2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 68

Le mardi 10 juin 2014
L’honorable Pierre Claude Nolin, Président intérimaire

La Loi électorale du Canada

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Ajournement du débat

Motion d’amendement

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer les amendements proposés par le sénateur Moore. Cependant, avant toute chose, j’aimerais remercier la sénatrice Frum et le sénateur Moore de tout le travail qu’ils ont accompli à l’égard du projet de loi C-23. Je transmets aussi mes remerciements au président et aux membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour tout leur travail dans ce dossier.

Honorables sénateurs, je souscris aux propos du sénateur Moore. J’aimerais revenir sur une question dont j’ai parlé à l’étape de la deuxième lecture. Bien que ce projet de loi ait déjà fait l’objet de moult commentaires, je m’attarderai ici sur des aspects particuliers du recours à un répondant dont il a été question en comité. J’ai déjà longuement expliqué mon point de vue à l’étape de la deuxième lecture, et je veillerai donc à ne pas me répéter.

Notre collègue, le sénateur Moore, a soulevé une question très importante lors de l’examen en comité. Permettez-moi de le citer :

Or, à l’époque, le gouvernement, qui propose aujourd’hui de mettre fin à la preuve d’identité par un répondant, avait justement invoqué cette pratique pour justifier les modifications apportées aux dispositions sur l’identification des électeurs en 2007. Le gouvernement avait alors convenu que la preuve d’identité par un répondant était sans risque. […]

Selon la version de la loi adoptée en 2007, les électeurs ayant toutes les pièces d’identité requises peuvent se porter garants d’un autre électeur à qui il en manque. […] Or, les avocats du gouvernement arguent depuis 2009 devant les tribunaux britanno-colombiens que la preuve d’identité par un répondant garantit la constitutionnalité des règles sur l’identification des électeurs adoptées en 2007, une position que le gouvernement continue de défendre devant la Cour suprême du Canada.

Honorables sénateurs, le gouvernement utilise la preuve d’identité par un répondant comme argument pour défendre les règles en matière d’identification des électeurs adoptées en 2007. Celles-ci demeureront-elles valides malgré les changements majeurs apportés au système de recours au répondant?

J’aimerais présenter un scénario dont le sénateur Baker a parlé au comité :

Le directeur général des élections a donné pour exemple le cas de parents qui sont en visite chez leurs enfants dans une autre région du pays et qui ont recours à cette forme d’identification pour voter. Autre exemple : deux partenaires vivant ensemble, dont tout le courrier est adressé à un seul d’entre eux, et où l’autre personne ne possède pas deux pièces d’identité.

Le sénateur Baker soulève là des situations concrètes qui touchent bien des Canadiens. En fait, pour des raisons indépendantes de leur volonté, beaucoup de Canadiens n’auront aucune pièce d’identité, ou n’en auront qu’une seule, lorsqu’ils se présenteront au bureau de scrutin.

Le sénateur Joyal a lui aussi présenté un exemple fort pertinent en comité, qui illustre bien comment certains individus demeureront privés de leur droit électoral en raison de ce projet de loi. Je me permets de citer les propos du sénateur Joyal :

J’ai un exemple qui date du temps où je siégeais à l’autre endroit. Il s’agit d’un centre de soins prolongés pour personnes âgées. Vingt-six personnes y vivaient, alitées en permanence pour la plupart et sans parent. À chaque étage du centre se trouvait une infirmière responsable. Celle-ci n’était pas autorisée à répondre de l’identité des cinq ou six patients qui vivaient dans la même salle de ce centre de soins prolongés.

Selon moi, dans de pareils cas, on devrait donner l’autorisation. En effet, l’infirmière devait choisir à quel patient, parmi les six sous sa charge, elle allait servir de répondant et lui permettre ainsi de voter. Pour certaines personnes dans ce genre de situation, voter représente le seul lien avec le monde extérieur.

Honorables sénateurs, voter semble déjà une entreprise difficile. Or, ce projet de loi rend le processus encore plus difficile. Est-ce le genre de réforme démocratique que nous voulons?

J’aimerais soulever une dernière question, qui me préoccupe beaucoup. D’après un récent sondage Ipsos, 87 p. 100 des Canadiens croient qu’il est raisonnable d’exiger des électeurs qu’ils prouvent leur identité et leur adresse avant de pouvoir voter. Honorables sénateurs, je conviens que 87 p. 100 des Canadiens jugent cette mesure raisonnable.

Je suis sûre que les députés de l’autre endroit ont tenu compte de cette statistique lorsqu’ils ont présenté le projet de loi. L’autre endroit peut bien s’occuper des 87 p. 100, mais, honorables sénateurs, nous sommes là pour protéger les droits des 13 p. 100 qu’il reste.

Des voix : Bravo!

(1610)

La sénatrice Jaffer : Pendant l’étude du projet de loi C-23, notre collègue, le sénateur Plett, a dit ceci :

Manifestement, l’argument principal, ou le plus grand reproche, de l’opposition porte sur le recours aux répondants et sur la crainte que la mesure législative empêche cinq ou six personnes de voter.

Honorables sénateurs, j’estime que notre rôle en tant que sénateurs est justement de protéger ces cinq ou six personnes qui ne pourront pas voter à cause de cette mesure législative. Voilà pourquoi nous siégeons au Sénat. C’est pour cette raison que chacun d’entre nous a été nommé au Sénat du Canada.

Honorables sénateurs, j’ai été élevée en Ouganda, et je dois vous dire que, lorsque nous avons perdu notre droit de vote parce que nous étions des Ougandais d’origine asiatique, nous avons tout perdu. Lorsque nous sommes venus au Canada et que nous avons pu voter pour la première fois, ce fut le plus beau cadeau que les Canadiens auraient pu nous faire. Jamais les membres de ma famille n’avaient été aussi fiers. Nous avons tous pu voter. À l’époque, nous n’avions même pas d’adresse tellement nous étions fraîchement débarqués, mais nous avions le droit de voter. C’est ce qui fait la beauté du Canada, et c’est ce que le Sénat doit protéger.

Motion d’amendement

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Par conséquent, honorables sénateurs, afin que tous les Canadiens aient le droit et la possibilité de voter, je propose que le projet de loi ne soit pas lu pour la troisième fois maintenant, mais qu’il soit amendé…

Son Honneur le Président intérimaire : Avant que la sénatrice Jaffer commence à lire ses amendements, je crois qu’il convient de demander aux sénateurs s’ils sont d’accord pour que tous les amendements, ceux du sénateur Moore et ceux de la sénatrice Jaffer, soient regroupés, puis étudiés de concert. Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président intérimaire : Ainsi, nous pourrons débattre des propositions d’amendement du sénateur Moore et de la sénatrice Jaffer. Nous sommes d’accord.

La sénatrice Jaffer : Je propose :

Que le projet de loi C-23 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié :

a) à l’article 46, à la page 26 :

(i) par substitution, aux lignes 4 à 6, de ce qui suit :

« (iv) sa propre résidence n’a pas fait l’objet »,

(ii) par suppression des lignes 18 et 19;

b) à l’article 47, à la page 27, par substitution, à la ligne 7, de ce qui suit :

« contrevient aux paragraphes 143(6) ou »;

c) à l’article 50 :

(i) à la page 28, par substitution, aux lignes 36 à 38, de ce qui suit :

« (D) sa propre résidence n’a pas fait »,

(ii) à la page 29, par suppression des lignes 38 et 39;

d) à l’article 51, à la page 30, par substitution, à la ligne 22, de ce qui suit :

« contrevient aux paragraphes 161(7) ou »;

e) à l’article 54 :

(i) à la page 32, par substitution, aux lignes 11 à 13, de ce qui suit :

« (D) sa propre résidence n’a pas fait »,

(ii) à la page 33, par suppression des lignes 17 et 18;

f) à l’article 55, à la page 33, par substitution, à la ligne 40, de ce qui suit :

« contrevient aux paragraphes 169(6) ou »;

g) à l’article 60, à la page 37, par substitution, aux lignes 24 à 26, de ce qui suit :

« (3.1) Il est interdit à l’électeur pour lequel un »;

h) à l’article 93 :

(i) à la page 193 :

(A) par suppression des lignes 25 à 27,

(B) par suppression des lignes 33 à 35,

(ii) à la page 194, par substitution, aux lignes 3 à 7, de ce qui suit :

« d) quiconque contrevient au paragraphe 169(6) (attester d’une résidence alors que sa »;

i) à l’article 94.1, à la page 194, par substitution, aux lignes 27 à 32, de ce qui suit :

« a) contrevient au paragraphe 237.1(3.1) (attester d’une résidence alors que sa propre résidence est attestée);

b) contrevient à l’un ou l’autre des alinéas ».

Merci.