement en santé mentale).

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, comme je l’ai indiqué un peu plus tôt, lorsque nous avons été saisis du projet de loi C-10, j’avais proposé un amendement. Aujourd’hui, il s’agit du projet de loi S-203 et j’espère que vous l’appuierez tous.

Honorables sénateurs, au cours des derniers mois, j’ai eu le plaisir de correspondre par courriel avec nombre de Canadiens au sujet des soins en santé mentale offerts aux délinquants. Je voulais mieux connaître leurs préoccupations, leur vécu et leurs idées sur la façon de promouvoir les droits de la personne et d’assurer la sécurité à long terme de l’ensemble de la population.

Un des courriels que j’ai reçus provient de Sheila Pratt, de Maple Ridge, en Colombie-Britannique, qui a enseigné au primaire pendant une trentaine d’années. Voici ce qu’elle m’a écrit :

Au cours de l’année scolaire, je demandais à mes élèves ce qu’ils voulaient faire lorsqu’ils seraient grands. Il y avait de futurs agriculteurs, infirmières, astronautes, médecins, chauffeurs d’autobus, enseignants et bien d’autres encore.

Sheila a ajouté ceci :

Je n’ai jamais rencontré un seul enfant qui voulait devenir toxicomane ou narcotrafiquant. Quelque chose ou quelqu’un leur a nui en cours de route.

[Français]

Les pénitenciers et prisons du Canada ne sont pas des hôpitaux. Certaines de ces institutions ne sont pas équipées pour prendre en charge, aider ou encore soigner des individus aux prises avec un problème de santé mentale.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-203, précédemment le projet de loi S-216, prévoit l’application des mêmes dispositions en matière de traitement en santé mentale que celles qui existent déjà dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et dans le Code criminel à l’égard du traitement pour toxicomanie. En présentant le projet de loi S-203, je propose que le système de justice pénale considère l’accès à un traitement en santé mentale de la même manière que l’accès à un traitement pour toxicomanie.

Aux termes des dispositions actuelles à l’égard du traitement pour toxicomanie, lesquelles se trouvent aux paragraphes 10(4) et 10(5) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et au paragraphe 720(2) du Code criminel, on peut reporter la détermination de la peine aux fins d’un traitement pour toxicomanie.

On ajoute également que si le procureur général y consent, le tribunal n’est pas tenu d’infliger une peine minimale à la personne qui complète avec succès un traitement contre la toxicomanie.

[Traduction]

Il est tout à fait sensé que le droit criminel adopte à l’égard du traitement en santé mentale la même formule que pour le traitement de la toxicomanie, car les critères et les objectifs des tribunaux de la santé mentale et des tribunaux du traitement de la toxicomanie se rejoignent. En effet, dans les deux cas, l’accent est porté sur la source du comportement criminel plutôt que sur le châtiment des symptômes par l’incarcération. Les deux types de tribunal se fondent sur la reconnaissance du fait que, si l’accusé souffre de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie, l’emprisonnement ne réglera pas le problème. Je répète : l’emprisonnement ne réglera pas le problème.

Je me permets de citer l’enquêteur correctionnel du Canada, M. Howard Sapers, qui dit ceci : « Les prisons ne sont pas des hôpitaux, mais certains détenus sont en fait des patients. »

[Français]

Les dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, ainsi que les dispositions du Code criminel qui traitent de la toxicomanie des contrevenants, devraient également s’appliquer aux besoins en santé mentale de ceux-ci.

Honorables sénateurs, le paragraphe 43(2) du projet de loi C-10 que le Parlement a adopté tout récemment modifiait la Loi réglementant certaines drogues et autres substances afin de permettre aux contrevenants de participer à un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie approuvé par le procureur général. Cette modification visait à mettre à profit les tribunaux et services existants spécialisés dans le traitement de la toxicomanie.

[Traduction]

L’article 1 du projet de loi S-203 modifierait la même loi pour permettre au délinquant de participer au programme de traitement prévu par un tribunal de la santé mentale et approuvé par le procureur général. La modification proposée permettrait aussi de tirer parti des services spécialisés de traitement des troubles mentaux et des tribunaux de la santé mentale.

Des tribunaux de la santé mentale ont commencé à voir le jour dans diverses villes du Canada après que les tribunaux de traitement de la toxicomanie eurent fait la preuve que les tribunaux qui s’attaquent à des problèmes concrets avaient un rôle à jouer dans notre système de justice. Le premier tribunal de la santé mentale du Canada a été créé à Toronto et d’autres ont été créés dans d’autres villes au cours des dernières années. Les tribunaux de la santé mentale s’occupent des personnes dont la maladie mentale a beaucoup contribué à leurs démêlés avec la justice.

Ces tribunaux peuvent, lorsqu’il s’agit d’infractions moins graves, offrir une déjudiciarisation avant le procès ou reporter la détermination de la peine pour permettre à la personne de suivre un traitement et, dans le cas d’infractions plus graves, infliger des peines tenant compte des besoins en santé mentale, comme un traitement dans un établissement psychiatrique plutôt qu’une peine d’emprisonnement.

(1600)

[Français]

Les tribunaux de la santé mentale ont été créés au fil de diverses interventions informelles des intéressés locaux qui ont voulu répondre à ce besoin important. Comme l’administration et la prestation des services de santé relèvent des provinces et territoires, il existe plusieurs modèles de tribunaux de la santé mentale.

Par exemple, selon le modèle établi à Toronto, le délinquant comparaît plusieurs fois pour un cautionnement, comme cela se fait dans les tribunaux de traitement de la toxicomanie, devant lesquels l’accusé comparaît très fréquemment devant un juge. Le tribunal profite de l’aide d’employés policiers rattachés au palais de justice afin d’intervenir.

Le Yukon, quant à lui, a un tribunal communautaire du mieux- être qui s’occupe des cas de personnes ayant des problèmes d’alcoolisme ou de toxicomanie, des problèmes de santé mentale ou un déficit cognitif, y compris le syndrome d’alcoolisation fœtale.

[Traduction]

Dans les tribunaux de la santé mentale, les procureurs de la Couronne travaillent avec des employés des organismes participants afin de déterminer les peines qui seront imposées, par exemple un engagement de ne pas troubler l’ordre public tel qu’il est prévu à l’article 810 du Code criminel, une ordonnance de probation ou des ordonnances de sursis et de probation. Généralement, cela donne lieu à des peines plus clémentes pour les personnes reconnues coupables. Ce processus permet d’assurer un traitement et une surveillance supplémentaires. Les programmes des tribunaux de la santé mentale permettent à des gens qui ne sont pas admissibles à la déjudiciarisation en raison de la gravité de leur crime de tenter d’améliorer leur condition grâce à des soins de santé mentale.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-10, qui a été adopté durant la deuxième session de la 39e législature, a créé une disposition visant à reporter la détermination de la peine afin de permettre à une personne reconnue coupable de participer à un programme de traitement conformément au paragraphe 720(2) du Code criminel. Le projet de loi S-203 contient une référence explicite aux programmes de traitement en santé mentale, qui s’ajoutent aux programmes de traitement de la toxicomanie et aux programmes d’aide en matière de violence conjugale déjà mentionnés au paragraphe 720(2).

Tout comme les programmes de traitement de la toxicomanie, les programmes de traitement en santé mentale doivent être approuvés par les provinces. Cette référence explicite à un programme de traitement en santé mentale pourrait encourager la mise en place d’autres programmes de traitement en santé mentale dans les centres de traitement des provinces.

[Français]

Le fait d’exiger que le procureur général autorise un traitement particulier tient compte des pratiques courantes et permettrait de rassurer les gens qu’il ne s’agit pas simplement d’un moyen d’échapper à une peine minimale d’emprisonnement.

Finalement, l’alinéa 43.2.5 du projet de loi C-10 présentait la disposition suivante concernant la peine minimale : le tribunal n’est pas tenu d’infliger une peine minimale d’emprisonnement à la personne qui termine avec succès un programme visé au paragraphe 4, autrement dit, un programme de traitement de la toxicomanie.

[Traduction]

Le projet de loi S-203 prévoit pour les contrevenants qui complètent un programme de traitement en santé mentale exactement la même chose que pour les personnes accusées d’infractions liées à la drogue. Comme c’est le cas en ce qui concerne les dispositions actuelles de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances portant sur le traitement de la toxicomanie, en permettant l’exemption de la peine minimale obligatoire, le projet de loi encourage les personnes reconnues coupables à s’engager sur la voie de la guérison tout en pénalisant les comportements criminels, comme le veut la société.

En outre, les tribunaux conservent le pouvoir d’ordonner l’emprisonnement d’une personne reconnue coupable, mais auraient la latitude de lever la peine d’emprisonnement obligatoire, tout comme le projet de loi C-10 le faisait dans le cas des délinquants qui suivent un traitement contre la toxicomanie. Cette souplesse permettrait à la cour de lever la peine minimale obligatoire afin de permettre un traitement. Tout comme c’est le cas pour les traitements contre la toxicomanie en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la cour ne pourrait lever la peine d’emprisonnement minimal obligatoire que si le traitement en santé mentale est complété avec succès.

Les dispositions n’exigent pas que la personne reconnue coupable soit guérie; elles laissent plutôt cette décision à la discrétion de la cour.

[Français]

Avant de terminer, j’aimerais profiter de l’occasion pour vous lire l’opinion d’experts en la matière quant au projet de loi S-203.

[Traduction]

Le professeur David Joubert, un expert en psychologie clinique qui se spécialise dans les questions touchant l’emprisonnement, a dit ceci :

Je suis d’avis que le meilleur moyen de réduire les risques de conflits dans de tels cas consiste à fournir à la personne des soins de santé mentale de qualité et empreints de compassion, ainsi que de minimiser la stigmatisation; il s’agit de deux objectifs impossibles à atteindre en milieu carcéral.

Sa collègue, la professeure Jennifer Kilty, experte en soins psychiatriques en milieu carcéral, a quant à elle déclaré ce qui suit :

Le système carcéral ne fournit pas de diagnostics, de soins ou de traitements adéquats et se tourne trop souvent vers la pharmacothérapie pour tenter de soigner la détresse psychologique.

[Français]

Ces deux experts du domaine avancent des points très importants quant au traitement de la santé mentale des détenus.

En fait, ce projet de loi n’est pas révolutionnaire. Il fait simplement fond sur une importante disposition du projet de loi C-10 qui porte sur le traitement contre la toxicomanie. Il existe des tribunaux de traitement de la toxicomanie des programmes de traitement de la toxicomanie, et des dispositions juridiques permettant de mieux incorporer ces outils au système de justice pénale. Il existe également des tribunaux de traitement de la santé mentale et des programmes de traitement en santé mentale.

Nous devons maintenant faire en sorte que la loi en facilite aussi l’utilisation dans le cadre du système de justice pénale pour les condamnés qui souffrent de troubles mentaux. Il est important que les contrevenants puissent recevoir les soins de santé mentale dont ils ont besoin, car cela ne peut que contribuer à assurer la sécurité des Canadiens, non seulement à court terme, mais également à long terme.

Merci.

[Traduction]

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Je ne suis pas la porte-parole du gouvernement sur ce projet de loi, mais je vais quand même ajourner le débat à mon nom.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)