2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 153

Le mardi 16 juin 2015
L’honorable Leo Housakos, Président

Projet de loi visant la délivrance simple et sécuritaire des permis d’armes à feu

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends moi aussi la parole au sujet du projet de loi C-42 sur les armes à feu.

Honorables sénateurs, depuis que je suis ici, et cela fait bien des années, j’ai appris que rien ne divise autant les gens, ou ne suscite autant les passions, que le dossier des armes à feu et de leur contrôle.

Lorsque je suis arrivée au Sénat, je ne comprenais pas pourquoi il en était ainsi parce que j’avais une certaine connaissance des armes à feu. Je respecte maintenant le point de vue de mon amie, la sénatrice Beyak, et je comprends que les gens puissent vouloir se servir de leurs armes à feu sans être entravés par toutes sortes de formalités administratives. Toutefois, je veux vous dire que je viens d’un endroit où, lorsque j’étais toute jeune, des armes à feu ont été utilisées contre ma famille. Des armes ont été utilisées contre ma collectivité. J’ai toujours eu un gros préjugé en faveur du contrôle des armes à feu, pensant que cette mesure sauve des collectivités et des familles. J’aimerais que l’on fasse preuve d’une plus grande retenue.

En tant qu’avocate, j’ai gagné beaucoup de causes liées au droit de la famille et au divorce mais, malheureusement, j’ai perdu des clientes parce que leurs maris avaient facilement accès à des armes à feu.

Au cours des années 1990, le premier ministre Mulroney m’avait nommé à un comité chargé d’étudier le dossier de la violence faite aux femmes. C’était un comité national qui s’est déplacé d’un bout à l’autre du pays. La sénatrice Marjory LeBreton avait joué un rôle de premier plan dans la constitution de ce groupe. Elle se souvient que celui-ci s’est rendu dans toutes les régions du Canada.

Honorables sénateurs, nous avons rencontré un grand nombre de jeunes filles et de femmes qui avaient été blessées par des armes à feu. Toutefois, l’image qui restera gravée dans ma mémoire est celle d’une femme de Terre-Neuve qui avait été défigurée par une arme à feu. Je ne vais pas vous décrire son visage, parce que je ne serais pas capable de terminer mon discours. Je ne peux pas non plus vous décrire les souffrances et les chirurgies endurées par cette femme. Elle nous répétait sans cesse : « Si seulement des restrictions avaient été imposées à mon mari, je ne souffrirais pas de la sorte. »

Lorsque je me suis devenue membre du Comité sur la violence faite aux femmes, j’ai rencontré Mme Edward. Mme Edward venait tout juste de perdre sa fille à l’École Polytechnique, et j’ai été frappée de voir à quel point elle était déterminée à changer la vie d’autres personnes. Je n’oublierai jamais ce qu’elle m’a dit la première fois que je suis allée à Montréal.

Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle luttait avec autant d’acharnement, compte tenu qu’elle avait déjà perdu sa fille, elle m’a regardée dans les yeux et elle a dit : « Je ne veux pas qu’une autre mère souffre comme je souffre tous les jours. »

Honorables sénateurs, la mesure législative proposée modifie la Loi sur les armes à feu et le Code criminel. Les changements apportés à la Loi sur les armes à feu simplifient le régime de licences en éliminant les permis pour possession seulement et en les convertissant en permis de possession et d’acquisition. Les modifications prévoient aussi une période de grâce de six mois à compter de la date d’expiration d’un permis valide. Cette mesure permet aux détenteurs de permis de respecter les conditions fixées tout en continuant de posséder légalement des armes à feu sans crainte de se voir imposer des sanctions pénales.

Le projet de loi stipule que les demandeurs d’un premier permis d’arme à feu devront suivre une formation obligatoire. En outre, les préposés aux armes à feu devront automatiquement délivrer une autorisation de transport lorsqu’ils approuveront la cession, par exemple dans le cas d’un changement de propriétaire.

Par ailleurs, lorsque des entreprises importeront des armes à feu prohibées ou à autorisation restreinte, elles devront en informer à l’avance les responsables du Programme canadien des armes à feu de la GRC.

(1450)

Les changements apportés au Code criminel visent à renforcer les dispositions relatives aux ordonnances d’interdiction de possession d’armes à feu, en cas de condamnation pour une infraction avec violence familiale. Le projet de loi définit l’expression « arme à feu sans restriction » et confère au gouverneur en conseil le pouvoir de désigner par règlement une arme à feu comme étant une arme à feu sans restriction ou une arme à feu à autorisation restreinte.

Honorables sénateurs, je tiens à féliciter le ministre d’avoir inclus une interdiction obligatoire dans les cas de violence familiale. C’est une mesure que les gens comme moi qui se sont penchés sur ce dossier demandent depuis des années. Par conséquent, je le remercie d’avoir inclus cette interdiction.

Je pense que vous connaissez les préjugés que j’entretiens. J’en ai déjà parlé et je les affiche clairement. Étant donné que plusieurs d’entre vous ont des expériences différentes de la mienne, vous sondez les gens relativement à des dossiers qui sont importants pour vous. Je fais de même auprès de la population que je sers à Vancouver, afin que celle-ci soit entendue. C’est pour cette raison que je suis en faveur d’un contrôle des armes à feu.

Nous avons reçu des mémoires. Dans le document qu’elle a présenté, la Coalition pour le contrôle des armes fait valoir que le projet de loi C-42 propose des modifications importantes à la Loi sur les armes à feu et au Code criminel, notamment en assouplissant les contrôles sur les armes de poing et les armes à autorisation restreinte; en diminuant les pouvoirs du contrôleur provincial des armes à feu, ce qui empêche les provinces d’établir des normes différentes des normes fédérales relativement à l’application de la mesure législative; en permettant au gouvernement plutôt qu’à la GRC de déterminer quelles armes sont prohibées ou restreintes, ce qui accroît l’influence des groupes de pression et des programmes politiques dans la prise des décision liées à la sécurité publique; et, enfin, en assouplissant les contrôles sur les permis pour la possession d’armes, y compris les permis visant les armes de poing.

Les membres de la coalition ont expliqué comment le projet de loi affaiblira les contrôles existants et fera ainsi courir au public des risques plus grands liés à violence armée et à d’autres crimes. Ils ont fait valoir que l’enregistrement est le processus qui fait en sorte que les propriétaires d’armes à feu agissent de manière responsable, puisque la seule façon de rendre les propriétaires d’armes à feu vraiment responsables consiste à associer chaque arme à feu à son propriétaire légal.

Avec une telle responsabilité, les propriétaires sont plus susceptibles d’entreposer leurs armes à feu conformément aux règles et sont surtout moins susceptibles de les prêter ou de les vendre à des gens qui ne sont pas autorisés à en posséder.

L’enregistrement donne également aux policiers les meilleurs renseignements disponibles concernant la présence possible d’armes à feu dans une résidence et leur permet de savoir quelles armes ils doivent confisquer aux personnes qui font l’objet d’une ordonnance leur interdisant de posséder des armes à feu pour des raisons de sécurité.

La coalition nous a demandé, honorables sénateurs, de rejeter le projet de loi C-42.

Honorables sénateurs, en rédigeant mon discours, j’en suis arrivée à la conclusion que je ne serais pas capable d’exprimer les mots qui ont été prononcés par des témoins devant le comité. Je vais donc lire ce que certains témoins ont dit.

Le sénateur Baker, qui est vice-président du comité, a demandé aux témoins ce qu’ils aimeraient voir au Canada, étant donné qu’ils avaient des opinions complètement différentes, qui allaient de l’interdiction de toutes les armes à feu au système que nous avons en place actuellement. « Qu’aimeriez-vous voir? » Mme Rathjen, une survivante des événements de Polytechnique, a dit ceci :

En ce qui a trait au projet de loi C-42, je ne vois aucune modification qui pourrait être apportée pour justifier son adoption, d’après nous. Notre groupe ne préconise pas l’interdiction de toutes les armes à feu. Nous en préconisons plutôt un contrôle raisonnable. La loi adoptée en 1995, à savoir le projet de loi C-68, en combinaison avec le projet de loi C-17, qui avait été adopté avant, représente assez bien le système raisonnable de contrôle des armes à feu que nous soutenons en ce qui concerne l’interdiction des armes d’assaut. À l’époque, les règlements étaient actuels, mais ils n’ont pas été modernisés depuis. Voilà pourquoi beaucoup d’armes d’assaut sont toujours considérées comme légales. Pour ce qui est des lois que nous aimerions avoir, ce serait en gros ce que nous avions avant que le présent gouvernement mette la hache dans le registre et dans bien d’autres mesures.

La professeure Cukier a déclaré ce qui suit :

La question comporte deux volets. Sur le plan législatif, en ce qui concerne les permis d’armes à feu, les difficultés ne sont pas de nature réglementaire. Elles sont plutôt liées à l’application. Nous avons constaté une détérioration de l’application des dispositions relatives à la délivrance de permis en raison des amnisties et, pour être honnête, de l’application inégale de la loi. Un système solide de délivrance des permis est la clé.

Lorsque l’enregistrement des armes à feu a été éliminé, cela a donné lieu non seulement à l’élimination de données sur plus de 6 millions d’armes à feu qui avaient été enregistrées, mais cela a aussi éliminé une disposition qui était en vigueur depuis 1977 et qui faisait en sorte que la vente d’une arme soit enregistrée au point de vente. À l’heure actuelle, nous exerçons un moins grand contrôle sur la vente d’armes à feu au Canada que ne le font la plupart des États américains. Nous ne respectons plus un grand nombre de règles internationales en matière de trafic d’armes à feu. Il s’agit d’une lacune importante à laquelle il faut remédier.

J’aimerais répéter ce que Mme Rathjen a dit au sujet de la mise à jour de la liste des armes prohibées. C’est quelque chose que la police réclame depuis au moins 10 ans. La liste des armes prohibées établie en 1995 n’a pas réellement été mise à jour depuis ce temps-là, sauf de façon sporadique. Certains États ont des listes d’armes autorisées, qui permettent d’éviter que les fabricants modifient de petites caractéristiques et créent ainsi des échappatoires. Le dossier au complet doit faire l’objet d’un examen. Il faut maintenir des restrictions sévères relativement aux armes de poing et aux autres armes à autorisation restreinte. On soulignerait ainsi l’importance de lois qui sont conformes aux normes internationales et aux mesures établies dans la plupart des pays du monde.

Quant à Mme Rathjen, elle a mentionné ce qui suit :

J’ajouterais que, lorsque les lois sur le contrôle des armes à feu fonctionnent, il n’y a pas de gros titres, et il y a moins de fusillades. On ne peut voir aucun signe se rapportant à la prévention. Ce qu’il est possible de voir, toutefois, ce sont des collectivités sûres, et cela ne fait pas les manchettes. Investir dans le contrôle des armes à feu, c’est investir dans la sécurité de nos collectivités. On ne veut pas s’engager sur la même voie que nos voisins du Sud. Chaque fusillade constitue une tragédie. Chaque coup de feu tiré par un policier est une tragédie, et la plupart des policiers qui sont tués dans l’exercice de leurs fonctions sont tués d’un tir d’arme à feu. Investir dans le contrôle des armes à feu ne comprend pas uniquement les sommes investies par rapport au nombre de décès. Il faut établir une comparaison entre ce que nous investissons et la sécurité de nos collectivités. Lorsque nos collectivités sont en sécurité, alors les investissements ont valu la peine.

Si vous me le permettez, j’aimerais ajouter que depuis qu’on a mis en œuvre de nouvelles mesures à la suite de la fusillade de la Polytechnique, le nombre de décès et de crimes liés aux armes à feu a diminué progressivement, au point où, en 2011, qui est l’année où la loi a entièrement été mise en œuvre — même si on a accordé des amnisties qui allaient à l’encontre de certaines mesures, la loi était en place —, on a observé le plus faible taux d’homicides commis à l’aide d’armes à feu en 50 ou en 60 ans.

J’ai posé une question à Mme Rathjen au sujet des permis. Voici ce qu’elle a répondu :

Les permis sont importants, et il est tout aussi important de présenter son permis et faire l’objet d’une vérification avant de pouvoir obtenir un permis. C’est un problème qui comporte deux aspects.

Premièrement — faisons abstraction du projet de loi C-42 —, lorsque le gouvernement a aboli le registre en adoptant le projet de loi C-19, il n’a pas seulement éliminé le registre; il a aussi éliminé l’obligation, pour le vendeur, de vérifier la validité du permis de l’acheteur. Donc, même s’il existe un excellent système de vérification en ce qui concerne les permis, si les transactions sont effectuées indépendamment de ce système, il est impossible de vérifier si le permis d’une personne qui achète une arme est expiré ou a été révoqué, s’il s’agit d’un faux permis ou si la personne possède bel et bien un permis, car il se pourrait qu’elle n’en ait tout simplement pas. Si le vendeur n’est pas tenu de vérifier le permis et que l’appel n’est consigné nulle part, à mon avis, cela compromet sérieusement tout le système de permis de possession d’arme à feu.

Deuxièmement, comme je le disais, le registre est utile entre autres parce qu’il permet de fournir plus de renseignements aux policiers qui arrivent sur la scène d’une querelle de ménage, arrêtent un suspect ou se trouvent dans une situation d’urgence. Il leur donne plus de renseignements sur le nombre et le type d’armes qui peuvent se trouver sur les lieux. Le gouvernement affirme que sans le registre, tout ce dont on aura besoin, c’est un permis, car on saura ainsi si un propriétaire d’armes à feu habite ou non à cet endroit, et on pourra donc supposer qu’il y a ou non des armes à feu sur les lieux.

Le projet de loi C-42 compromet ce mécanisme, car il accorde une période de grâce de six mois. Le système comporte donc une lacune.

Il est possible qu’une personne déménage et ne mette pas son permis à jour. Dans un tel cas, lorsque les policiers se rendent sur la scène du crime et consultent le système, ils disposent d’informations partielles ou même fautives, ce qui mine sérieusement l’utilité du permis de possession. Celui-ci demeure important, mais, étant donné la façon dont la loi est mise en œuvre, il existe des brèches à travers lesquelles un camion pourrait passer.

(1500)

Honorables sénateurs, je veux maintenant vous lire une lettre de Mme Edward qui, pour autant que je sache, a témoigné à plusieurs reprises devant le Sénat. Malheureusement, pour des raisons que j’ignore, Mme Edward n’a pas été en mesure de témoigner devant notre comité cette fois-ci. Je lui ai parlé par la suite. En larmes, elle m’a dit qu’il fallait que sa voix soit entendue. Honorables sénateurs, je lui ai promis de lire sa déclaration devant tous mes collègues du Sénat. C’est pourquoi je vous lis sa lettre, que voici :

Je me nomme Suzanne LaPlante Edward. Je suis la mère d’Anne-Marie Edward, une fille magnifique et pleine de talent qui a été assassinée à l’École Polytechnique, où elle étudiait afin de devenir ingénieure. Sa mort a eu lieu le 6 décembre 1989, il y a 25 ans.

Depuis, mon mari Jim, notre fils Jimmy et moi-même, ainsi que d’autres familles, des survivants et des centaines de bénévoles nous efforçons de faire du Canada un endroit plus sûr. Nous voulons faire en sorte que notre pays n’emprunte jamais la même voie que celle de nos voisins du Sud.

Nous nous sommes rendus à Ottawa à maintes reprises dans le but de convaincre les législateurs de l’importance de bien contrôler les armes à feu. Notre plus récente visite remonte au jeudi 11 juin dernier. Nous tenions à assister aux audiences du Sénat sur le projet de loi C-42, où les représentants de PolySeSouvient et de la Coalition pour le contrôle des armes ont expliqué en quoi le projet de loi affaiblirait les mesures de protection et exposerait la population à un risque accru de violence liée aux armes à feu et d’autres actes criminels.

Ensemble, au cours des six longues années qui ont suivi la perte de notre fille, nous sommes parvenus à faire proposer des mesures de contrôle des armes à feu exhaustives et efficaces, à savoir l’interdiction des armes d’assaut et des chargeurs grande capacité, l’instauration de permis de possession pour tous les propriétaires d’arme à feu et l’obligation d’enregistrer tous les fusils.

L’enregistrement est le processus qui fait en sorte que les propriétaires d’armes à feu agissent de manière responsable, puisque la seule façon de rendre les propriétaires d’armes à feu vraiment responsables consiste à associer chaque arme à feu à son propriétaire légal. Avec une telle responsabilité, les propriétaires sont plus susceptibles d’entreposer leurs armes à feu conformément aux règles et sont surtout moins susceptibles de les prêter ou de les vendre à des gens qui ne sont pas autorisés à en posséder. L’enregistrement donne également aux policiers les meilleurs renseignements disponibles concernant la présence possible d’armes à feu dans une résidence et leur permet de savoir quelles armes ils doivent confisquer aux personnes qui font l’objet d’une ordonnance leur interdisant de posséder des armes à feu pour des raisons de sécurité.

L’adoption de la loi relative au contrôle des armes à feu, en décembre 1995, a concrétisé les mesures qui s’imposaient, de l’avis des experts en sécurité publique, afin de réduire au minimum le risque que les armes à feu soient employées à mauvais escient, dans un but de commettre un acte criminel ou violent. Ces experts — des associations de policiers, des chefs de police, des intervenants en prévention du suicide, des groupes de défense des intérêts des femmes victimes de violence familiale ainsi que des services de santé publique — ont affirmé que le Canada disposait enfin des outils nécessaires pour bien protéger les Canadiens.

Malheureusement, depuis qu’il est arrivé au pouvoir, le gouvernement […] se range du côté du lobby des armes à feu. À sa demande, le gouvernement […] a détruit le registre des armes d’épaule, ce qui fait qu’il n’est plus possible de retrouver le propriétaire d’une arme d’épaule. Le gouvernement a également permis la commercialisation d’une foule de nouvelles armes d’assaut. Il a éliminé l’obligation des particuliers ou des commerçants de vérifier la validité du permis d’un acheteur potentiel avant de lui vendre une arme, ce qui facilite les ventes illégales. Il a éliminé l’obligation des entreprises qui vendent des armes à feu de tenir un registre des ventes ou de tenir un inventaire à jour. Sans ces mesures de contrôle des stocks, les policiers ne peuvent pas s’assurer qu’il n’y a pas de vendeurs malhonnêtes qui détournent leur arsenal vers le marché noir. Ils ne peuvent plus retracer une arme à feu trouvée sur les lieux d’un crime jusqu’au magasin qui l’a vendue comme les policiers peuvent le faire aux États-Unis. C’est d’ailleurs de cette façon qu’ils ont pu identifier le meurtrier de ma fille. Ils ont examiné le registre des ventes d’un magasin d’armes à feu situé à Montréal. À cause des conservateurs, les policiers ne peuvent même plus faire cela.

Nous n’arrivons pas à comprendre pourquoi ce gouvernement qui prétend défendre la loi et l’ordre voudrait rendre la tâche plus difficile aux policiers qui cherchent à déceler les ventes illégales ou à déterminer la provenance des armes à feu dans le cadre de leurs enquêtes. En éliminant les outils efficaces dont les policiers ont besoin pour protéger la population, je crois qu’on exerce le pouvoir législatif de la façon la plus irresponsable que l’on puisse imaginer, puisqu’on met en danger la vie de la population par intérêt politique.

Les familles comme la mienne qui ont perdu un proche assassiné au moyen d’une arme à feu se sentent impuissantes devant un gouvernement qui continue d’affaiblir nos lois en matière de contrôle des armes à feu. Les gens du parti au pouvoir mentent lorsqu’ils disent se porter à la défense des victimes. Les victimes veulent effectivement obtenir justice, mais pour cela, il faut que les policiers puissent arrêter les contrevenants, ce qu’ils sont moins en mesure de faire lorsqu’on leur enlève les outils dont ils ont besoin pour mener leur enquête. Nous voulons également que la perte de nos proches ne soit pas en vain. Nous voulons que la société tire des leçons de notre souffrance afin que d’autres n’aient pas à souffrir comme nous. Nous voulons des mesures de prévention et non des peines plus sévères, puisque les experts disent que cela n’a aucun effet dissuasif. Le meurtrier de notre fille s’est enlevé la vie après la tuerie. Des peines plus sévères n’auraient servi à rien. Habituellement, les criminels ne prévoient pas se faire prendre. La plupart des meurtres, en particulier ceux commis en milieu familial, sont commis de façon impulsive, sous le coup de l’émotion, dans des circonstances où la possibilité de devoir purger une peine n’est habituellement pas prise en compte par le meurtrier. La prévention est essentielle.

Depuis le jour funeste de la tragédie de l’École Polytechnique, nous nous sommes donné pour mission de sensibiliser les politiciens aux préjudices qu’une seule arme à feu peut causer et à la nécessité d’établir un cadre juridique et de définir des règles et des responsabilités appropriées. Nous continuerons à réclamer des lois sensées qui assureront la sécurité de nos rues et de nos quartiers et qui nous permettront de retrouver notre pays, un pays dont les assises sont le droit, l’ordre et le bon gouvernement. Nous faisons cela à la mémoire d’Anne-Marie, mais surtout pour tous les Canadiens qui se soucient de la sécurité du public.

Honorables sénateurs, je vous supplie de montrer à la population que le Sénat ne sert pas uniquement à approuver automatiquement […] le gouvernement, qu’il a encore sa raison d’être et qu’il peut jouer le rôle de Chambre de second examen objectif. Je vous prie de faire votre travail et de protéger les Canadiens contre […] des intérêts égoïstes […].

Honorables sénateurs, ce sont là les mots d’une mère que je connais maintenant très bien et qui a, je crois, passé chaque minute de sa vie à essayer de sauver nos filles.

Honorables sénateurs, au début de mon allocution, j’ai dit que, depuis mon arrivée ici, j’en suis venue à éprouver beaucoup de respect pour le point de vue des autres sur le contrôle des armes à feu et sur la réduction des formalités administratives au minimum.

Je m’adresse à vous tout en sachant que ce projet de loi sera adopté. Je prends la parole pour dire qu’il est peut-être temps de concilier les positions diamétralement opposées que nous soutenons pour arriver à une position qui, tout en garantissant absolument le droit de posséder des armes à feu, assure également la sécurité de nos filles. Je vous remercie.