2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 99
Le mercredi 26 novembre 2014
L’honorable Noël A. Kinsella, Président
ORDRE DU JOUR
La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés
La Loi sur le mariage civil
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Ataullahjan, appuyée par l’honorable sénatrice Beyak, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil, le Code criminel et d’autres lois en conséquence.
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-7, qui a pour titre « Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares ».
J’aimerais tout d’abord remercier la sénatrice Ataullahjan, marraine de ce projet de loi, qui nous en a présenté un résumé exhaustif. Je la remercie du travail qu’elle accomplit à titre de marraine de cette mesure. Je m’efforcerai de ne pas répéter ce qu’elle a déjà dit.
Comme vous le savez, le projet de loi S-7 vise à modifier la Loi sur l’immigration et la protection de réfugiés, la Loi sur le mariage civil, le Code criminel et d’autres lois en conséquence. Cette mesure se concentre sur quatre sujets : la polygamie, l’âge requis pour se marier, le mariage forcé et une définition modifiée du terme « provocation » aux fins du Code criminel.
Au chapitre de la polygamie, la partie 1 modifie la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de sorte qu’un résident permanent ou un étranger soit interdit de territoire s’il pratique la polygamie au Canada.
La partie 2 modifie la Loi sur le mariage civil. On y indique que le mariage requiert le consentement libre et éclairé des deux personnes, et qu’on ne peut pas contracter un nouveau mariage avant que tout mariage antérieur ait été dissous ou frappé de nullité. Le projet de loi contient également une nouvelle exigence à propos de l’âge minimum : il faudra avoir au moins 16 ans pour se marier.
La partie 3 prévoit des modifications au Code criminel concernant les mariages forcés afin de clarifier que le fait, pour un célébrant, de célébrer sciemment un mariage en violation du droit fédéral constitue une infraction. De plus, il érige en infraction le fait de célébrer un rite ou une cérémonie de mariage, d’y aider ou d’y participer, sachant que l’une des personnes qui se marient le fait contre son gré ou n’a pas atteint l’âge de 16 ans.
En outre, le projet de loi définit ce qui constitue une provocation afin de limiter la défense de provocation aux situations où la victime a eu une conduite qui constituerait un acte criminel prévu au Code criminel passible d’un emprisonnement de cinq ans ou plus.
Honorables sénateurs, j’ai consulté la définition que notre dictionnaire fournit à propos de plusieurs mots qui ont été employés dans ce projet de loi. Selon le dictionnaire, l’adjectif « barbare » signifie « cruel et brutal », et le substantif « barbare » désigne « un membre d’un peuple sauvage ou non civilisé ». C’est un mot d’origine grecque qui signifie « étranger ». Le mot « culture » est défini ainsi : « la culture d’une société donnée, ses idées et ses coutumes ».
J’aimerais parler des divers aspects couverts par ce projet de loi.
Comme je l’ai déjà indiqué, le projet de loi propose d’apporter à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés des modifications concernant la polygamie. Je cite le paragraphe 41.1(1) de la loi :
Emportent interdiction de territoire pour pratique de la polygamie la pratique actuelle ou future de celle-ci avec une personne effectivement présente ou qui sera effectivement présente au Canada au même moment que le résident permanent ou l’étranger.
J’ai demandé à plusieurs personnes qui ont participé à la rédaction de ce projet de loi ce qu’on entendait par « pratique de la polygamie » et « pratique de la polygamie avec une personne qui sera présente au Canada ». On m’a répondu que cela s’applique à un homme ayant plus d’une épouse qui arrive au Canada en tant que visiteur ou résident permanent. S’il arrive seul au Canada, il ne sera pas considéré comme une personne qui pratique la polygamie, et il sera donc admis au Canada. Si son épouse le rejoint plus tard ou arrive en même temps que lui, elle sera considérée comme une personne qui pratique la polygamie et ils seront donc jugés inadmissibles.
Honorables sénateurs, il me semble troublant que, si un homme arrive seul, il ne pratique pas la polygamie, et nous l’admettons. Par contre, s’il arrive avec l’une de ses femmes, nous refusons de l’admettre.
L’objet véritable de ce projet de loi est de protéger les femmes, mais beaucoup d’épouses sont concernées. L’épouse que l’homme laisse dans son pays ne sera pas protégée. L’épouse qui vient avec lui ne sera pas protégée non plus. La définition retenue ne me plaît pas du tout, et je suis certaine que le comité aura beaucoup de questions à poser aux auteurs de ce projet de loi lorsque nous l’étudierons.
Mais l’élément qui me trouble le plus — et je ne vous cache pas ma colère — est l’exemple qui nous est donné à la page 3 des notes d’information qui nous ont été remises. Plus de 1 000 personnes vivent dans la communauté polygame de Bountiful, en Colombie- Britannique. Certaines femmes peuvent avoir été amenées là-bas, en provenance de l’étranger, pour être données en mariage à un résident du Canada.
Honorables sénateurs, tous les sénateurs de la Colombie- Britannique vous diront que nous ne sommes pas fiers de cette histoire dans notre province. Ces gens sont des Canadiens, et l’exemple qui nous est donné concerne des Canadiens. Pourtant, le projet de loi porte sur les résidents permanents ou les étrangers en visite au Canada. Il me semble que l’on sème la confusion quand on parle d’une « pratique barbare » et qu’on cite un cas où ce sont des Canadiens qui sont concernés alors qu’on traite d’étrangers ou de résidents permanents. Il faudrait savoir si la pratique est barbare simplement parce qu’on l’identifie à des gens qui arrivent d’ailleurs ou si elle est barbare aussi lorsqu’elle est adoptée par les gens de Bountiful.
Deuxièmement, le projet de loi traite de l’âge minimal pour pouvoir se marier, qui sera désormais de 16 ans. Personnellement, je me rends un peu partout dans le monde pour œuvrer avec les femmes, et nous avons beaucoup travaillé sur ce dossier partout sur la planète, quoique nous ayons concentré nos efforts récents sur le Pakistan. Ce pays a adopté une loi pour hausser l’âge minimal du mariage et le faire passer à 18 ans. Alors, pourquoi sommes-nous en train d’abaisser cette norme? Pourquoi voulons-nous que ce soit 16 ans seulement? Dans ma province, l’âge minimal est de 19 ans, alors pourquoi voulons-nous que ce soit plutôt 16 ans à l’échelle nationale? C’est un sujet que le comité devra vraiment étudier à fond.
(1500)
La troisième question est celle du mariage forcé. Lorsque le discours du Trône a été prononcé et lorsqu’on a parlé du fait que la question du mariage forcé serait abordée au Parlement, je dois dire que j’en ai été ravie parce que je crois sincèrement qu’il faut nommer un problème pour être en mesure d’y remédier. Je lutte contre ce problème depuis plus de 35 ans. J’ai voyagé partout dans le monde et j’ai discuté avec de jeunes filles de la question des mariages forcés. Je m’en voudrais aujourd’hui de ne pas remercier tous les hauts- commissaires et les ambassadeurs du Canada qui m’ont aidée et qui ont aidé d’autres intervenants à secourir des jeunes filles qui avaient été ramenées dans le pays d’origine de leurs parents. Ils ont fait un travail extraordinaire pour protéger nos filles, et je tiens à les en remercier publiquement aujourd’hui.
On ne peut pas oublier le visage d’une jeune fille qui nous arrête dans la rue et nous demande de l’aide parce qu’elle sait qu’elle sera ramenée dans le pays d’origine de ses parents. Cette fille peut avoir 14, 15 ou 16 ans. On l’emmène pour la marier de force. Jusqu’à présent, nous n’avons pas été en mesure de faire grand-chose, alors je suis contente que le ministre ait soulevé la question.
J’ai travaillé pendant des années avec des parlementaires du Royaume-Uni. Ils ont deux systèmes. Ils ont le système de justice civile et le système de justice pénale. L’enfant peut choisir à quel système de justice elle veut s’adresser. Les Britanniques sont allés encore plus loin. Ils distribuent des dépliants dans toutes les écoles, et ces dépliants disent aux jeunes filles que, si elles soupçonnent que leurs parents les emmènent en voyage et qu’elles n’en reviendront pas, elles peuvent communiquer avec le ministère britannique des Affaires étrangères pour signaler quand elles partiront, où elles iront et quand leur retour est prévu. J’ai discuté à plusieurs reprises avec des fonctionnaires du ministère britannique des Affaires étrangères, et ceux-ci m’ont dit que, si la fille ne revient pas, ils se rendent dans son village et la ramènent au Royaume-Uni.
Il faut parfois en arriver là. Pour cela, je dois féliciter notre gouvernement. Ce n’est hélas pas ce qu’il fait dans ce projet de loi-ci. Il demande plutôt à la jeune fille de s’adresser aux tribunaux pour obtenir une ordonnance si elle craint que ses parents ne l’enlèvent. Est-ce sérieux, honorables sénateurs? Comment une jeune fille de 14, 15 ou 16 ans peut-elle s’adresser aux tribunaux pour obtenir une ordonnance?
Je me suis occupée de dossiers d’enlèvement d’enfants toute ma vie, surtout au sein de la communauté sud-asiatique. À l’époque où j’étais une jeune avocate débordant d’énergie, il suffisait que j’entende les mots « enfant agressé » pour que je me précipite sur place, accompagnée des services sociaux, pour retirer l’enfant en question de sa famille. Mais j’ai fini par comprendre que ce n’est pas la bonne façon de faire, parce que, quand on retire un enfant de son milieu familial, non seulement on lui retire ses repères, mais on le prive à jamais de sa communauté. On détruit son identité.
Pensons-y, honorables sénateurs. Une jeune fille de 14, 15 ou 16 ans ira-t-elle vraiment dire aux tribunaux que ses parents vont l’enlever? Depuis des années, j’admire le travail qu’accomplit la South Asian Legal Clinic of Ontario. Elle est très active dans les dossiers de mariages forcés. Elle collabore de près avec notre ministère des Affaires étrangères et notre ministère de l’Immigration, et elle fait un boulot du tonnerre pour prévenir les mariages forcés. Permettez-moi, honorables sénateurs, de vous lire la déclaration que la clinique a publiée au sujet du projet de loi :
Le 5 novembre 2014, le gouvernement fédéral a présenté la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares (projet de loi S-7), qui va modifier en profondeur la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil et le Code criminel. Les arguments du gouvernement en faveur de ces changements ne s’appuient sur aucune donnée statistique ou recherche, ni sur le témoignage de spécialistes. Les annonces et le texte du projet de loi perpétuent les mythes entourant la polygamie et les mariages forcés, en plus de faire croire aux Canadiens que la violence faite aux femmes est un problème « culturel » propre à certaines communautés. À notre avis, l’entrée en vigueur de cette loi raciste va marginaliser encore plus les victimes et les survivantes de mariages forcés. Nous estimons que les mots durs employés dans le texte du projet de loi cherchent à alarmer la population et risquent de nuire aux membres des communautés auxquels il est censé venir en aide en les marginalisant davantage. Nous sommes convaincus que la criminalisation des mariages forcés et les modifications radicales qui se trouvent dans le projet de loi S-7 NE constituent PAS des solutions intéressantes pour le Canada. Nous savons de plus, par expérience, que la criminalisation risque de devenir un outil pour cibler davantage les membres de ces communautés et les soumettre à une surveillance policière indue. Même si nous convenons que la prévention a sa place dans la discussion sur les mariages forcés au Canada, nous croyons que l’éducation demeure la voie à privilégier dans ce débat. Nous recommandons donc de bien informer et de sensibiliser les intervenants des forces de l’ordre et des secteurs de l’immigration, de la santé et de l’éducation.
Dans toutes les cultures, des femmes sont victimes de violence. C’est une question d’abus de pouvoir qui engendre une iniquité et qui influe sur toutes les relations, d’une génération à l’autre. Dans toutes les cultures du monde, les femmes ont des moyens d’unir leurs forces pour mettre un terme à la violence. La violence n’est pas l’expression d’une culture, mais plutôt une rupture avec celle-ci. La culture n’est pas un obstacle aux droits des femmes, mais bien un contexte permettant de façonner les relations et les moyens d’action.
Nous redoutons toujours que les changements législatifs proposés érigent des obstacles qui empêcheront les victimes et les survivantes d’une communauté donnée d’obtenir une protection et d’accéder à des ressources. Les dispositions qui interdiront les non-Canadiens de territoire strictement en fonction de leur régime matrimonial réel ou perçu, sans compter les mesures de détention préventive et de surveillance ou encore la criminalisation de la famille et de la communauté des survivantes, auront des conséquences néfastes sur l’accès de ces dernières aux tribunaux et compromettront leur sécurité. Au pire, le projet de loi S-7 révèle les motivations racistes du gouvernement à l’égard de communautés données; au mieux, il incarne l’intérêt de façade que porte le gouvernement au dossier la violence faite aux femmes et son incompréhension totale de la question de la violence sexiste.
Honorables sénateurs, ces paroles ne sont pas les miennes, mais bien celles de femmes qui travaillent auprès des adolescentes qu’on éloigne de force. Ces travailleuses de première ligne m’affirment que le projet de loi fera plus de mal que de bien à ces jeunes filles.
Le quatrième point dont traite le projet de loi, c’est la provocation. Honorables sénateurs, j’avoue ne pas du tout comprendre pourquoi le gouvernement inclut la provocation dans un « projet de loi sur les pratiques culturelles barbares ». Pourquoi vouloir redéfinir ce terme, qui constitue pourtant une notion importante en droit criminel, par l’intermédiaire d’un projet de loi sur les pratiques culturelles barbares? Je ne vois pas du tout où il veut en venir.
Je ne pratique plus beaucoup le droit, alors j’ai consulté les experts. Michael Spratt, collaborateur d’iPolitics, a écrit ceci :
[…] cette fois, en dissimulant des modifications à la notion de provocation, un principe historique du droit pénal — derrière l’apparence du problème inexistant des immigrants barbares.
Le terme « barbare » nuit à la nature multiculturelle de notre société. La triste réalité, c’est que tout ceci est inutile. Nous pourrions avoir un débat productif sur ce que nous, en tant que société, pourrions faire pour aider les immigrants et les victimes, et renforcer nos relations. Or, il nous est impossible d’avoir un débat positif lorsqu’on nous force à prendre du temps pour débattre de changements inutiles à des principes historiques du droit pénal.
(1510)
Le ministre de l’Immigration, M. Alexander, a déclaré que les changements aux règles régissant la disposition du Code criminel relative à la provocation sont nécessaires pour mettre un terme aux meurtres d’honneur. Comme l’a fait remarquer Michael Spratt, criminaliste d’Ottawa et chroniqueur d’iPolitics, la provocation ne s’applique pas aux meurtres d’honneur. Elle ne s’y est jamais appliquée, et elle ne s’y appliquera jamais :
L’article 232 du Code criminel prévoit la provocation comme motif de défense, réduisant l’accusation de meurtre à celle d’homicide involontaire coupable lorsque l’accusé a agi « dans un accès de colère » causé par une provocation soudaine.
Une provocation signifie une action injuste ou une insulte de telle nature qu’elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser et l’amène à agir « impulsivement » avant de prendre le temps de retrouver son sang-froid.
Honorables sénateurs, il précise ensuite que les meurtres d’honneur ne répondent à aucun de ces critères.
La provocation repose sur le critère de la personne ordinaire. Il s’agit du Canadien ordinaire. Je pense que nous pouvons tous nous entendre sur le fait que le Canadien ordinaire trouve que les meurtres à motif religieux sont répugnants.
La Cour suprême du Canada l’a clairement indiqué dans sa décision dans l’affaire Tran. Dans le contexte de la provocation, la notion de personne raisonnable ou de personne ordinaire est circonscrite en fonction des normes de comportement actuelles, y compris les valeurs fondamentales comme la recherche de l’égalité. Lorsque l’accusé a fait l’objet d’une remarque raciste, il convient d’attribuer à la personne raisonnable la caractéristique de l’appartenance à la race visée alors que lorsqu’il a fait l’objet d’avances homosexuelles, il n’est pas opportun d’attribuer à la personne ordinaire celle de l’homophobie. Il en va de même pour la violence fondée sur l’honneur. Dans l’arrêt Tran, la Cour suprême du Canada a maintenu la déclaration de culpabilité de meurtre de l’appelant dans une affaire où l’accusé affirmait avoir été provoqué en voyant son ex-épouse au lit avec un autre homme. L’accusé s’était introduit chez son ex-épouse sans y être attendu et sans avoir été invité, et il l’a vue avec un autre homme. L’accusé, devenu enragé, a pris deux couteaux dans la cuisine et les a attaqués. Pendant un laps de temps assez long, l’accusé a assené des coups de couteau à son épouse et tué l’homme après l’avoir poignardé à 17 reprises. Puis, il s’est infligé une coupure avant de mettre le couteau dans la main du défunt. Le juge de première instance a acquitté l’accusé de meurtre et l’a reconnu coupable d’homicide involontaire coupable, étant donné que la conduite de l’accusé avait été provoquée par la vue de sa femme ayant des rapports sexuels avec un autre homme, ce qu’il considérait comme une insulte.
Pour que la défense soit soumise au jury, il faut que les preuves soient vraisemblables. Toutefois, le fait que l’accusé ait cherché l’affrontement et qu’il ait obtenu ce qu’il voulait pourrait priver la défense de son caractère vraisemblable.
La provocation n’est pas un facteur vraisemblable dans le contexte des meurtres pour des motifs religieux. Il y a d’autres limites au fait d’invoquer la provocation :
D’un point de vue juridique, nul ne peut considérer avoir été provoqué par une personne pour quelque chose que celle-ci a légalement le droit de faire, ou pour quelque chose que l’accusé l’a incitée à faire.
Il y a surtout cette autre limite :
Il ne s’agit pas d’une défense complète. Invoquer la provocation, c’est s’accuser d’homicide involontaire coupable et accepter la punition correspondante (qui peut aller jusqu’à une peine d’emprisonnement à perpétuité).
Dans le Toronto Star, le ministre Alexander a parlé du cas de Mohammad Shafia pour justifier les changements annoncés. Je sais que vous connaissez tous l’affaire Shafia, c’est-à-dire le cas de l’immigrant d’origine afghane qui a tué trois de ses filles et sa première femme pour des motifs religieux. C’était ce qu’on appelle un « crime d’honneur ». Cela me rend complètement furieuse qu’un ministre nous induise en erreur. Dans l’affaire Shafia, les accusés ont déclaré qu’ils n’étaient même pas près de l’endroit où se sont produits les meurtres. Ils n’ont même pas invoqué la provocation. Comment le ministre peut-il parler de provocation dans cette affaire alors que les accusés n’ont même pas invoqué ce motif? Les accusés ont déclaré qu’ils n’étaient même pas près de l’endroit où les choses se sont produites et qu’ils n’avaient pas commis le meurtre. Ils n’ont même jamais admis leur culpabilité. Ils n’ont donc pas pu invoquer la provocation. Comment un ministre peut-il évoquer cette affaire dans ce dossier-ci? Bien franchement, honorables sénateurs, cela m’inquiète énormément.
En 2006, la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt R. c. Humaid, a confirmé une condamnation pour meurtre au premier degré et elle a dénoncé les meurtres d’honneur. Je cite un extrait de la décision :
Même s’il faudrait tenir compte des croyances culturelles et religieuses de l’accusé qui sont tout à fait opposées aux valeurs canadiennes fondamentales, notamment l’égalité entre les hommes et les femmes, dans l’examen du critère de la « personne ordinaire » lorsqu’on se penche sur la défense de provocation […]
[…] Si un accusé invoque des croyances culturelles et religieuses semblables à celles décrites par M. Ayoub pour étayer la défense de provocation, le juge de première instance doit soigneusement expliquer au jury la différence entre un meurtre commis par une personne qui a été incapable de se maîtriser et un meurtre commis par une personne dont les croyances culturelles et religieuses l’ont menée à croire que le meurtre était justifié compte tenu de l’inconduite imputée à la victime. Seul le premier cas de figure donne ouverture à la défense de provocation. Le second fournit plutôt le mobile du crime.
C’est la Cour d’appel de l’Ontario qui dit ceci. Je continue :
[…] à mon avis […] les croyances alléguées qui aggraveraient l’insulte sont fondées sur la notion que les femmes sont inférieures aux hommes et qu’il est parfois acceptable, voire encouragé, de commettre des actes de violence contre des femmes. Ces croyances sont tout à fait opposées aux valeurs canadiennes fondamentales, y compris l’égalité entre les sexes. On peut soutenir que, en droit criminel, on ne peut imputer à la « personne ordinaire » des croyances qui sont irréconciliables avec les valeurs canadiennes fondamentales. En droit criminel, il est tout simplement inacceptable que des croyances contraires à ces valeurs fondamentales constituent d’une façon ou d’une autre le fondement d’un moyen de défense partiel contre une accusation de meurtre.
Honorables sénateurs, les tribunaux canadiens ont déjà déclaré que les meurtres d’honneur ne peuvent être invoqués comme moyen de défense. La défense de provocation ne s’applique pas pour les meurtres d’honneur, et ce ne fut jamais le cas. Les facteurs culturels sont d’ordinaire considérés comme un mobile plutôt que comme un moyen de défense. Les tribunaux ont même autorisé la Couronne à faire témoigner des experts au sujet des meurtres d’honneur afin d’établir le mobile. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé dans l’affaire Shafia, dont je vous ai parlé plus tôt.
La cour ajoute ce qui suit :
Dans un procès comme celui-ci, où des membres d’une famille sont accusés d’avoir tué les leurs, y compris trois enfants, l’existence ou l’absence d’un motif joue un rôle très important. La Couronne a fourni des preuves que les personnes décédées avaient violé le code d’honneur de cette famille. Tout bien considéré, le témoignage de Mme Mojab sur les meurtres d’honneur est beaucoup plus probant que préjudiciable. La preuve est jugée admissible.
Honorables sénateurs, nous nous souvenons tous également de l’affaire Sadiqi. La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé la décision rendue par un tribunal d’Ottawa dans cette affaire. En 2009, Sadiqi, un résidant d’Ottawa, a invoqué la provocation pour justifier son meurtre d’honneur. Il a été reconnu coupable de meurtre au premier degré, comme toutes les autres personnes accusées d’avoir commis des meurtres d’honneur.
Pourquoi voudrions-nous maintenant limiter la défense de provocation? Il n’y a aucune preuve que cette défense est mal appliquée.
Pourquoi la provocation est-elle un principe important de notre système de justice? C’est parce qu’il s’agit d’un moyen de défense qui tient compte des circonstances atténuantes. Autrement dit :
[…] cette défense permet de faire une concession à la faiblesse humaine et de reconnaître qu’une perte complète de la maîtrise de soi peut être une circonstance atténuante d’un meurtre, même s’il est intentionnel, et qu’un meurtre commis dans de telles circonstances est donc moins odieux qu’un meurtre intentionnel commis par une personne en pleine possession de ses moyens.
Nous pouvons penser à bien des actes répréhensibles qui pourraient pousser une personne qui respecte habituellement les lois à perdre la maîtrise de soi. Prenons l’exemple d’un père dont la fille a été victime d’un crime. Imaginez que l’homme qui a attaqué sa fille décide de l’insulter, de se moquer de lui, de cracher sur lui et peut-être même de l’attaquer, et que le père éploré tue l’agresseur de sa fille. La défense de provocation tiendrait compte des circonstances atténuantes.
(1520)
Le projet de loi S-7 tend à modifier ce principe reconnu depuis toujours et limite gravement l’application de la défense de provocation en remplaçant la nécessité d’une action injuste ou d’une insulte par une conduite de la victime qui constituerait un acte criminel en vertu de la loi et serait passible d’un emprisonnement de cinq ans ou plus. Ainsi, les voies de fait criminelles ne sont plus considérées comme de la provocation, même lorsqu’elles sont combinées à des insultes grossières ou racistes. En vertu du projet de loi S-7, une femme qui s’emporte contre son mari qui la maltraite pourrait ne pas pouvoir invoquer la provocation. Les modifications à la notion de provocation proposées dans le projet de loi S-7 ne tiennent pas compte de ce genre de situation.
Ce que je crains surtout, c’est que, en proposant des modifications importantes et inutiles au Code criminel dans un projet de loi sur l’immigration, puis en se justifiant par un discours sur les pratiques culturelles barbares, le projet de loi S-7 ne rende un bien mauvais service à notre culture, à notre processus démocratique et à notre grand pays. Les modifications importantes à notre droit criminel doivent être transparentes et apportées en toute honnêteté. Il doit y avoir un débat ouvert basé sur des faits. C’est ce qui nous distingue des cultures barbares.
Honorables sénateurs, je suis vraiment troublée qu’une interprétation aussi importante du Code criminel soit introduite dans le projet de loi sur les pratiques barbares. Analysons ce projet de loi, qui porte sur quatre grands problèmes.
Le premier est la polygamie, pratiquée dans plusieurs pays. Je suis très heureuse et fière, comme Canadienne, de pouvoir dire : « Dieu merci, cela ne fait pas partie de nos valeurs. » Je suis d’accord pour que nous disions que nous n’en voulons pas ici. Cependant, depuis des années, nous essayons en vain de mettre un terme à cette pratique dans ma province. Des Canadiens pratiquent la polygamie. Sommes-nous barbares pour autant? Des Canadiens dans ma province pratiquent la polygamie; pourtant, nous qualifions les étrangers de barbares.
Honorables sénateurs, je suis très inquiète de ce à quoi ces paroles pourraient nous mener. Nous ne vivons pas isolés du monde. Nous faisons partie de ce monde. Le fait de qualifier des gens de « barbares » nous amène sur une route bien dangereuse.
Deuxièmement, ce projet de loi aborde l’âge minimal national pour le mariage. Quel est le rapport entre l’âge minimal national pour le mariage et un projet de loi sur les pratiques barbares? C’est l’âge national que nous avons établi. Pourquoi l’inclure dans le projet de loi? Qu’est-ce que cela a à voir avec le projet de loi?
Troisièmement, le projet de loi traite des mariages forcés. On peut dire que cela est barbare, mais cette pratique est imposée à nos jeunes filles et nous sommes barbares parce que nous ne les protégeons pas. Sommes-nous des barbares parce que nous ne trouvons pas de moyens de protéger ces jeunes filles? Nos jeunes filles canadiennes se font enlever. Comment pouvons-nous dire que cela est « barbare »? Pour régler le problème, il faut créer un climat propice à la recherche d’une solution.
Si j’étais la fille d’une personne qui prévoit m’emmener dans un pays où on me forcera à me marier, est-ce que je dénoncerais mon père, ma mère et mes frères à la police aux termes d’une loi sur les pratiques barbares? Est-ce que je qualifierais mes parents de barbares? Je voudrais qu’ils arrêtent parce que je ne voudrais pas qu’ils me forcent à me marier, mais je n’irais pas dire à la police que mon père est un barbare. Cela n’arrivera pas.
Honorables sénateurs, j’ai parlé de la South Asian Legal Clinic of Ontario. C’est l’organisme qui a la plus grande expérience de ce dossier. Avec l’aide du gouvernement, il a rédigé un rapport sur des cas de mariages forcés en Ontario. Cet organisme, qui connaît le mieux cette réalité, recommande fortement d’éviter de faire du mariage forcé une infraction distincte aux termes du Code criminel. Voici ce qu’il a dit à ce sujet :
La criminalisation du mariage forcé dresse des obstacles entre les victimes et la justice à laquelle elles ont besoin d’avoir accès.
L’organisme dit aussi que ces victimes ont besoin d’aide, que leur famille et elles ont besoin d’être éduquées, et que la criminalisation des familles n’est pas la solution. Ces jeunes filles ont besoin d’aide, pas d’être séparées de leurs parents.
Plus tôt, j’ai parlé du dernier aspect dont il est question dans cette mesure législative, en l’occurrence la provocation. Qu’est-ce que cela a à voir avec le projet de loi sur les pratiques barbares? C’est un enjeu qui a plutôt sa place dans le Code criminel. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi il figure dans ce projet de loi. Michael Spratt, un éminent avocat criminaliste d’Ottawa, qui témoigne souvent devant le Comité sénatorial des affaires juridiques, est un témoin fort crédible. Il a déclaré que cet aspect n’avait pas sa place dans ce projet de loi.
Honorables sénateurs, pour ce qui est des meurtres d’honneur, j’ai passé des heures à faire des recherches pendant la brève période dont je disposais pour préparer ce discours. Je mets le personnel du ministère de la Justice au défi de trouver un cas où les tribunaux ont accepté le meurtre d’honneur comme motif de défense. J’ai trouvé trois cas et, dans les trois cas, les tribunaux n’ont pas reconnu le meurtre d’honneur comme défense de provocation.
Honorables sénateurs, parfois, lorsque je prends la parole dans cette enceinte, je me demande pourquoi je le fais. Je me dis : « À quoi bon? Est-ce que quelqu’un porte attention à mes propos? » Aujourd’hui, je dois dire que le terme « barbare » a été pour moi un coup de massue. Lorsque j’ai discuté avec des gens dans la collectivité au cours de la fin de semaine, j’ai constaté qu’ils étaient vraiment outrés que le gouvernement emploie le terme « barbare ».
Honorables sénateurs, j’ai grandi dans une colonie. Lorsque nous allions à l’école, les maîtres coloniaux nous traitaient de barbares. On nous appelait les barbares. Lorsque nous sommes devenus indépendants, tout à coup, nous avons constaté que nous étions des personnes, et non des barbares. Lorsque je suis arrivée au Canada, j’ai appris que les Premières Nations se faisaient elles aussi traiter souvent de barbares.
Honorables sénateurs, le moment est-il venu de réintroduire le terme « barbare » dans nos documents? Je vous demande humblement…
Une voix : Oh, oh!
La sénatrice Jaffer : Vous aurez l’occasion de prendre la parole plus tard. Laissez-moi terminer.
L’honorable Leo Housakos (Son Honneur le Président suppléant) : À l’ordre. Pourriez-vous avoir la politesse d’écouter vos collègues lorsqu’ils prennent la parole?
La sénatrice Jaffer : J’ai été élevée par un politicien très brillant, mon père, qui m’a dit qu’il y a deux types de politiciens : ceux qui détruisent les collectivités et ceux qui les construisent. Il m’a toujours dit d’aspirer à devenir comme les politiciens qui bâtissent les collectivités en favorisant le multiculturalisme et la diversité et en veillant à ce que règne l’harmonie.
Honorables sénateurs, nous sommes des sénateurs. Nous n’avons pas besoin de nous faire élire. Je crois que nous sommes ici pour protéger nos intérêts nationaux ainsi que les minorités dans nos collectivités.
Je suis vraiment troublée que ce projet de loi barbare ait été présenté au Sénat. Je crois que notre Chambre est celle qui crée l’harmonie dans la société. Il nous incombe de raccommoder les fissures. C’est notre rôle. Nous ne sommes pas ici pour faire des coups bas et diviser les collectivités, mais pour faire régner l’harmonie.
Le Canada est le plus beau pays au monde et nous tous, ici, devons continuer de travailler à faire de notre pays le plus beau au monde. Je demande que, au cours des prochaines semaines, nous envisagions de modifier le titre de ce projet de loi. Nous n’avons pas à considérer nos concitoyens comme des barbares. Ils sont, tout comme vous et moi, de fiers Canadiens.
(1530)
Il se trouve que, aujourd’hui, alors que je préparais mon discours sur le projet de loi S-7, un homme, Abdur Rahim, m’a remis son ouvrage, qui s’intitule Canadian Immigration and South Asian Immigrants. Il a rédigé un long poème sur le Canada dont je vous ferai la lecture complète un autre jour. Toutefois, en terminant mon intervention, j’aimerais citer le dernier paragraphe du poème, qui précise ce que cet immigrant pense du Canada :
Pendant 30 ans, j’ai sillonné notre planète
Et, parmi tous les pays, j’ai choisi le Canada.
Je le chéris et suis imprégné de ses beautés.
Ses atouts me séduisent, de même que le pouvoir du don,
Le pouvoir de la tolérance, le pouvoir de la compréhension,
Le pouvoir des relations harmonieuses qui le caractérisent.
Chaque jour de ma vie ici, je récolte
Le fruit doré de ses trésors, petit à petit,
Les perles de ses profondeurs marines, les diamants de ses mines,
De ses habitants je retiens l’amitié, le refuge sûr, le don précieux de la vie.
L’amour le plus profond grandit au fond de mon cœur
Et je le dis haut et fort : Canada, tu es magnifique.
Je fais partie de la mosaïque canadienne — la diversité où
Malgré nos différences, nous vivons, pensons et travaillons ensemble.
D’origine sud- asiatique, né au Bengladesh, je suis fier d’être Canadien.
Honorables sénateurs, j’ai beaucoup voyagé et je puis vous dire qu’un des plus grands plaisirs que j’ai — et que, en fait, vous avez tous —, c’est de vivre dans une société diversifiée. Nous vivons dans une société multiculturelle, où nous nous respectons les uns les autres et où nous sommes sensibles à la douleur des autres. Lorsque le mot « barbare » est prononcé, nous nous sentons insultés. Pourquoi utiliser un tel mot, qui ne fera que diviser notre société?
Voici ce que j’affirme devant vous aujourd’hui : disséminons nos sociétés. Favorisons l’harmonie. Voilà notre rôle en tant que sénateurs canadiens.
L’honorable Lillian Eva Dyck : La sénatrice accepte-t-elle de répondre à quelques questions? Merci.
J’ai beaucoup aimé votre discours, je l’ai écouté très attentivement.
La première fois que j’ai entendu parler de ce projet de loi, j’ai d’abord été très étonnée d’apprendre qu’on pratiquait la polygamie à Bountiful. Je me suis d’abord demandé ce qui allait se passer dans cette collectivité, et si les Canadiens allaient avoir la possibilité de pratiquer la polygamie sur le territoire canadien. Je me suis aussi demandé si nous appliquions, à Bountiful, une norme différente de celle que nous imposons aux personnes qui veulent habiter au Canada. Là est la question.
Les habitants de Bountiful pourront-ils continuer d’être polygames, ou est-ce que le projet de loi comporte des changements qui rendront cette pratique illégale ou illicite?
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie beaucoup de votre question, madame la sénatrice.
Pour être honnête, le gouvernement de la Colombie-Britannique et plusieurs personnes du monde judiciaire ont tenté, depuis des années, de régler la question de Bountiful, en vain. Il y a des personnes polygames à Bountiful. Ce projet de loi n’aura pas de répercussions sur ces personnes, puisqu’il ne concerne que les étrangers.
La sénatrice Dyck : C’est bien ce que je pensais. Alors, en réalité, nous imposons aux personnes qui immigrent au pays des normes différentes de celles que nous imposons aux personnes qui habitent au Canada.
Au sujet des éléments du projet de loi relatifs à la défense de provocation, je crois que vous avez dit que les gestes racistes ou vulgaires qui peuvent pousser une personne à commettre un crime ne constitueront plus une défense valable.
J’ai encore une fois l’impression qu’il y a deux poids, deux mesures. Parfois, des personnes qui viennent d’un autre pays et qui ont une apparence différente ou un accent qui se démarque se font harceler pour ces raisons. J’en conclus qu’elles ne pourront plus invoquer ces arguments pour se défendre.
Comment protégeons-nous les Canadiens ou les minorités qui n’ont peut-être pas la même apparence physique que les personnes au teint plus clair? Selon moi, cela leur retire un argument de défense.
Je songe en particulier aux Autochtones. Dans bien des cas, les voies de fait criminelles perpétrées font suite à la profération d’insultes racistes à l’égard d’un Autochtone jusqu’à ce que la tension monte et que l’on provoque la personne, laquelle commet alors des actes qu’elle souhaiterait ne jamais avoir commis. Cet argument de défense ne sera donc plus à leur disposition.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie de votre question.
D’après ce que je comprends du projet de loi et des recherches considérables que j’ai effectuées sur le sujet durant le peu de temps dont je disposais, cet argument de défense n’existera plus. On ne pourra pas plaider l’insulte raciale. Le projet de loi dit ceci :
Une conduite de la victime, qui constituerait un acte criminel prévu à la présente loi passible d’un emprisonnement de cinq ans ou plus, de telle nature qu’elle suffise à priver une personne ordinaire du pouvoir de se maîtriser est une provocation pour l’application du présent article […].
J’ai examiné ce à quoi pourrait s’appliquer cette disposition. Il pourrait s’agir d’une fraude à votre endroit, de criminalité en col blanc. Voilà ce que couvrirait cette disposition.
Ce ne sera plus la définition que nous connaissions. Les insultes raciales n’en feraient plus partie. Si une femme, battue depuis longtemps, est provoquée, cela ne serait pas couvert non plus. Toute la jurisprudence que nous avons assemblée sur la question disparaîtra.
La sénatrice Dyck : J’ai également écouté attentivement vos observations à l’égard de l’emploi du mot « barbare », que je trouve également offensant.
Je sais que, il y a plusieurs années, les membres des Premières Nations étaient considérés comme des barbares et des sauvages, et que leurs pratiques culturelles ont été rendues illégales. De telles situations sont préoccupantes. Vous pourrez intervenir plus tard, honorable collègue. Vous vous comportez comme un mauvais professeur, en ce moment.
Cet aspect me trouble. Je crois que, à titre de sénateurs, nous avons le devoir de représenter les minorités; nous avons le devoir de mener le pays vers la vision que nous en avons, celle d’un pays accueillant envers tous. Je crois que, lorsqu’on emploie un terme comme « barbare » — vous l’avez souligné clairement, et j’aimerais que vous le répétiez —, on ne fait pas du Canada un pays où les gens qui viennent d’ailleurs et ont des valeurs culturelles différentes des nôtres sont considérés autrement que comme des barbares.
Pourriez-vous réitérer ce que vous avez déjà dit à ce sujet?
La sénatrice Jaffer : Pour bien illustrer ce point, j’aimerais souligner que je vis au Canada depuis plus de 40 ans et que ma fierté d’être Canadienne vient en grande partie du sentiment d’inclusion que je ressens. Je me sens chez moi au Canada.
Lorsqu’on commence à créer une opposition entre « eux » et « nous », lorsqu’on traite des gens qui vivent à nos côtés de barbares, on sème la division dans notre pays. Cela ne fait pas partie des valeurs canadiennes. Nos valeurs sont plutôt axées sur la diversité, le multiculturalisme et l’inclusion. Cette séparation affaiblira le tissu social du pays. Elle n’a rien de canadien.
L’honorable Nicole Eaton : Sénatrice Jaffer, comme vous êtes avocate, vous êtes bien placée pour me renseigner. Vous avez aussi beaucoup plus d’expérience que moi en matière de droits de la personne. La polygamie n’est-elle pas un crime au Canada? N’en est-il pas question dans le Code criminel?
La sénatrice Jaffer : C’est un crime au Canada, en effet, mais il y a tout de même des cas comme celui de Bountiful. Je ne soutiens pas qu’il faudrait accepter les gens qui pratiquent la polygamie. Ce n’est pas ce que je veux dire.
Ce que je dis, c’est que le projet de loi ne règle pas la question. Laissez-moi terminer. Bien que la polygamie soit un crime au Canada, des milliers de gens la pratiquent depuis des années dans ma province, sans qu’on puisse y faire quoi que ce soit.
Son Honneur le Président suppléant : Sénatrice Jaffer, votre temps de parole est écoulé. Voulez-vous demander cinq minutes de plus? Est-on disposé à accorder cinq minutes de plus?
Le sénateur Tkachuk : Non.
Des voix : Oui.
La sénatrice Fraser : Le sénateur Tkachuk a refusé son consentement.
Son Honneur le Président suppléant : Sénateur Tkachuk, vous n’accordez pas votre consentement? Vous avez dit non?
Le sénateur Tkachuk : C’est exact.
Son Honneur le Président suppléant : Le consentement n’a pas été accordé.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
La sénatrice Martin : Le vote!
Des voix : Non.
Son Honneur le Président suppléant : Le vote!
(1540)
La sénatrice Cools : Des sénateurs viennent de dire qu’ils ne sont pas prêts à se prononcer.
J’aimerais intervenir dans ce débat. Je propose l’ajournement.
Son Honneur le Président suppléant : L’honorable sénatrice Cools propose, avec l’appui de l’honorable sénatrice McCoy, que la suite du débat sur la motion soit ajournée à la prochaine séance.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : Oui.
Des voix : Non.
Son Honneur le Président suppléant : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur le Président suppléant : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur le Président suppléant : À mon avis, les non l’emportent.
Et deux honorables sénateurs s’étant levés :
Son Honneur le Président suppléant : Madame et monsieur les whips, y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?
Le sénateur Munson : Trente minutes.
Son Honneur le Président suppléant : Donc, pour 16 h 10.
L’honorable Wilfred P. Moore : Je ne suis pas d’accord avec cette durée.
Son Honneur le Président suppléant : C’est celle dont ont convenu les deux whips.
Le sénateur Moore : Non, il faut le consentement unanime.
Son Honneur le Président suppléant : La sonnerie retentira donc pendant une heure.
Le sénateur Moore : Une sonnerie d’une heure.
Son Honneur le Président suppléant : Puisqu’il n’y a pas consentement, la sonnerie retentira pendant une heure, c’est-à-dire jusqu’à 16 h 40.
(1640)
La motion, mise aux voix, est rejetée.