2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 79

Le mercredi 24 septembre 2014
L’honorable Noël A. Kinsella, Président

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’honorable Bob Runciman propose que le projet de loi S-221, Loi modifiant le Code criminel (voies de fait contre un conducteur de véhicule de transport en commun), soit lu pour la troisième fois.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends moi aussi la parole au sujet du projet de loi S-221, mais je n’en suis pas la porte-parole désignée. Ce rôle est assumé par le sénateur Baker. Je demande donc qu’on lui réserve le droit d’intervenir en sa qualité de porte-parole.

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles s’est réuni en juin pour discuter du projet de loi S-221, qui vise avec raison à modifier le Code criminel en ce qui a trait aux voies de fait contre un conducteur de véhicule de transport en commun. J’aimerais remercier le sénateur Runciman d’avoir présenté un projet de loi qui souligne l’importance des travailleurs du transport en commun dans nos collectivités et qui tient compte de la nécessité de leur offrir une protection adéquate dans la loi. Sénateur Runciman, bien des conducteurs de véhicules de transport en commun m’ont demandé de vous remercier publiquement d’avoir présenté ce projet de loi!

J’aimerais également remercier M. Neil Dubord, agent en chef de Metro Vancouver Transit, de son témoignage, qui illustre l’ampleur du problème dans ma province, la Colombie-Britannique, et partout au Canada.

Honorables sénateurs, cela m’attriste de constater que les conducteurs de véhicules de transport en commun sont beaucoup trop souvent victimes de voies de fait de nos jours. Malheureusement, les grands titres de l’actualité nous rappellent que ce phénomène est de plus en plus fréquent. Les conducteurs de véhicules de transport en commun sont victimes de violence verbale, physique et psychologique tous les jours. Des voies de fait mineures aux actes de violence graves, les employés des transports en commun doivent faire face à des risques auxquels les autres travailleurs ne sont pas confrontés.

En 2013, le nombre d’agressions commises contre des conducteurs d’autobus a augmenté de 9 p. 100, selon l’organisme Metro Vancouver. Les rapports publiés cette année indiquent que le nombre d’agressions a augmenté de façon spectaculaire. M. Dubord, agent en chef de Metro Vancouver Transit, explique que les risques auxquels sont confrontés les conducteurs d’autobus sont liés au fait que « les conducteurs ne peuvent pas battre en retraite et se sortir de situations où la violence peut éclater ». Contrairement aux pilotes d’avion, qui ne permettraient jamais à un passager de circuler librement dans le cockpit, les conducteurs de véhicules de transport en commun ne peuvent pas empêcher les gens de circuler; ils n’ont pas ce luxe. C’est pourquoi ils ont besoin qu’on les protège au moyen de ce projet de loi.

Le projet de loi S-221 vise à s’assurer que justice sera faite en cas d’agression. En effet, le projet de loi prévoit que le tribunal doit considérer comme circonstance aggravante le fait que la victime est le conducteur d’un véhicule de transport en commun qui exerçait cette fonction au moment de la perpétration de l’infraction. Contrairement à d’autres projets de loi similaires présentés auparavant, le projet de loi S-221 donne une définition plus vaste de l’expression « conducteur de véhicule de transport en commun » : elle s’applique aussi aux chauffeurs de taxi, aux conducteurs de traversiers et aux conducteurs d’autobus scolaires.

J’aimerais vous raconter l’histoire qu’une stagiaire avec qui j’ai déjà travaillé, Mme Vi Vo, m’a racontée au sujet de son père, M. Cuong Cao Vo. Il était chauffeur de taxi à Toronto, et Mme Vo disait ceci :

Immigrants, longues heures de travail, danger : ce ne sont que quelques-uns des mots qui me viennent à l’esprit, et je ne suis pas la seule, lorsqu’il est question de l’industrie du taxi. À bien des égards, ces mots décrivent très précisément ce en quoi consiste l’industrie du taxi.

Mon père est chauffeur de taxi à Toronto depuis plus de 20 ans. Il peut vous dire les dangers auxquels il a été exposé en tant que chauffeur de taxi.

Il peut aussi vous dire le genre de traitement dont il a fait l’objet en tant qu’immigrant dans le cadre de son travail. Tout comme bon nombre de chauffeurs de taxi et leurs familles, mes deux parents sont des immigrants.

Ils viennent tous deux du Vietnam, mais ont vécu pendant plus de 10 ans dans un camp de réfugiés avant de venir au Canada. Bien que mes deux parents aient un emploi, ma mère a concentré ses efforts sur mes deux frères cadets et moi, et mon père est le principal soutien financier de la famille. C’est en raison de ce poids qui pesait sur ses épaules qu’il est devenu chauffeur de taxi. Il croyait que les longues heures de travail lui permettraient de gagner plus d’argent qu’un emploi dans une usine.

Mon père travaille 12 heures par jour, 7 jours sur 7, mais il ne se plaint jamais. En fait, c’est son attitude positive que j’admire le plus chez lui. Malgré ses longues heures de travail, mon père a toujours eu quelque chose de positif à dire sur sa journée de travail. Le soir venu, il nous racontait des anecdotes sur des personnes intéressantes qu’il avait rencontrées ce jour-là ou des endroits fascinants où il s’était rendu. Il nous racontait également les moments terrifiants où sa vie avait été menacée. Voici une anecdote que je n’oublierai jamais.

Un jour, vers 4 heures, alors que mon père terminait son quart de travail, on lui a fait signe d’arrêter. Il avait prévu se rendre directement à la maison, mais il n’y avait aucun autre taxi dans les environs. Mon père s’est donc dit qu’il ferait une dernière course avant de rentrer. Une femme est montée à l’avant de la voiture, et deux hommes se sont installés sur la banquette arrière. Ils ne connaissaient pas l’adresse de l’endroit où ils voulaient se rendre, alors ils lui ont indiqué le chemin à suivre au fur et à mesure.

Après 20 minutes, mon père s’est retrouvé dans un parc de stationnement désert en périphérie de la ville, et il a compris que quelqu’un chose n’allait pas. L’un des hommes a sorti un couteau et lui a mis la lame sur la gorge. L’autre homme a exigé que mon père lui remette tout son argent. La femme, quant à elle, s’est contentée de regarder. Sans hésiter, mon père a enlevé son sac-ceinture, que je lui avais offert en cadeau à Noël, et leur a donné tout l’argent qu’il avait gagné ce jour- là. Il avait très peu d’argent et il voulait retourner à la maison, mais les hommes n’ont rien voulu entendre. Ils ont tiré mon père hors de la voiture, puis ils l’ont attaqué, même après leur avoir remis tout son argent, leur avoir promis qu’il ne parlerait à personne de ce qui s’était produit et les avoir suppliés de le laisser partir pour aller rejoindre sa famille.

Mon père aurait pu se faire tuer cette nuit-là, et je le vois encore comme si c’était hier en train de se préparer plus tôt que d’habitude à partir pour le travail, le lendemain. Il portait autour de la taille un vieil étui de cuir, au lieu du nouveau que je lui avais donné. Son visage fatigué était couvert d’ecchymoses, et sa lèvre était enflée et coupée, mais il a tout de même trouvé la force de sourire lorsqu’il m’a vue. Lorsque je lui ai demandé pourquoi il ne restait pas à la maison, il a répondu à la blague qu’on lui avait volé son argent de poche et qu’il devait faire quelques heures supplémentaires pour le récupérer.

Ma famille craint tous les jours pour la sécurité de mon père. Le sang me glace dans les veines chaque fois que j’entends parler aux nouvelles d’une autre agression contre un chauffeur de taxi. Je prie pour que ce ne soit pas mon père et je prie pour la famille de la victime.

Cela me brise le cœur de devoir dire que mon père a été agressé à de nombreuses reprises au cours de ses 20 années de travail, mais il ne s’est jamais plaint. Il me dit plutôt que les agressions font partie des risques du métier. Selon lui, c’est normal et il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Bien que j’admire son courage et son optimisme, je pense que personne ne devrait être obligé d’expliquer de tels risques à ses enfants. Mon père mérite d’être protégé.

(1440)

Honorables sénateurs, la fille de M. Vo est étudiante en droit. Elle fréquente l’une des meilleures facultés de droit des États-Unis. Les deux fils de M. Vo poursuivent des études universitaires eux aussi, en commerce. Le plus jeune vient de terminer sa première année à la Schulich School of Business, l’une des meilleures facultés de commerce au Canada.

M. Vo n’est pas simplement un chauffeur de taxi. C’est aussi un père qui fait vivre sa famille et qui voit à ce que ses enfants puissent devenir les avocats et les gens d’affaires qui tisseront notre avenir. Les statistiques nous indiquent que, dans l’ensemble du Canada, plus de 50 p. 100 des chauffeurs de taxi sont des immigrants. Mes origines ougandaises m’ont permis de constater l’attitude étroite des gens envers les immigrants, mais nous devons comprendre que nous dépendons beaucoup d’eux. Les chauffeurs de taxi nous fournissent des services essentiels de première ligne qui sont omniprésents dans la vie de millions de gens d’ici et de visiteurs.

Malheureusement, les chauffeurs de taxi détiennent le record du plus haut taux de décès au travail. Selon Statistique Canada, le taux d’homicides des chauffeurs de taxi est deux fois plus élevé que celui des policiers. L’étude la plus récente nous révèle que, en moyenne, le taux de décès des chauffeurs de taxi est de 3,2 pour 100 000 par année, ce qui est considérablement plus élevé que la moyenne pour les policiers. Pourtant, que la victime soit un policier peut être considéré comme un facteur aggravant dans une affaire de meurtre, tandis que ce n’est pas le cas s’il s’agit d’un chauffeur de taxi. Les séquelles psychologiques, le manque de respect et la gêne subie ne sont jamais considérés dans la détermination de la peine, même si elles continuent d’affecter gravement les victimes longtemps après ces crimes.

Le projet de loi S-221 reconnaît adéquatement les divers risques auxquels sont confrontés les conducteurs de véhicules de transport en commun. En élargissant la définition de ce qu’est un conducteur de véhicule de transport en commun, le projet de loi S-221 étend à juste titre sa protection à ceux qui en ont le plus besoin.

Par exemple, contrairement aux chauffeurs d’autobus, les chauffeurs de taxi sont autonomes et la mobilité de leur lieu de travail fait en sorte qu’il est très facile pour un individu de les diriger vers un endroit désert où il est possible de perpétrer un crime. Les conducteurs de véhicules de transport en commun qui travaillent seuls sont particulièrement vulnérables. En l’absence de témoins, il est impossible de faire le suivi des plaintes déposées. Par conséquent, bien des agressions ne sont même pas signalées, car justice ne serait pas rendue de toute façon. Au contraire, les travailleurs des transports en commun s’attendent à être agressés verbalement, physiquement et émotionnellement tous les jours. Personne ne devrait s’attendre à être agressé sur son lieu de travail.

Honorables sénateurs, plusieurs de nos collègues accomplissent un travail exceptionnel pour améliorer la vie des Canadiens. Je sais que vous vous joindrez à moi pour reconnaître l’excellent travail réalisé par le sénateur Runciman et pour le remercier d’avoir présenté ce projet de loi qui vise à protéger les gens qui assurent des services publics et qui travaillent de longues heures pour notre bien-être.

Des voix : Bravo!