1re Session, 42e Législature,
Volume 150, Numéro 3

Le mardi 8 décembre 2015
L’honorable George J. Furey, Président

Le discours du Trône

Motion d’adoption de l’Adresse en réponse—Ajournement du débat

Le Sénat passe à l’étude du discours que Son Excellence le gouverneur général a prononcé à l’ouverture de la première session de la quarante-deuxième législature.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer, avec l’appui de l’honorable sénatrice Cordy, propose :

Que l’Adresse, dont le texte suit, soit présentée à Son Excellence le Gouverneur général du Canada :

À Son Excellence le très honorable David Johnston, Chancelier et Compagnon principal de l’Ordre du Canada, Chancelier et Commandeur de l’Ordre du mérite militaire, Chancelier et Commandeur de l’Ordre du mérite des corps policiers, Gouverneur général et Commandant en chef du Canada.

QU’IL PLAISE À VOTRE EXCELLENCE :

Nous, sujets très dévoués et fidèles de Sa Majesté, le Sénat du Canada, assemblé en Parlement, prions respectueusement Votre Excellence d’agréer nos humbles remerciements pour le gracieux discours qu’elle a adressé aux deux Chambres du Parlement.

— Honorables sénateurs, c’est un grand honneur de prendre la parole pour proposer l’adoption de l’Adresse en réponse au discours du Trône.

[Français]

Je prends la parole aujourd’hui en réponse au discours du Trône qu’a lu le gouverneur général Johnston, mais auparavant, j’aimerais féliciter le Président du Sénat, l’honorable George Furey.

[Traduction]

Vous conviendrez tous, j’en suis certaine, que le sénateur Furey a travaillé fort, en notre nom à tous, pour rétablir l’intégrité de notre institution. Nous avons tous hâte de travailler avec vous.

Je remercie également le sénateur Housakos de son excellent travail.

[Français]

Je tiens à remercier le gouverneur général Johnston et son épouse de leur présence au Sénat, où Son Excellence a lu le discours du Trône.

Je voudrais également profiter de cette occasion pour remercier le premier ministre Trudeau et son équipe de la vision qu’ils ont présentée dans le discours du Trône. Celui-ci exprime un message très clair, et tous les Canadiens et les Canadiennes pourront constater que le gouvernement a pensé à eux dans l’élaboration de son programme.

Honorables sénateurs, le gouverneur général nous a demandé de travailler ensemble dans un nouvel esprit d’innovation, d’ouverture et de collaboration. Il a ensuite énoncé cinq grands objectifs dont j’aimerais maintenant vous entretenir.

[Traduction]

Tout d’abord, la croissance de la classe moyenne constitue une priorité bien établie. Il s’agit là d’une vision optimiste et pragmatique, qu’on réalisera en concevant soigneusement la réduction des impôts pour la classe moyenne, en renforçant le régime de l’assurance-emploi, en bonifiant les régimes de pension et en travaillant avec les provinces à la mise en place d’un accord sur la santé. L’objectif est ambitieux, mais il est encourageant de voir que des mesures concrètes qui nous permettront de l’atteindre ont été présentées.

Parmi ces mesures, il est essentiel que le gouvernement fédéral collabore avec les provinces pour soutenir les jeunes Canadiens issus des familles à faible ou moyen revenu. Nous devons rendre les études postsecondaires plus abordables pour ceux qui sont prêts à travailler fort pour les entreprendre. Par ailleurs, il faut que notre économie soit prête à accueillir ces jeunes afin qu’ils puissent immédiatement rembourser leur dette et commencer à contribuer à notre économie.

Selon le rapport d’une étude menée en 2014 par Statistique Canada, intitulé L’obtention d’un diplôme au Canada : profil, situation sur le marché du travail et endettement des diplômés de la promotion de 2009/2010, 43 p. 100 des diplômés du collégial ont une dette de près de 15 000 $ à la fin de leurs études, et 50 p. 100 des étudiants au baccalauréat ont contracté une dette s’élevant en moyenne à près de 27 000 $.

(1500)

Ce sont des jeunes gens brillants, débordants d’énergie, impatients de contribuer à la société, mais beaucoup d’entre eux croulent sous d’immenses dettes d’études avant même de commencer à travailler. Pour dynamiser notre pays, nous devons investir dans l’éducation des jeunes et leur rappeler qu’ils devraient être prêts à faire leur part, eux aussi. Cet enjeu doit devenir l’une de nos priorités.

[Français]

Deuxièmement, le gouvernement s’engage à être ouvert et transparent.

[Traduction]

Le Parlement travaillera de façon plus ouverte et plus transparente, grâce à une réforme électorale et aux pouvoirs accrus qui seront accordés aux députés. Certains de ces changements auront une incidence sur le Sénat. On sait, par exemple, que le processus de nomination des sénateurs sera modifié de façon à favoriser les nominations non partisanes.

Honorables sénateurs, c’est pour moi un privilège de travailler auprès de vous. Je trouve encourageant de voir tous les efforts que nous avons déployés, ensemble, pour favoriser l’amélioration et l’évolution du Sénat. Je tiens à remercier les sénateurs Massicotte et Greene, qui ont lancé les discussions concernant la modernisation de notre institution. Je remercie aussi les sénateurs Housakos, Mitchell, Cordy, Wells et Batters, qui ont proposé des méthodes de communication efficaces, qui nous aideront à faire connaître le travail que nous accomplissons au Sénat.

Honorables sénateurs, je ne voudrais pas oublier de remercier nos leaders, les sénateurs Cowan, Fraser, Munson, Carignan, Martin et Marshall, pour tout le travail qu’ils ont accompli pendant la dernière session et qu’ils continuent d’accomplir.

En tant que sénateurs, nous avons pour objectif ultime de bien représenter l’intérêt national du Canada et les droits des minorités, et de voir à leur protection tout au long de notre processus législatif. J’accueillerai avec plaisir toutes les mesures qui pourront nous inciter encore davantage à atteindre cet objectif.

Je suis certaine que nous travaillerons ensemble de façon non partisane, comme les Canadiens nous l’ont demandé. Comme l’a indiqué mon leader, le sénateur Cowan, nous devons régler cela à l’interne — et je suis d’accord.

[Français]

Troisièmement, le gouvernement prouvera aux Canadiens et aux Canadiennes, ainsi qu’au monde entier, qu’un environnement sain et une économie forte vont de pair. L’un est impossible sans l’autre. Le gouverneur général a affirmé que la protection de l’environnement et la croissance de l’économie ne sont pas des objectifs incompatibles. En fait, notre succès futur repose sur les deux.

Je suis d’accord avec le gouvernement, mais je tiens à souligner que notre souci de l’environnement et de l’économie ne doit pas nous faire oublier notre obligation de protéger les droits de la personne. Or, la manière dont nous choisirons de favoriser la croissance économique et de faire face aux changements environnementaux aura une incidence directe sur les droits de l’ensemble des populations.

[Traduction]

Habituellement, les discussions sur les changements climatiques tournent autour de l’économie, de l’environnement et de la science. Ce sont toutes des conversations nécessaires, mais, de plus en plus, l’information provenant de ces sphères demande que nous nous interrogions à savoir quelles seront les répercussions sur les êtres humains.

Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies a trouvé de multiples liens entre les changements climatiques et la façon dont leurs effets menacent de violer les droits de la personne, en particulier les droits de ceux qui vivent déjà dans la pauvreté.

Selon l’ONU, les changements climatiques menacent de violer directement les droits de bien des gens au Canada et à l’étranger. Le droit à l’alimentation, à l’eau, à la santé, au logement adéquat, à la vie et à l’autodétermination sont tous menacés. Si le Canada souhaite réellement être un chef de file dans l’atténuation des effets des changements climatiques, nous devons trouver des moyens de remédier à l’ensemble de ces questions en plus de tenir compte des difficultés économiques et environnementales.

[Français]

Quatrièmement, le programme du gouvernement tient compte de la diversité qui fait la force du Canada. Le gouverneur général du Canada a dit ce qui suit, et je cite :

Les Canadiens et Canadiennes ont élu un gouvernement qui nous rassemblera, et non qui nous opposera les uns aux autres. Le Canada est fort, non pas malgré nos différences, mais grâce à elles.

[Traduction]

Il ne fait aucun doute que nous habitons un grand pays et que nous y vivons comme des égaux. Le Canada est un lieu où la diversité s’épanouit, où nous voyons nos différences comme une force. Nous savons que la diversité et l’adversité peuvent être des catalyseurs de l’excellence et, au Canada, nous fournissons fièrement les fondements dont les gens ont besoin pour créer un meilleur avenir pour eux-mêmes et, par le fait même, un meilleur Canada.

Conformément à notre héritage d’acceptation et de diversité, je suis impatiente de voir les 25 000 réfugiés syriens réinstallés ici d’ici la fin février 2016.

Honorables sénateurs, j’ai souvent visité des camps de réfugiés en Jordanie, en Turquie et au Liban, et j’ai discuté avec des gens qui sont touchés par la guerre en Syrie. Moi qui ai été témoin des souffrances dans de nombreux camps, je suis très reconnaissante de ce que nous offrions l’asile à des gens qui ont tout perdu.

Honorables sénateurs, la lutte à la ligne de front peut prendre différentes formes. Nous pouvons choisir nos combats. Les Syriens sont fatigués des bombes, peu importe d’où elles proviennent. Ils cherchent la paix et veulent rentrer chez eux.

Lorsque je me trouvais à Kilis, à la frontière entre la Turquie et la Syrie, j’ai discuté avec une petite fille de 12 ans. Sa maison avait été détruite par un baril d’explosifs et la petite avait perdu des membres à cause de cette attaque. Elle était assise dans un fauteuil roulant de fortune et avait installé un livre sur le fauteuil. Sa sœur tournait les pages.

Ce qu’elle m’a demandé était simple : « Aidez-nous à faire cesser les bombardements. Dites aux Canadiens de nous aider à finir nos études. Je veux devenir adulte et enseigner. Je veux rentrer en Syrie. »

L’aide humanitaire est nécessaire. La crise des réfugiés est réelle, et nous devons donner de l’espoir à ces gens. Nous devons offrir à l’humanité la possibilité de bâtir un meilleur avenir, mais, au bout du compte, nous devons favoriser la paix dans cette région. Nous devons favoriser la paix en Syrie. Cela aussi doit être un objectif central du gouvernement. Nous pouvons et devons jouer un rôle clé pour faciliter un processus de paix en bonne et due forme. Notre pays sait comment mettre en place des processus de paix. Nos compétences à cet égard sont reconnues.

Honorables sénateurs, je travaille avec des femmes au Liban au sein d’une organisation appelée Mobaderoon. Elles travaillent avec divers groupes pour découvrir comment il est possible d’instaurer la paix entre eux. Ces femmes m’ont dit : « Vous pourriez accueillir 25 000 personnes, 50 000, 75 000, 100 000, mais nous ne voulons pas quitter la Syrie. Nous voulons que vous nous aidiez à y faire régner la paix. »

De plus, comme le gouverneur général l’a dit, pour protéger notre diversité, nous devons aussi protéger nos langues.

[Français]

De plus, le gouvernement encouragera l’utilisation des langues officielles du pays. Je l’en remercie. Le français et l’anglais sont très importants dans notre pays. Dans ma province, la Colombie- Britannique, les parents souhaitent ardemment que leurs enfants puissent apprendre le français. Le nombre de classes est insuffisant. Lorsque mon petit-fils a demandé d’apprendre le français à l’école, il n’y avait pas de place pour lui. Sa mère avait présenté une demande dans 11 écoles. L’année scolaire avait débuté et mon petit-fils n’avait toujours pas de place. Il était inscrit sur de nombreuses listes d’attente. Deux mois après le début des classes, il a obtenu une place.

Dans notre pays bilingue, je crois que tous les enfants devraient apprendre et parler nos deux langues officielles. C’est notre patrimoine. Ne privons pas nos enfants du droit de parler nos langues officielles. Le gouvernement doit donc y investir des ressources.

Je demande aussi au gouvernement de fournir des ressources afin que les immigrants et les réfugiés qui proviennent de pays francophones et qui habitent à l’extérieur du Québec puissent apprendre l’anglais.

Cinquièmement, le gouvernement s’engage à accroître la sécurité des Canadiens et des Canadiennes, et à leur offrir plus de possibilités. Le gouvernement a dit que, pour aider à faire avancer la paix dans le monde, il renouvellera l’engagement du Canada à l’égard des opérations de maintien de la paix des Nations Unies.

[Traduction]

Honorables sénateurs, en 2000, le Canada a joué un rôle déterminant dans l’adoption de la résolution 1325 de l’ONU. Cette résolution a un double objectif : reconnaître le fait que les femmes vivent d’une façon qui leur est propre l’expérience de la guerre et souligner le fait qu’elles jouent un rôle central dans les processus de paix et qu’il faut leur garantir une place dans les pourparlers.

Nous avons pris cet engagement avec de nombreux autres pays en 2000. La résolution de l’ONU a été adoptée à l’unanimité, mais beaucoup de pourparlers de paix se sont déroulés sans une représentation féminine suffisante. Si certains sont exclus des pourparlers, la recherche de paix est vouée à l’échec.

(1510)

Notre époque est placée sous le signe de la fragilité, et il nous faut protéger tout ce qui peut garantir une paix durable.

Je demande au gouvernement, et plus spécialement au ministre de la Défense nationale, M. Sajjan, de ne pas oublier, dans toute opération de pacification menée par notre pays, de faire jouer aux femmes un rôle central dans la prise de décisions.

Je suis très heureuse que le gouvernement ait rappelé la nécessité de concilier sécurité et protection des droits. Nous devons veiller avec soin à préserver un sain équilibre entre les deux.

[Français]

Le gouvernement reconnaît que le Canada est un pays fondamentalement sécuritaire où règne la paix, et il travaillera à assurer la sécurité de la population tout en protégeant les droits et les libertés que nous chérissons.

[Traduction]

J’exhorte le gouvernement à modifier tout de suite le projet de loi C-51 pour créer un organe de surveillance qui veillera à préserver cet équilibre. Un sain équilibre établira une bonne orientation pour des générations, et c’est pourquoi il importe de faire les choses correctement.

Honorables sénateurs, comme je vous l’ai dit, je me suis rendue récemment dans un camp de réfugiés, et j’y ai rencontré une jeune fille qui avait perdu une main à cause du conflit. Elle avait modelé une main avec de l’argile et l’avait décorée. J’ai eu le cœur brisé en constatant qu’elle l’avait décorée avec des éclaboussures de rouge pour faire comprendre qu’elle avait versé son propre sang à cause de la guerre. Elle a saisi ma main et y a placé cette main d’argile, me disant : « Je vous en prie, tenez ma main et gardez-la lorsque vous rentrerez au Canada. »

Honorables sénateurs, nous avons envers les générations à venir, envers les enfants du Canada et du monde entier, la responsabilité de leur léguer un monde qui soit meilleur que le nôtre et non pire. Le discours du Trône a été réconfortant parce qu’il a esquissé un projet clair afin de bâtir un meilleur avenir. Le gouverneur général a présenté un programme ambitieux pour le gouvernement. Il a aussi proposé une conception optimiste du type de pays que le Canada deviendra. Voilà l’objectif que nous nous efforcerons de concrétiser, le pays que les Canadiens méritent, le pays dont nos enfants seront fiers de faire partie.

Merci beaucoup de votre attention.