2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 109

Le lundi 15 décembre 2014
L’honorable Pierre Claude Nolin, Président

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés
La Loi sur le mariage civil
Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Report du vote

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Ataullahjan, appuyée par l’honorable sénateur Meredith, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil, le Code criminel et d’autres lois en conséquence.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole à propos du projet de loi S-7, dont le titre est « Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares. » Ce projet de loi porte sur quatre aspects, qui sont très différents : premièrement, la polygamie; deuxièmement, l’âge minimal national pour le mariage; troisièmement, le mariage forcé; et quatrièmement, la provocation.

Honorables sénateurs, je vais d’abord parler d’un aspect très inquiétant, soit le titre court du projet de loi, « Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares. »

Comme je l’ai mentionné à l’étape de la deuxième lecture, et je vous le rappelle aujourd’hui, selon le dictionnaire, l’adjectif « barbare » signifie « cruel et brutal », tandis que le substantif « barbare » désigne « un membre d’un peuple sauvage ou non civilisé, autrement dit, un étranger ». Le mot culture est défini ainsi : « la culture d’une société donnée, ses idées et ses coutumes ».

Honorables sénateurs, à l’étape de la deuxième lecture, c’est avec beaucoup de fougue que j’ai exprimé ce que je ressens à propos du titre de ce projet de loi. Je crois que, à l’étape de la troisième lecture, je dois vous faire part de ce que beaucoup de Canadiens ressentent à propos de ce titre.

J’aimerais d’abord commencer par citer Deepa Mattoo, une éminente avocate qui s’occupe des cas de violence faite aux femmes à la South Asian Legal Clinic of Ontario. Voici ce qu’elle a déclaré à la CBC :

Je vais être honnête et répéter ce que je dis depuis deux semaines. Je ne peux même pas voir plus loin que le titre du projet de loi, qui est très problématique. En effet, il cible ouvertement les communautés raciales marginalisées en proposant un cadre raciste. Autrement dit […] on emploie un vocabulaire incendiaire. Je ne peux pas croire qu’il en est ainsi en 2014 et qu’on perpétue des mythes à propos de certaines cultures. On fait de la propagande à propos de certaines cultures.

Par la suite, elle a ajouté ce qui suit :

Hélas, le projet de loi affirme en fait que la violence, c’est quelque chose de culturel alors que c’est faux. La violence, c’est de la violence. La culture de la violence, c’est de la violence. Elle prend des gens pour cible. Elle ne s’en prend pas à des groupes marginalisés donnés. Le projet de loi il nous laisse tomber. Il laisse tomber la communauté. Tout en affirmant qu’il s’agit d’un problème propre aux minorités culturelles, il marque une rupture plutôt que l’établissement d’un dialogue avec elles. Essentiellement, il les laisse tomber […]

Il cible des groupes marginalisés très précis. Prenons le libellé, par exemple. Il ne laisse aucun doute. Il cible des groupes précis.

À l’étape de la deuxième lecture, j’ai souligné les problèmes que pose le titre court du projet de loi. Depuis, honorables sénateurs, le comité a tenu des audiences. J’aimerais citer ce qu’on y a entendu.

Naila Butt, directrice générale du Social Services Network, a dit ceci :

Nous convenons que les pratiques que le projet de loi vise à restreindre ne sont pas désirables. Cependant, le titre connoté du projet de loi laisse entendre qu’il incombe à un groupe restreint de privilégiés triés sur le volet de prêcher la civilisation, qu’il incarne, auprès des barbares sauvages. Employer ce genre de vocabulaire au sein d’une société aussi multiculturelle, ouverte et démocratique que le Canada, où les immigrants forment la majorité de la population, n’est pas propice à l’atteinte des objectifs du projet de loi.

De fait, les Canadiens de Bountiful, en Colombie- Britannique, pratiquent déjà la polygamie. En moyenne, tous les six jours, une Canadienne se fait tuer par son conjoint. Chaque jour, plus de 3 300 femmes doivent dormir dans un refuge d’urgence pour échapper à une situation de violence familiale. Plus de 1 200 femmes autochtones ont disparu. Aussi bien Amnistie internationale que les Nations Unies ont exhorté le gouvernement Canada à passer à l’action dans ce dossier, mais en vain.

Elle a aussi ajouté ceci :

J’ai une question pour les honorables sénateurs : en quoi la violence dont est victime chacune de ces Canadiennes diffère-t- elle de celle que le projet de loi entend éradiquer? Pourquoi ne pas appliquer la tolérance zéro aux actes barbares commis à l’encontre de ces Canadiennes? Serait-ce que, comme le titre le sous-entend, la tolérance zéro s’applique exclusivement aux personnes qui ne sont pas nées ici ou qui ont une façon particulière de s’habiller, de parler ou de prier? La violence faite aux femmes, c’est une question de société et de santé publique qui nous concerne tous.

Selon le ministère de la Justice, chaque année, les contribuables dépensent au total 7,4 milliards de dollars pour réparer les torts causés par la violence conjugale. Il existe déjà des mesures législatives qui s’attaquent aux problèmes dont il est question dans le projet de loi. Cependant, d’après des recherches poussées qui ont été menées à l’échelle du Canada, si l’on veut vraiment changer la vie des victimes, il faut de toute urgence apporter des changements à plusieurs niveaux.

Honorables sénateurs, la Dre Butt a par la suite tracé un portrait de la violence au Canada, et il n’y a pas que les immigrants qui en sont victimes.

Il est intéressant de souligner que Mme Megan Walker, qui représentait le London Abused Women’s Centre, un organisme qui aide les femmes battues de London, en Ontario, depuis quatre décennies, a affirmé qu’elle appuyait le projet de loi, mais elle a aussi dit ceci :

Le titre suscite beaucoup de controverses. Il semble que le mot « barbares » ne soit utilisé ni dans le titre long ni dans le reste du projet de loi. Vu la controverse que soulève l’adjectif « barbares », je vous inciterais à le retirer et à seulement utiliser le titre long […]

Rappelons que Mme Walker appuie le projet de loi.

Voici une citation de la directrice exécutive du Conseil canadien des femmes musulmanes, Alia Hogben :

L’aspect le plus troublant du projet de loi, et bien des intervenants vous en ont parlé, est son titre, car cette question ne vise pas que les Canadiennes musulmanes, mais toutes les femmes. Il est décourageant de voir que le Canada utilise pareille expression dans ses mesures législatives.

Le titre est raciste et discriminatoire; il incite au racisme et perpétue des stéréotypes à l’égard de certains Canadiens, y compris des femmes comme moi. Souvenons-nous du traitement que nous avons réservé à nos Premières Nations, lesquelles sont encore considérées comme étant barbares, primitives et arriérées. L’incidence de cette discrimination, de ce racisme, se fait encore sentir aujourd’hui.

Ce projet de loi laisse entendre sans détour que ces pratiques barbares risquent de s’implanter dans notre beau pays sans violence où les femmes et les filles n’ont pas à subir les affres d’un mariage forcé ou précoce, où on exècre la polygamie, et où on ne pratique pas le féminicide, c’est-à-dire le meurtre de femmes et de filles. Notre organisme s’oppose fermement à l’expression « crime d’honneur », et nous espérons en discuter davantage plus tard.

Honorables sénateurs, au comité, j’ai posé au ministre de l’Immigration la question suivante :

Vous l’avez expliqué brièvement dans votre exposé, mais pourquoi avez-vous choisi un titre comme « Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares »?

(1800)

Le ministre a répondu « parce que, selon nous, la violence faite aux femmes est barbare ». Il a ensuite poursuivi ainsi :

Nous devons nous montrer très clairs à l’intention des quelques personnes qui tentent de promouvoir des pratiques barbares encourageant la violence. L’adoption du projet de loi S-7 ferait savoir clairement aux gens déjà en sol canadien, et à ceux qui envisagent de s’établir ici, que nous ne tolérerons pas les pratiques culturelles qui briment les droits fondamentaux d’une personne. Nous ne tolérerons pas ceux qui veulent utiliser leurs pratiques culturelles pour justifier des actes barbares à l’endroit de femmes et de jeunes filles et perpétuer la violence faite aux femmes. Nous ne tolérerons pas ces pratiques en sol canadien.

Honorables sénateurs, le ministre qualifie de barbare la violence faite aux femmes. Je serais d’accord avec lui s’il qualifiait ainsi toute la violence que subissent les femmes au Canada, mais ce n’est pas le cas : son propos ne porte que sur la violence liée à des pratiques culturelles.

Nous avons reçu un mémoire soumis par Mme Go, de la clinique juridique Metro Toronto Chinese Southeast Asian. Voici comment elle commente le titre :

Violence faite aux femmes : Aperçu de la situation au Canada.

D’après la Fondation canadienne des femmes :

  • Au Canada, la moitié des femmes ont été victimes d’au moins un acte de violence physique ou sexuelle depuis l’âge de 16 ans.
  • 67 p. 100 des Canadiens disent connaître personnellement au moins une femme qui a déjà été victime de violence physique ou sexuelle.
  • En moyenne, tous les six jours au Canada, une femme est tuée par son partenaire intime.
  • Tous les jours au Canada, on compte plus de 3 300 femmes (ainsi que leurs 3 000 enfants) séjournant dans les divers refuges d’urgence afin d’échapper à la violence conjugale.

Honorables sénateurs, je vous invite à lire son mémoire. Il est long, mais très éclairant. Faute de temps, je ne vous lirai pas toutes les autres statistiques qu’elle y mentionne, mais je crois que nous devons en tenir compte et tenir compte de ce que disent les autres femmes. Il faut faire attention à qui on appelle des barbares, car on ne devrait pas lancer de pierres quand on habite dans une maison de verre.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, la première question dont traite le projet de loi est celle de la polygamie. Le Code criminel régit déjà la polygamie. Le paragraphe 293(1) dit ce qui suit :

Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, selon le cas :

a) pratique ou contracte, ou d’une façon quelconque accepte ou convient de pratiquer ou de contracter :

(i) soit la polygamie sous une forme quelconque,

(ii) soit une sorte d’union conjugale avec plus d’une personne à la fois,

qu’elle soit ou non reconnue par la loi comme une formalité de mariage qui lie;

b) célèbre un rite, une cérémonie […] ou y aide ou participe.

Honorables sénateurs, la polygamie est déjà illégale au pays. Comme vous le savez tous, je viens de Colombie-Britannique où, malheureusement, la polygamie prospère parmi nous. Elle existe dans ma province. Je ne sais pas pour vos provinces, mais je sais que, en Colombie-Britannique, nous sommes aux prises avec cette pratique.

Le ministre de l’Immigration modifie la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la seule partie du projet de loi dont il est vraiment responsable. La modification du paragraphe 41.1(1) dit :

Emportent interdiction de territoire pour pratique de la polygamie la pratique […] de celle-ci [par] le résident permanent ou l’étranger.

En particulier s’il pratique la polygamie au Canada.

Honorables sénateurs, personne parmi nous n’osera prétendre que la polygamie est acceptable au Canada. Ce n’est pas le cas. Mais ce n’est pas parce que je suis pour la polygamie que je m’oppose au changement proposé. Ce qui me choque, ce sont les jeux politiques auxquels on se livre avec ce projet de loi. Lors de la deuxième lecture, je vous ai pourtant indiqué quelles seraient les conséquences de l’article en question. Le projet de loi dit que, si un homme polygame arrivait au Canada sans son épouse, on l’autoriserait à entrer sur le territoire. Cependant, si son épouse arrivait par la suite, elle se verrait refuser l’accès au Canada, car lui donner l’autorisation d’entrer équivaudrait à pratiquer la polygamie au Canada.

Alors, que sommes-nous en train de faire? Ce projet de loi est censé protéger les femmes, mais, en l’adoptant, nous refuserions à la femme le droit d’entrer au Canada parce qu’elle pratiquerait de ce fait la polygamie. Si vous ne me croyez pas, honorables sénateurs, dites-vous que j’ai posé la question au ministre et qu’il a interprété le projet de loi exactement comme moi.

Je vous cite d’ailleurs l’échange que nous avons eu :

La présidente : Monsieur le ministre, j’ai une question à vous poser qui concerne directement votre ministère, et elle porte sur la polygamie. Le paragraphe 41.1(1) du projet de loi dit ceci :

Emportent interdiction de territoire pour pratique de la polygamie la pratique […] de celle-ci [par] le résident permanent ou l’étranger.

J’ai deux cas hypothétiques à vous soumettre. Un homme arrive au pays en tant que visiteur. Il est polygame, mais il arrive seul. Il pourrait se voir accorder le droit d’entrer au Canada parce qu’il n’y pratique pas la polygamie. Est-ce bien exact?

M. Alexander : C’est exact.

La présidente : Si lui et son épouse arrivaient en tant que visiteurs, ils se verraient interdire l’accès au territoire parce que les laisser entrer équivaudrait à lui permettre de pratiquer la polygamie au Canada. Est-ce bien exact?

M. Alexander : C’est exact.

Ce projet de loi vise-t-il bel et bien à protéger les femmes? Quel genre d’approche sommes-nous en train de privilégier à l’égard de la polygamie? Honorables sénateurs, je voudrais que vous preniez le temps d’y réfléchir comme il faut. Si le projet de loi disait qu’un homme qui a plusieurs épouses n’a pas le droit d’entrer au Canada, je serais d’accord. Mais je ne suis pas d’accord s’il dit qu’un homme qui a plusieurs épouses a le droit d’entrer au Canada et d’y rester à condition de n’être accompagné d’aucune de ses épouses.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Jaffer : Ce projet de loi, honorables sénateurs, a été décrit comme un projet de loi qui protégera les femmes. Ce projet de loi est censé protéger des femmes qui me ressemblent. Je vais vous dire une chose, honorables sénateurs. Nous avons eu Craig Jones. Si vous venez de la même province que moi, vous savez qu’il s’agit d’un éminent avocat qui a mené un dur combat contre la polygamie à Bountiful. Il était l’avocat représentant la province de la Colombie- Britannique. Pendant de nombreuses années, il a piloté le dossier de la polygamie à Bountiful. À ce stade-ci, je m’en voudrais de ne pas reconnaître le travail accompli par l’ancien procureur général, Wally Oppal, lorsqu’il a livré un dur combat pour tenter de mettre un terme à la polygamie à Bountiful.

Craig Jones est maintenant professeur à l’Université Thompson Rivers. Voici ce qu’il a déclaré :

Une seule mise en garde s’impose toutefois. Les lois relatives à la polygamie doivent être appliquées en tenant compte de la vulnérabilité des femmes et des enfants qui vivent déjà dans de tels ménages. Il importe que le gouvernement fédéral travaille de concert avec les provinces pour faire en sorte que les dispositions du droit pénal en matière d’immigration qui s’appliquent à la polygamie et que les règles relatives à la famille ne nuisent pas aux personnes mêmes qu’elles sont censées aider […]

La criminalisation de la polygamie ainsi que l’adoption d’une règle contre l’immigration en vue d’un mariage polygame, et possiblement d’une autre règle prévoyant le renvoi de personnes faisant partie de familles polygames, pourraient avoir pour effet d’isoler davantage les femmes et les enfants vivant déjà dans des ménages polygames, et les autorités tant fédérales que provinciales devraient en tenir compte. Ce que je veux dire, c’est que cibler la polygamie afin d’aider des membres vulnérables de notre société peut, dans certains cas, nuire aux personnes mêmes que l’on essaie d’aider. Lorsque l’on s’attaque à la polygamie au moyen du droit pénal ou du droit de l’immigration, on ne crée pas une situation où tous sortent gagnants.

Selon moi, dans l’ensemble, les avantages de l’interdiction l’emportent sur les effets délétères. Par conséquent, j’appuie l’ajout des renvois à la polygamie dans le projet de loi, dans le cadre d’un effort général visant à dénormaliser et, éventuellement, à éliminer cette pratique. Toutefois, comme je l’ai mentionné, cela comporte des risques, et il faut prévoir diverses mesures dont les témoins précédents ont parlé, notamment des activités de sensibilisation et de l’aide sociale valable.

(1810)

Honorables sénateurs, j’aimerais vous rappeler que le Canada est signataire de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Nous avons été l’un des premiers pays à signer cette convention qui, à l’article 9, indique clairement que « le mariage ne change pas automatiquement la nationalité de la femme. Par là même, la convention attire l’attention sur le fait que le statut de la femme sur le plan de la nationalité était souvent lié au mariage et évoluait en fonction de la nationalité de son mari et, de ce fait, les femmes n’étaient pas considérées comme des personnes à part entière. »

Honorables sénateurs, j’ai relu la convention cette fin de semaine. Ma lecture m’a permis de constater que le Canada s’est engagé à éviter toute discrimination envers les femmes en fonction de leur état matrimonial. Selon cette logique, il ne faudrait pas exercer de discrimination envers une femme engagée dans une relation polygame.

Honorables sénateurs, nous devons aussi respecter nos obligations internationales, c’est pourquoi j’insiste pour que nous examinions très attentivement cette disposition. Elle pourrait bien faire du mal aux femmes que nous essayons de protéger.

Le projet de loi soulève aussi la question de l’âge minimal pour le mariage. Pour être honnête, honorables sénateurs, je ne comprends pas pourquoi on discute de l’âge minimal pour le mariage dans le cadre de l’examen de la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares. Je ne vois pas pourquoi, mais bon, qui suis-je pour soulever une telle question? Il est vrai que je ne suis pas dans le secret des dieux, mais je suis tout de même perplexe.

Le ministre a dit ceci :

La loi fédérale, qui ne s’applique qu’au Québec, fixe l’âge minimum à 16 ans. Dans le reste du Canada, la common law s’applique. Il y a un flou entourant l’âge minimum en vertu de la common law; il est probablement de 12 ans pour les filles et de 14 ans pour les garçons…

Franchement, avez-vous déjà entendu parler du mariage d’un enfant de 12 ou de 14 ans qui se serait déroulé au Canada?

… mais il pourrait être de 7 ans seulement. En fixant l’âge minimal pour le mariage à 16 ans dans l’ensemble du pays, on établirait clairement que le mariage précoce est inacceptable au Canada et qu’il ne sera pas toléré.

Honorables sénateurs, tout d’abord, j’estime qu’il s’agit essentiellement d’une question provinciale, mais je tiens à vous rappeler l’âge minimal pour le mariage dans chaque province : en Alberta, 18 ans; en Colombie-Britannique, 19 ans; au Manitoba, 18 ans; au Nouveau-Brunswick, 18 ans; à Terre-Neuve-et-Labrador, 19 ans; aux Territoires du Nord-Ouest, 19 ans; en Nouvelle-Écosse, 19 ans; au Nunavut, 19 ans; en Ontario, 18 ans; à l’Île-du-Prince- Édouard, 18 ans; au Québec, 18 ans; en Saskatchewan, 18 ans; et enfin, au Yukon, 18 ans.

Pourquoi envisageons-nous donc de le fixer à 16 ans? Je ne comprends pas, honorables sénateurs. Si nous voulons protéger les femmes, pourquoi le fixerions-nous à 16 ans alors que toutes les provinces l’ont établi à 18 ou 19 ans?

Des voix : Bravo!

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, je dis souvent que je ne comprends pas, mais c’est vraiment le cas en ce qui concerne le projet de loi dont nous sommes saisis. Le Créateur doit veiller sur moi, car je ne fais que m’attirer des problèmes. La fin de semaine dernière, pendant que je faisais mes recherches, j’ai appris qu’aux Nations Unies, le Canada et la Zambie ont pris la tête d’un mouvement visant à ce que l’âge minimal pour le mariage soit de 18 ans dans tous les pays.

Voici ce que notre ministre des Affaires étrangères, John Baird, a déclaré au terme de la Troisième Commission :

L’appui sans réserve de la communauté internationale à l’égard de cette résolution met clairement en évidence le mouvement puissant à l’échelle mondiale qui vise à éliminer une pratique qui menace la vie et l’avenir de 15 millions de filles qui sont forcées à se marier chaque année.

Il poursuit en disant ceci :

Aux 700 millions de filles et de femmes de par le monde forcées à se marier alors qu’elles étaient encore enfants, le Canada vous appuie et continuera de collaborer avec des partenaires internationaux afin de faire en sorte que vos filles et vos petites-filles ne subissent pas le même sort.

Les mariages d’enfants, précoces et forcés constituent l’un des défis du développement les plus pressants de notre époque. Notre pays agira toujours selon ses valeurs profondes que sont la liberté, la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit, afin que tous puissent en profiter.

Honorables sénateurs, j’ai ici le document produit par la Troisième Commission des Nations Unies, qui était dirigée par le Canada et la Zambie. Il y est écrit noir sur blanc que, chaque année, 15 millions de jeunes filles sont mariées avant d’atteindre l’âge de 18 ans, et qu’au total, plus de 700 millions de femmes et de jeunes filles ont connu le même sort. Sur la scène internationale, le Canada fixe la limite à 18 ans. Pourquoi, dans ce cas, dit-il qu’elle devrait être à 16 ans au Canada? Qu’est-ce qui se passe, honorables sénateurs?

Une voix : Aucune crédibilité.

Une voix : Qu’on retire cette disposition

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, j’aimerais maintenant parler des mariages forcés. Je m’intéresse à ce dossier depuis de nombreuses années, honorables sénateurs, et j’aimerais d’ailleurs remercier lord Lester, de la Chambre des lords d’Angleterre. Lui aussi s’intéresse à ce dossier depuis très longtemps. Chaque fois que je suis allée à Londres, il me disait que, pour avoir étudié les communautés concernées, il était convaincu qu’fallait aborder la question sous l’angle du droit civil. Il a directement contribué à ce que, dans son pays, les mariages forcés soient régis par le droit civil.

En 1999, honorables sénateurs, j’ai donné une conférence sur les mariages forcés à Bruxelles, en Belgique. Je n’ai pas le temps aujourd’hui de vous lire ma présentation au complet, mais disons seulement que j’ai surtout parlé des effets destructeurs que peuvent avoir les mariages forcés. Je disais qu’ils pouvaient détruire des communautés au grand complet, et je concluais en disant que, que nous le voulions ou pas, les mariages forcés sont une réalité dans de nombreuses sociétés industrialisées, surtout celles où on compte une forte proportion d’immigrants, et il faudra, tôt ou tard, que nous décidions si l’ensemble des femmes ont les mêmes droits fondamentaux, quelle que soit leur origine ethnique. Si jamais quelqu’un souhaite jeter un œil au reste du document, je l’ai avec moi.

Honorables sénateurs, à l’étape de la deuxième lecture, j’ai dit à plusieurs reprises que je croyais que le fait de criminaliser les familles arrangeant un mariage forcé était la mauvaise façon de procéder. Je crois qu’agir ainsi est vraiment une erreur.

J’ai depuis parlé à de nombreuses jeunes filles qui m’ont appelée après m’avoir entendue parler. Elles m’ont dit qu’elles avaient été mariées de force, mais qu’elles croyaient tout de même que leurs parents les aimaient et que rien ne pourrait les pousser à aller voir les policiers pour qu’ils emprisonnent leurs parents. Elles croient que cela leur ferait perdre l’amour de leurs frères et sœurs, ainsi que celui de leur communauté, ce qui les priverait de leurs racines. Elles m’ont dit qu’il fallait trouver un moyen de mettre fin aux mariages forcés sans détruire complètement leur vie en les forçant à quitter leur famille, leur collectivité et tout ce qu’elles connaissent.

Honorables sénateurs, je dois vous dire que je suis très fière du premier ministre quand il se rend en Afrique occidentale pour parler des mariages forcés. Il est très important que le premier ministre indique que, dans notre pays, nous n’accepterons pas les mariages forcés et que nous contribuerons à la lutte contre cette pratique partout dans le monde. Cependant, si nos efforts sont vraiment sincères, nous écouterons les petites filles qui nous supplient de ne pas les séparer de leurs familles et de leurs collectivités, les privant ainsi de leurs racines, et qui veulent seulement que nous mettions fin à cette pratique.

Je pourrais continuer ainsi, mais je n’ai pas le temps. Le projet de loi empêchera ces jeunes filles de demander de l’aide. Elles ne vont pas dire au gouvernement que leurs parents sont barbares et lui demander de les envoyer en prison.

(1820)

L’autre chose à laquelle personne n’a pensé, c’est que, si vous êtes un immigrant et que vous vous adressez à la police et que votre père est accusé et reconnu coupable, toute la famille sera expulsée. Pensez-vous qu’une petite fille voudra que sa famille soit expulsée afin qu’elle ne soit pas obligée de contracter un mariage forcé? Que fera-t-elle? Voilà les choix que nous donnons.

Honorables sénateurs, je vous demande de bien réfléchir à ce que nous faisons.

À l’étape de la deuxième lecture, j’ai longuement parlé de la provocation, du fait qu’elle n’a jamais été utilisée pour les meurtres d’honneur. J’aimerais encore une fois vous parler longuement des meurtres d’honneur et de la provocation; je le ferai peut-être un autre jour.

J’aimerais vous recommander un livre que le Secrétariat à la condition féminine du Québec a écrit sur les meurtres d’honneur. Mme Miville-Dechêne est venue témoigner devant notre comité. Je félicite vraiment le Secrétariat à la condition féminine du Québec de cette étude dans laquelle il explique en détail ce qu’est un meurtre d’honneur. Je ne peux pas vous dire combien de fois elle nous a demandé de nous débarrasser du titre. Ce n’est pas la bonne façon de faire les choses; ce n’est pas la bonne façon de créer l’harmonie.

Honorables sénateurs, je n’ajouterai rien d’autre concernant la provocation, sauf que le ministre a déclaré qu’il veut faire cesser les meurtres d’honneur. Moi aussi, je veux les faire cesser. Nous sommes sur la même longueur d’onde, mais s’il veut les faire cesser, pourquoi ne pas simplement publier une déclaration pour dire que les tribunaux n’utiliseront jamais les meurtres d’honneur comme défense? Pourquoi changer la définition de « provocation »? Pourquoi ne pas envoyer un message clair à tout le monde : le Canada n’accepte pas les meurtres d’honneur? Pourquoi ne pas le stipuler dans le Code criminel? Pourquoi ne pas dire que les meurtres d’honneur ne serviront jamais de défense pour la provocation ou le meurtre? Ce serait bien. J’en serais satisfaite. Le projet de loi ne parle pas de meurtres d’honneur, il tourne autour du pot. Tout ce qu’il fait, c’est changer la définition de « meurtres d’honneur ».

Le projet de loi ne dit pas un mot sur les meurtres d’honneur. Dans dix ans, voire dans cinq ans, qui se souviendra de la raison d’être de cette modification de la loi? Pourquoi a-t-on choisi de changer la définition de la provocation, un concept déjà présent dans notre système pénal? Quand ils s’expriment, ils emploient l’expression « meurtre d’honneur », mais ils ont choisi de ne pas s’en servir dans le projet de loi. Ils ont tort.

Le comité a entendu de nombreux témoins lui dire que le projet de loi doit être accompagné de mesures de prévention. Voici ce que nous a indiqué Aruna Papp, qui est une partisane du projet de loi :

J’ai rencontré le ministre juste avant de venir témoigner devant votre comité et je l’ai prévenu. Je lui ai dit : « Si j’accepte de venir parler de ce projet de loi, c’est que j’ai bon espoir qu’il sera accompagné des ressources nécessaires. C’est très important. » Le ministre a acquiescé. Je pense que nous sommes sur la bonne voie. Nous faisons de la prévention et nous commençons la sensibilisation dans les écoles. Nous en parlons à tous les parents, y compris à l’école primaire. Les gens sont choqués lorsque des adolescentes rentrent chez elles et auraient aussitôt envie de retourner à l’école.

Elles voudraient sortir avec leurs amies.

Nous avons besoin de ressources.

Honorables sénateurs, j’aurais un dernier mot à dire. J’ai travaillé avec Aruna, Naila et Deepa pendant de nombreuses années. Je connais l’excellent travail qu’elles accomplissent et j’ai beaucoup de respect pour elles.

J’ai également collaboré avec Alia Hogben, qui préside le Conseil canadien des femmes musulmanes, et je voudrais que vous lisiez ses paroles dans le compte rendu de l’audience. Elle est d’avis que considérer des enfants comme différents de nous et ne pas les considérer comme les nôtres revient à leur accorder une forme de traitement différent. Elle précise qu’elle est travailleuse sociale. Elle est parfaitement au courant de ce qui s’est produit dans l’affaire Shafia. Lorsque ces jeunes filles ont demandé de l’aide, elles n’en ont pas reçu parce qu’on ne les a pas considérées comme des Canadiennes — et ce n’est pas moi qui le dis, c’est bien elle. On leur a réservé un traitement différent.

Honorables sénateurs, je pourrais vous répéter pendant des heures que, à cause de ce projet de loi, nous serons perçus comme étant différents. Ces jeunes filles étaient Canadiennes; elles étaient originaires du Canada. Les jeunes filles dont nous parlons étaient Canadiennes. Nous devons protéger nos jeunes filles.

Honorables sénateurs, à l’étape de la deuxième lecture, je vous ai dit que nous pouvions raccommoder les fissures et faire régner l’harmonie, plutôt que de faire des coups bas et de diviser les collectivités. Voilà le pouvoir que possèdent les membres de la classe politique.

Je tiens à vous dire aujourd’hui que, à l’approche de Noël, une des plus belles choses que nous pouvons constater, c’est l’harmonie et l’amour qui règnent au sein de notre société, de nos familles et de nos collectivités. Après les événements survenus sur la Colline du Parlement, regardez à quel point les gens sont chaleureux les uns envers les autres alors que les Fêtes approchent à grands pas; c’est parce que l’harmonie nous tient à cœur.

Honorables sénateurs, ce projet de loi divise nos collectivités. Vous n’avez aucune idée à quel point certaines d’entre elles sont bouleversées à l’idée d’être qualifiées de « barbares ».

Quand j’étais petite, ma mère rêvait que je devienne pianiste. Mon père, quant à lui, disait que j’allais faire de la politique. Vous savez maintenant qui a eu raison — mon père. Ma mère est décédée depuis trois ans. Au moment où j’examinais ce projet de loi, je me suis souvenue de ce qu’elle me disait. Quand j’étais petite, pour l’agacer en rentrant de l’école, je jouais parfois au piano en n’utilisant que les touches blanches. Vous en ferez l’expérience. Il n’est pas possible de jouer un morceau harmonieux en n’utilisant que les touches blanches. Parfois, je ne jouais que sur les touches noires. Vous essaierez cela aussi. Ce n’est pas harmonieux. Ma mère me disait alors qu’il fallait jouer à la fois sur les touches blanches et les touches noires pour que la musique soit harmonieuse.

Honorables sénateurs, je vous le dis, ce genre de projet de loi qui divisera des communautés viendra détruire la belle harmonie qui règne dans notre pays. Il faut que tout le monde se sente inclus dans notre communauté; ne la divisez pas.

Honorables sénateurs, je vous demande de ne pas passer maintenant à la troisième lecture du projet de loi, car j’aimerais proposer un certain nombre d’amendements.

Motion d’amendement

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose que le projet de loi S-7 ne soit pas lu maintenant pour la troisième fois, mais qu’il soit modifié :

a) à la page 2,

(i) à l’article 4, par substitution, à la ligne 8, de ce qui suit :

« d’avoir atteint l’âge de dix-huit ans. »,

(ii) par adjonction, après la ligne 21, de ce qui suit :

« Modification corrélative

Loi d’harmonisation n1 du droit fédéral avec le droit civil

5.1 L’article 6 de la Loi d’harmonisation n1 du droit fédéral avec le droit civil est remplacé par ce qui suit :

6. Nul ne peut contracter mariage avant d’avoir atteint l’âge de dix-huit ans. »;

b) à la page 3,

(i) à l’article 7, par substitution, aux lignes 12 à 26, de ce qui suit :

« 7. L’article 232 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (2), de ce qui suit :

(2.1) Malgré le paragraphe (3), le fait que l’accusé croit que la victime ait agi d’une manière socialement ou moralement inappropriée ou inacceptable et qu’elle ait déshonoré l’accusé ou la famille de l’accusé ou en ait été la honte n’équivaut pas à une provocation pour l’application du présent article. »,

(ii) à l’article 8, par substitution, aux lignes 33 à 37, de ce qui suit :

« constituerait une infraction visée aux articles 293.1 ou »;

c) à la page 4, à l’article 9, par substitution, à la ligne 12, de ce qui suit :

« atteint l’âge de dix-huit ans. »;

d) à la page 7,

(i) à l’article 14, par substitution, à la ligne 7, de ce qui suit :

« mariage de personnes de moins de dix-huit ans) ou »,

(ii) à l’article 15, par substitution, à la ligne 25, de ce qui suit :

« de dix-huit ans) ou 810.2 (engagement — »;

e) par intégration des changements nécessaires à la désignation numérique des dispositions et aux renvois.

Au fond, honorables sénateurs, je demande que l’âge passe de 16 à 18 ans et que la définition du terme « provocation » soit supprimée pour la remplacer par une autre définition.

Je vous remercie, honorables sénateurs.

Des voix : Bravo!

(1830)

Son Honneur le Président : Le débat porte sur les amendements.

L’honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, je souhaite poser quelques questions à la sénatrice Jaffer. La sénatrice a beaucoup investi dans le projet de loi. Ses déclarations sont fort exhaustives.

Son Honneur le Président : Sénatrice Jaffer, il vous reste six minutes. Nous pouvons les passer à répondre à des questions même si le débat porte sur les amendements. Je suis disposé à permettre que les six minutes soient consacrées aux questions.

La sénatrice Cools : Sénatrice Jaffer, je vous remercie beaucoup pour un discours et une analyse que je qualifierais de très convenables et indiqués.

Quelques aspects du projet de loi sont plutôt gênants. J’aimerais que vous nous en parliez. Je vais vous poser certaines questions afin que vous puissiez y répondre.

Le projet de loi S-7 est une ingérence massive du gouvernement fédéral dans les champs de compétence des provinces, notamment la célébration du mariage, la propriété et les droits civils, établis aux termes de l’article 92. Il est très important que nous nous penchions sur cette question car, comme tout le monde le sait, la compétence sur la célébration du mariage a été accordée aux provinces dans l’une des versions subséquentes de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique à l’insistance du Québec, qui tenait à ce que les mariages soient effectués et célébrés par des prêtres catholiques plutôt que protestants.

Je constate, après avoir consulté la liste des témoins, qu’aucun procureur général provincial n’a été invité à comparaître.

La sénatrice Jaffer : Je me suis bel et bien penchée sur la question, et, d’après ce que j’ai pu comprendre, le gouvernement fédéral et les provinces ont une compétence partagée dans le domaine; ainsi, le gouvernement fédéral a le pouvoir de fixer l’âge minimal à partir duquel quelqu’un peut se marier aux fins de l’application de la Loi sur le divorce et autres. D’après ce que j’ai pu comprendre, le projet de loi est recevable. Mais nous n’avons invité aucun constitutionnaliste à comparaître; il se peut donc que j’aie tort.

La sénatrice Cools : Sénatrice Jaffer, vous avez mentionné à plusieurs reprises la Loi sur le mariage civil. Cette loi a été adoptée récemment, en 2005, avec le seul objectif d’accorder aux couples de même sexe le droit au mariage. Toutes les autres questions relatives au mariage sont entièrement demeurées de la compétence des provinces. Je n’ai pas compris pourquoi le projet de loi S-7 propose de modifier la Loi sur le mariage civil. Peut-être pouvez-vous nous donner une explication?

La sénatrice Jaffer : Non, j’ignore la raison.

La sénatrice Cools : Il y a une dernière chose que je souhaite aborder, honorables sénateurs : de prime abord, le projet de loi semble employer le Code criminel comme un outil pour réglementer le mariage, un outil assez grossier et rudimentaire, ce qui est une autre forme d’ingérence dans une sphère presque sacrée des compétences provinciales, soit la célébration de mariages. Avez- vous des observations à nous livrer sur ce sujet?

La sénatrice Jaffer : Lorsqu’un projet de loi est présenté, c’est pour régler un problème, qui pourrait être lié à la cyberintimidation ou à Internet. Il est question ici d’un projet de loi omnibus. On y traite de polygamie, de mariage forcé et de l’âge de la nubilité au pays. On y prévoit également des modifications au Code criminel. Il s’agit d’un projet de loi fourre-tout. Nous n’avons pas eu l’occasion de nous entretenir avec le ministre de la Justice, qui a décliné l’invitation de comparaître devant notre comité parce que le ministre de l’Immigration est responsable du dossier. Les trois questions relevaient de son portefeuille, mais le ministre de l’Immigration est le ministre responsable du projet de loi à l’étude.

L’honorable Nicole Eaton : Mon intervention ne saurait rivaliser de sophistication avec les arguments juridiques de la sénatrice Cools, mais je dirai que pendant son témoignage, le ministre n’a pas mentionné une seule fois les personnes. Il n’a parlé que d’actes barbares.

Ne serait-il pas barbare de dire à ma fille de 15 ans : « Chérie, je crois que ce serait financièrement avantageux pour moi si tu allais à Bountiful pour épouser ton cousin âgé de 20 ans »?

La sénatrice Jaffer : Je ne comprends pas votre question. Qu’est- ce qui est barbare? Je ne comprends pas. J’ai cité les propos exacts du ministre, alors je ne suis pas sûre de comprendre où vous voulez en venir.

La sénatrice Eaton : Le ministre n’a jamais qualifié qui que ce soit de barbare. Il a parlé de comportements barbares.

La sénatrice Jaffer : Il a dit que la violence envers les femmes était barbare.

La sénatrice Eaton : N’êtes-vous pas du même avis?

La sénatrice Jaffer : J’espère que vous avez entendu tout mon discours. J’ai dit que, compte tenu des circonstances actuelles, nous ne pouvons pas dire que la violence envers les femmes est barbare. Si nous considérons cela comme un comportement barbare, alors tous les actes de violence commis au Canada sont barbares, y compris ceux commis envers les femmes et les jeunes filles autochtones disparues. Pourquoi ne menons-nous pas une enquête nationale à ce sujet? C’est un cas de comportement barbare.

Pourquoi ne pas mener une enquête nationale à ce sujet? Voilà ce qui est barbare.

La sénatrice Eaton : Je ne m’oppose pas à ce que vous dites, mais ce n’est pas l’objet du projet de loi. Tout geste qui vise à s’en prendre aux femmes est barbare. Je suppose que je ne comprends pas pourquoi vous avez tant de difficulté à croire qu’un mariage précoce ou forcé n’est pas barbare. J’ai du mal à comprendre pourquoi vous pensez que c’est acceptable, et qu’il faudrait peut-être se montrer plus souple parce que ce ne sont pas nos coutumes. Non. N’est-il pas barbare de forcer quelqu’un à se marier à un âge précoce?

(1840)

La sénatrice Jaffer : Je ne peux pas interpréter ce que vous croyez, parce que je ne peux pas lire dans vos pensées. Cependant, je vous ai dit que je me penche sur les problèmes liés au mariage forcé depuis 1999. Je veux que les petites filles obtiennent de l’aide. Je ne veux pas qu’elles aient à subir cela. Toutefois, ce n’est pas en traitant leur père de barbare qu’on y parviendra.

Son Honneur le Président : Sénatrice Jaffer, souhaitez-vous disposer de cinq minutes de plus pour terminer vos observations? Non?

La sénatrice Jaffer : Non.

Son Honneur le Président : L’honorable sénateur Eggleton souhaite-t-il participer au débat?

L’honorable Art Eggleton : Non.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

La sénatrice Martin : Le vote!

Son Honneur le Président : Nous allons commencer par l’amendement.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président : Puis-je avoir les instructions des whips?

L’honorable Elizabeth (Beth) Marshall : Que la sonnerie retentisse durant 30 minutes.

L’honorable Jim Munson : Que la sonnerie retentisse durant 30 minutes.

Son Honneur le Président : Le vote aura lieu à 19 h 11.

Convoquez les sénateurs.

(1910)

La motion d’amendement, mise aux voix, est rejetée.